
L’annonce du retrait de l’Accord de Paris : un coup de gueule.
En fait, le retrait soudain de Trump de ce vaste compromis multilatéral est un geste politique et diplomatique : il s’agit avant tout d’envoyer promener la communauté internationale, tout en rappelant à sa base électorale qu’il partage leur ressentiment envers les élites à cravate, les scientifiques prétentieux et les écolos de gauche planteurs d’arbres qui méprisent les Vrais Américains, ceux qui travaillent dur pour extraire le pétrole et le charbon. Il a promu les États-Unis au rang de troublion mondial, rejetant non seulement le consensus scientifique sur le climat mais aussi l’appel international à une action commune. Comme le Congrès ne semble pas vouloir allonger des fonds pour construire le mur frontalier de Trump (et ce ne sera sûrement pas le Mexique qui paiera), le rejet de l’Accord de Paris était un moyen facile de claironner « L’Amérique d’abord » sans avoir à faire passer de législation particulière.
Trump tenait une promesse électorale, et son discours d’annonce en était un de campagne. Ce n’est pas par hasard qu’il a réussi à glisser les noms de Youngstown (Ohio), Detroit et Pittsburgh dans son discours, trois villes industrielles de la Rust Belt situées dans des états où il a remporté des victoires (mais pas nécessairement dans ces villes, voir plus bas). Le rejet ne changera pas grand-chose au niveau d’émissions de gaz à court terme, ni à moyen terme. Le spectre de multiples pertes d’emplois et de l’augmentation des factures énergétiques n’est qu’un épouvantail, car l’Accord est non-contraignant, et donc n’obligerait personne à quoi que ce soit. Mais le retrait aura un immense impact sur la façon dont les États-Unis sont perçus dans le monde.
Créer la controverse semble être la marque de fabrique de la politique étrangère de Trump. L’annonce du retrait renforce son image du rebelle indomptable qui ne laissera sûrement pas des étrangers lui dicter quoi faire, en dépit de l’avis de son secrétaire d’État, de plusieurs dirigeants des plus grosses entreprises et de sa fille Ivanka. Il se dépeint de plus en plus comme le contraire politique de Barack Obama, en démantelant son héritage progressiste; tout un message à l’endroit de ses amis intellectuels cosmopolites bien pensants amateurs de PBS (pas de Vrais Américains non plus).
Il faut justement mentionner ici ce qu’Obama a fait et n’a pas fait lors des négociations de Paris. Il ne laissait pas le monde dicter une politique énergétique aux États-Unis, parce que l’Accord ne permet que l’annonce d’intentions et de cibles, sans prévoir de mécanisme pour les appliquer. Il ne promettait pas d’atteindre des cibles irréalistes, à peine une réduction de 27% des niveaux de 2005 en 2025. Le secteur de l’énergie électrique américaine a déjà atteint cet objectif avec la fermeture de plusieurs centrales au charbon, mais le secteur du transport a encore énormément de travail à faire. Obama avait mis en place des standards de réduction des émissions des véhicules, dont Trump a ordonné la révision. Les États-Unis auraient-ils atteint leurs objectifs ? C’était bien parti et l’intention semblait sincère sous Obama. Doit-on se mettre à pleurer tout de suite ? Rien n’indique que les vociférations du président le mèneront ailleurs que devant les caméras de Fox & Friends, mais rien ne démontre que ce n’était pas son seul objectif en partant.

Donald Trump en pays ami sur le plateau de Fox & Friends. Photo AP
En fait, le véritable triomphe des Accords de Paris ne sont pas les promesses des États-Unis : c’est l’engagement ferme de la Chine, de l’Inde et des autres nations en croissance, qui réclamaient jusque là le droit de générer du carbone tant que leurs économies n’auraient pas rattrapé celles des pays développés.
Il ne faut pas exagérer l’impact de cette décision de retrait, lequel n’aura lieu qu’en 2020 au plus tôt. Le message est que les États-Unis ne se préoccupent plus des changements climatiques, mais on le savait déjà depuis l’élection de Trump et la nomination du climatosceptique Scott Pruitt à la tête de l’EPA. Quitter l’Accord de Paris ne renversera pas la tendance à la baisse de l’usage du charbon, ni le boom dans l’industrie des énergies propres, parce que le charbon n’est plus économiquement viable et que les coûts de l’énergie solaire et éolienne ont fondu. La même tendance s’observe en Chine, en Inde et ailleurs. Si Trump avait annoncé qu’il demeurait au sein de l’Accord, ça n’aurait pas voulu dire qu’il s’abstiendrait de détruire les réglementations mises en place par Obama pour contrer les changements climatiques, comme le Clean Power Plan. En fait, il aurait été assez paradoxal de voir un signataire de l’Accord de Paris joyeusement démanteler ses propres outils destinés à atteindre les objectifs de COP21.
Pendant ce temps, la terre se réchauffe, la banquise fond et le niveau de la mer continue de monter, insensible au texte de Paris et aux vociférations des politiques qui se disputent. Trump peut bien clamer que les changements climatiques sont une arnaque concoctée par la Chine, et les Républicains peuvent bien s’évertuer à combattre toute action pro-climatique, ça ne fera pas disparaître la réalité des inondations, famines, épidémies et migrations de réfugiés. 2014 fut une année record en fait de chaleur, supplantée par 2015, et le record fut battu de nouveau en 2016. Ces Chinois sont vraiment très forts…

