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Les 29 et 30 juin prochains, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) tiendra un Sommet à Madrid, au cours duquel elle adoptera son nouveau Concept stratégique. Dans sa dernière mouture, datant de 2010, l’OTAN présente « son rôle unique et essentiel » comme étant de garantir la défense et la sécurité de ses pays membres. Elle se décrit comme « une communauté de valeurs unique en son genre, attachée aux principes de la liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l’homme et de l’état de droit ». La guerre de la Russie en Ukraine a fourni à l’OTAN une occasion de se remettre en selle dans ce rôle faussement chevaleresque. Mais cette Organisation est-elle vraiment ce qu’elle prétend être et sa consolidation peut-elle nous apporter paix et sécurité ? Nous ne le croyons pas.

L’OTAN : instrument hégémonique des États-Unis

De 1949 à 1989, se présentant comme un rempart du monde libre face à la menace du communisme, l’OTAN a d’abord et avant tout été un instrument de mobilisation et d’intégration de l’Europe occidentale à la stratégie mondiale de Guerre froide des États-Unis contre l’URSS. Puis, après la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’URSS, les États-Unis ont cherché à maintenir cette intégration de l’Europe de l’Ouest à leur nouvelle stratégie mondiale et l’ont étendue aux pays d’Europe de l’Est et même à certaines des républiques soviétiques. Cette expansion de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie, s’est effectuée à l’encontre des promesses répétées à l’effet du contraire en 1990 et 1991 lors des négociations pour la réunification de l’Allemagne. Objectivement, cette expansion représente une menace sécuritaire indéniable pour la Russie qui a été un des facteurs déterminants de l’actuelle guerre en Ukraine.

Au cours des 30 dernières années, le terrain d’action de l’OTAN est passé de l’Atlantique nord au monde entier. C’est ce que Daniel Fried, Secrétaire d’État adjoint (étasunien) aux Affaires européennes et eurasiennes, résumait déjà ainsi en 2007 : « l’OTAN s’est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux (…). Tout appartient potentiellement à la zone de l’OTAN ». Cette posture entre en contradiction avec le rôle même des Nations Unies, dont le but premier est de « maintenir la paix et la sécurité internationales ».

Une alliance guerrière

Bien loin de n’être qu’une alliance défensive, l’OTAN a été à l’origine de deux guerres, menées sous des prétextes humanitaires, sans mandat des Nations Unies à cet effet, ce qui les rend illégales au regard du droit international  : la guerre du Kosovo en 1999 et la guerre en Afghanistan, qui a duré de 2001 à 2021. Dans les deux cas, l’OTAN a précipité l’agression et écarté toute autre issue. En 2011, en détournant une résolution du Conseil de sécurité visant la protection des populations civiles, l’OTAN a aussi lancé une guerre contre la Libye, qui a plongé le pays dans le chaos jusqu’à aujourd’hui. Et c’est sans compter les guerres en Irak et en Syrie auxquelles un grand nombre de pays de l’OTAN se sont empressés de participer.

Selon le plus récent rapport du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 2 113 milliards de dollars US en 2021, en hausse constante depuis 2015. Les dépenses militaires des membres de l’OTAN (30 pays) représentent plus de la moitié du total mondial. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 38 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (14 %) et la Russie (3,1 %). En ce qui concerne le commerce mondial des armes, pour la période de 2016 à 2020, six des dix principaux pays exportateurs sont des membres de l’OTAN, totalisant près de 60 % des ventes.

