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Lester Pearson en plein bain de foule…

… et Justin Trudeau dans un exercice similaire. Est-ce que seuls les appareils-photo ont changé entre les deux époques ?

Implicitement, le gouvernement Trudeau surfe sur la très ancienne et vénérable vague Pearson, celle que le monde entier évoque avec nostalgie dès qu’on parle de la mission pacifiste de l’ONU. Peut-on affirmer que Lester Pearson aurait appuyé le récent Traité sur l’abolition des armes nucléaires ? Difficile à dire, le contexte était vraiment différent à l’époque. On se plait à penser que oui (même si Pearson appuya le programme des missiles Bomarc en 1964, il refusa d’envoyer des troupes canadiennes au Viet-Nam). Ce qu’on remarque, c’est que le gouvernement Trudeau se garde bien de commenter son absence à la Conférence de négociation – ça pourrait écorcher son image de croisé des temps modernes. En fait, Trudeau parle très peu de paix, ce sont certains médias qui entretiennent le mythe du pacifiste. Annoncer à grand frais une liste d’épicerie militaire de plusieurs milliards, glorifier l’exploit d’un tireur d’élite et pousser son ministre de la Défense sous les projecteurs, voilà qui fait sourciller. À sa place, on se garderait une petite gêne, la cravate lousse et les manches de chemises roulées n’étant pas gages de paix sauf pour les naïfs.

Le fait est que le Canada s’est plié en huit pour éviter et ignorer les recommandations des groupes d’experts et de citoyens qui prônaient un appui à ce traité. Les représentants des pays nucléarisés ont invoqué la realpolitik : les tenants du traité seraient des béotiens utopistes. Sauf qu’il faut bien commencer quelque part, et ce traité est une assise solide pour de futurs accords. Le clivage entre les pays nucléarisés (et leurs alliés) et le reste de la planète va aller en se creusant. Dans un contexte où les pressions économiques pèsent de plus en plus sur les décisions politiques et militaires, les demandes pacifistes du reste de la planète pourraient influencer les pays détenteurs d’ogives nucléaires.

Où en est-on dans tous ces traités ?

TNP – Peu des signataires du Traité de Non-prolifération des armes nucléaires (1970) ont tenu leurs promesses. Ils devaient progresser vers un désarmement « aussi large que possible ». Les É-U, la Grande-Bretagne et la France ont déclaré que le nouveau traité n’aurait aucun impact sur le TNP car il n’a aucun pouvoir de contrainte. Le Canada a signé et ratifié le TNP.

TICE – Ce traité (1996) interdit tous les essais nucléaires. Il devait être ratifié par au moins 45 pays possédant des réacteurs nucléaires pour être appliqué. À ce jour, on en est encore sous la barre des 40. Le Canada l’a signé en 1996 et ratifié en 1998.

START – Le traité bilatéral entre les É-U et l’Union Soviétique entrait en vigueur en 1994. Il a été reconduit en 2009, aucune vraie négociation n’ayant abouti et le contexte politique ayant radicalement changé. La Russie et les É-U signèrent START-II en 1993. START-II n’a jamais été appliqué. Il était déjà dépassé en raison des mesures de réduction unilatérales des arsenaux de 2001. START-III devait limiter encore plus le stock d’armes mais aussi empêcher leur réintroduction. Le New START est finalement signé en 2010.

ABM – Le traité ABM sur les missiles anti-balistiques fut signé en 1972 dans le cadre des négociations sur la limitation des armes stratégiques. Les États-Unis ne font plus partie du traité ABM depuis 2002.

Convention sur les armes chimiques – En vigueur depuis 1997. Seuls 3 pays ne l’ont pas signé (Égypte, Corée du Nord, Soudan du Sud).

Convention sur les armes biologiques – Signé en 1975 par une vaste majorité des pays membres de l’ONU, on la considère comme l’ancêtre des Traités internationaux. C’était le premier à bannir une catégorie entière d’armes. Il aurait largement inspiré le tout nouveau traité sur les armes nucléaires.

Pourquoi mentionner ici la litanie des traités START ? Le traité NewSTART arrivera à échéance en 2021, et la Maison-Blanche actuelle envisagerait de ne pas le renouveler, sous prétexte que la Russie déploie des missiles à moyenne portée. L’ex-Secrétaire de la Défense (É-U) William Perry estime quand même que le nouveau traité offre une « vision du monde plus sécuritaire » et pourrait influencer les États-Unis à non seulement renouveler NewSTART mais aussi pousser à l’application du TICE.

Le Canada avait la chance de se démarquer – juste un peu – de son voisin du sud. Justin Trudeau avait l’occasion de monter une opération de PR énorme qui l’aurait porté pendant des mois et valu un statut de nouveau Pearson, d’autant plus que le Canada ne possède pas d’ogives nucléaires, donc n’avait absolument rien à perdre.

Alors pourquoi ? Le Canada est toujours un important exportateur d’uranium, mais depuis 1965, n’en vend qu’à des fins civiles. En principe, l’expansion prévue de l’arsenal des États-Unis ne lui profiterait pas. Doit-on chercher du côté du NORAD – ne pas froisser un allié musclé – et par extension, de la souveraineté sur des territoires de l’Arctique qui pourrait faire l’objet de tensions dans les prochaines années ? On n’ose imaginer que la position du Canada dans les négociations du traité n’est qu’une manifestation de servilité – plusieurs Premiers ministres, dont Pearson et Chrétien, se sont opposés aux dictats guerriers des Américains. Alors, jusqu’où s’étend la realpolitik, et surtout, à qui profite l’attitude désinvolte du Canada ?