Affiche électorale de 1920 : Trump n’a rien inventé.
L’effet pervers de la décision de Trump est d’ouvrir la porte à la Chine et à l’Europe. Les États-Unis font clairement savoir que les problèmes du monde extérieur ne les concernent pas, ils laissent désormais quelqu’un d’autre s’en occuper, peu importe qui. Doit-on s’en surprendre ? En fait, c’est quasiment business as usual : historiquement, tant que leurs intérêts n’étaient pas directement concernés, les États-Unis restaient tranquillement dans leur coin – s’abstenant d’entrer en guerre le plus longtemps possible ou d’adhérer à la SDN. Nombre d’Américains sont tout à fait à l’aise dans cette vision des choses.
Les Républicains déchiraient leur chemise en prétendant que l’Accord ne forçait pas la Chine à faire quoi que ce soit, mais étrangement imposait des contraintes indues aux États-Unis. Dans les faits, la Chine semble plutôt bien partie pour respecter ses promesses. Ses investissements dans les énergies vertes sont frénétiques. Ironiquement, rien de ce que Trump mettra en œuvre ne rendra sa rentabilité au charbon, ou ne fera disparaître les automobiles électriques. La Californie s’est fixé un objectif de 100% d’énergie renouvelable en 2045, et son gouverneur Brown monte aux barricades pour s’opposer aux politiques climatiques du président.

L’image de Pittsburgh dans l’imaginaire de Trump.
Le maire de Pittsburgh, ville-fétiche pour Trump (qui l’associe encore à l’acier en dépit de son spectaculaire virage high-tech) l’engueule sans ménagement en lui signalant que dans sa ville, 80% des électeurs ont voté contre lui (même s’il a remporté la Pennsylvanie). La dernière chose que souhaite Pittsburgh, c’est un nouveau haut-fourneau !

La réalité : Pittsburgh après 30 ans de virage high-tech.
Un mouvement de fond, réunissant des maires et des gouverneurs de partout aux États-Unis, a spontanément vu le jour : le Massachusets, le Vermont, le Rhode Island, l’état de New York, le Washington, le Connecticut et la Californie en sont les premiers adhérents. Le gouverneur du Vermont a déclaré : «Si notre gouvernement national n’est pas ouvert à diriger sur ce plan, les États sont prêts à le faire».
On peut déplorer que Justin Trudeau n’ait pas exprimé d’opinion plus tranché contre la décision de Trump. Selon Libération, une lettre de protestation aurait circulé parmi les chefs d’état à la suite de l’annonce, à laquelle il manquerait les signatures du Canada et du Japon… Tout un contraste avec les commentaires cinglants d’Emmanuel Macron et de John Kerry. Trudeau semble vouloir ménager Trump en vue des prochaines négociations de l’ALENA, il faut espérer que ça ne veut pas dire qu’il voudra le soutenir dans sa politique climatique. À ce jour, Justin Trudeau n’a pas démontré une réelle volonté envers l’action climatique, en fait ce serait plutôt le contraire. Ironiquement, il est un bel exemple de ceux que Trump met un point d’honneur à attaquer quand il discourt devant ses fans.
Peu importent les scènes de cataclysme, d’inondations, d’incendies ou de sécheresse, il ne s’agit pour Trump que d’images symbolisant tout ce qui préoccupe les gens qui ne l’aiment pas. L’Accord de Paris est simplement un morceau de l’héritage Obama qu’il peut facilement détruire – il ne dispose pas du soutien nécessaire pour démolir Obamacare. Peu importent les conséquences de la politique climatique de Trump, à ses yeux ce ne seront que des dommages collatéraux de sa guerre contre les élites, la gauche et Obama.
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