L’OTAN, la démocratie et les droits de la personne

Un survol historique rapide suffit pour constater que l’attachement de l’OTAN – et de son chef de file, les États-Unis – envers la démocratie et les droits de la personne relève d’une propagande entretenue plus que de la réalité. Dès sa fondation, en 1949, un régime démocratique n’est pas un critère d’adhésion à l’OTAN : le Portugal, où sévit la dictature de Salazar, en est membre. Dans de très nombreux pays, la lutte contre le communisme a simplement servi de prétexte pour empêcher par tous les moyens les courants politiques de gauche d’accéder au pouvoir. Ainsi en est-il de la dictature des colonels en Grèce, de 1967 à 1974, qui n’a aucunement remis en question la participation du pays à l’OTAN. Et de toutes ces dictatures militaires en Amérique latine (Paraguay, Guatemala, Nicaragua, Bolivie, Brésil, Honduras, Chili, Uruguay, Argentine, Salvador, etc.) que les États-Unis ont soutenues et même installées au pouvoir – via des coups d’État fomentés par la CIA – dans les années 1960, 1970 et 1980. De façon similaire, en Italie, on apprendra en 1990 l’existence depuis longtemps d’une organisation paramilitaire clandestine, nommée Gladio; cette organisation, sous l’égide de l’OTAN et composée principalement de néofascistes, avait en fait été responsable de plusieurs des attentats et assassinats attribués aux groupuscules d’extrême gauche pendant les années de plomb.

Au cours des dernières années, on peut aussi vérifier le vide de cet attachement des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN pour la démocratie et les droits de la personne, notamment dans leur collaboration étroite avec des seigneurs de guerre en Afghanistan ou des modérés affiliés à Al Qaïda en Syrie, dans leur pratique systématique de la torture contre le terrorisme à Guantanamo Bay, Abu Ghraib (Irak), Bagram (Afghanistan) et dans les nombreux sites secrets de la CIA, dans leurs ventes massives d’armes à des pays comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, pour ne nommer que ceux-là. Sans oublier le fait que la Colombie est récemment devenue le seul pays d’Amérique latine « partenaire mondial » de l’OTAN, alors que c’est un des pires pour les violations des droits de la personne.

En tant qu’instance supranationale, dont une bonne part des activités est, de surcroît, couverte par le secret militaire, l’OTAN échappe au contrôle démocratique. C’est ainsi, par exemple, que le respect de leurs « engagements envers l’OTAN », ont amené plusieurs pays membres à poursuivre leur implication dans la guerre en Afghanistan malgré l’opposition majoritaire de leurs populations. De la même façon, l’exigence de consacrer au moins 2 % de leur PIB aux dépenses militaires – martelée tant par les administrations étasuniennes démocrates que républicaines – n’est pas soumise au débat parlementaire, encore moins au débat public, au sein des pays membres de l’OTAN.

Politique nucléaire indéfendable et suicidaire

Outre le réchauffement climatique, une autre menace pèse depuis des années sur la survie même de l’humanité : les armes nucléaires. L’OTAN a beau affirmer vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », cela sonne bien creux quand son Concept stratégique affirme par ailleurs que la « garantie suprême de la sécurité des Alliés est apportée par les forces nucléaires stratégiques de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis ». De quel droit peut-on alors vouloir empêcher les autres pays de se doter eux aussi de cette garantie suprême ? Et comment une menace d’anéantissement de l’humanité assure-t-elle notre sécurité ?

Le 7 juillet 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) avec 122 voix pour, 1 voix contre et une abstention. Or, suivant le mot d’ordre des États-Unis, 28 des 29 pays membres de l’OTAN (dont le Canada) ont boycotté l’ensemble du processus d’élaboration de ce traité, y compris la séance de son adoption. Le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021 et n’a toujours été signé par aucun membre de l’OTAN.

Le Canada et l’OTAN

Même si les partis d’opposition et les médias insistent surtout sur le fait que le Canada ne consacre que 1,3 % de son PIB aux dépenses militaires – ce qui représente tout de même 36,3 milliards de dollars cette année – le Canada, proche allié des États-Unis au sein de l’OTAN, y joue un rôle significatif, par sa participation aux guerres, ses rôles de commandement à divers égards et son appui à la politique nucléaire de l’OTAN. Dans la guerre actuelle en Ukraine et la crise qui l’a précédée, le Canada a été un des pays qui – avec les États-Unis et le Royaume-Uni – ont le moins favorisé la négociation et les compromis, préférant la provocation et la confrontation : insistance pour que l’Ukraine et la Géorgie soient admises à l’OTAN, direction du « Groupement tactique de la présence avancée  renforcée» de l’OTAN en Lettonie (aux portes mêmes de la Russie), déclarations fracassantes à l’effet que l’agression de l’Ukraine représente une menace pour le monde entier et donne lieu à un génocide… Il n’y a vraiment rien là-dedans pour encourager les voies diplomatiques.

Le Sommet à venir et notre avenir

Lors du Sommet de l’OTAN des 29 et 30 juin prochains, nous aurons droit à une nouvelle apparition-éclair du président Zelinsky qui retiendra l’attention des médias, en complément de la détermination réaffirmée de l’alliance à protéger la démocratie et l’État de droit et de l’annonce de l’adhésion accélérée de la Finlande et de la Suède. Les États-Unis, qui ont déjà, depuis 2018, remplacé la guerre contre le terrorisme comme axe principal de leur stratégie de défense par la compétition stratégique avec la Chine (surtout) et la Russie, verront enfin l’OTAN leur emboîter le pas. La guerre en Ukraine leur aura fourni l’occasion de faire taire les divergences politiques internes (de l’Allemagne et de la France surtout), que le Groupe de réflexion de l’OTAN, dans son rapport de novembre 2020 identifiait comme « dangereuses » pour la sécurité et les intérêts collectifs.

La logique simpliste opposant les bons (Occidentaux) aux méchants (Chinois et Russes), voudrait nous voir resserrer les rangs derrière l’OTAN. Mais comment cela peut-il vraiment être garant de notre sécurité ? Quand l’OTAN est dominée par les États-Unis, un pays dont l’hégémonie mondiale est contestée, mais surtout – et c’est ce qui devrait nous inquiéter – un pays qui est prêt à tout pour préserver son hégémonie, allant même jusqu’à déclarer que « si la dissuasion échoue », son armée « est prête à gagner ». Comment l’exacerbation des conflits, une nouvelle course aux armements, la modernisation des arsenaux nucléaires et le maintien du Canada dans l’OTAN peuvent-ils nous assurer sécurité et paix ?

Sommes-nous ainsi vraiment sur la bonne voie pour régler les problèmes communs de l’humanité, que sont le réchauffement climatique, les injustices, les inégalités et l’exclusion croissantes, les pandémies ? Ou ne sommes-nous pas plutôt en train de consolider le système d’exploitation et de domination mondial, en grande partie responsable de nos problèmes communs, et de risquer ainsi d’allumer la mèche de l’autre péril pour l’humanité, celui d’une conflagration nucléaire ?

Le comité porte-parole du Collectif Échec à la guerre :
Judith Berlyn, , Martine Eloy, Raymond Legault, Suzanne Loiselle
Les parrains et marraine de la campagne 2021 du coquelicot blanc :
François Avard, Ariane Émond, Martin Forgues, Jacques Goldstyn (alias Boris) et
Christian Vanasse.


Le Devoir a publié un long extrait de cette prise de position, ainsi que le commentaire suivant :

De Pierre Jasmin – Abonné, 27 juin 2022 09 h 41
Cette prise de position d’Échec à la guerre en est une parmi plusieurs

En effet, dans toutes les grandes villes canadiennes des manifestations se déroulent ces jours-ci pour dénoncer l’asservissement du Canada à l’OTAN. Notre site vous informe de la résistance mondiale, par exemple celle de l’Agora des Habitants de la Guerre publiée par Pressenza.com sur quatre continents, mais pas par nos médias inféodés. Demain, nous enverrons une lettre à la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly déplorant les choix guerriers du Canada en Ukraine. Elle sera trop longue pour être publiée par Le Devoir.
Merci d’aller sur notre site https://www.artistespourlapaix.org pour la lire.