Myra Cree

Myra Cree

Myra Cree, Artiste pour la Paix 2004 (attribution posthume)

Monique Giroux a la parole en ce 14 février 2006 à l’Espace GO

Myra Cree qui n’allait pas au devant des titres, pas plus qu’elle ne les collectionnait d’ailleurs, aurait sans doute été touchée par celui-ci : Artiste pour la paix.

Il ne nous vient pas à l’idée de regarder dans le dictionnaire la définition des mots d’usage courant. Et pourtant. Dans le Petit Robert, à artiste, on lit : «Personne qui pratique un métier, une technique difficile. Personne qui se voue à l’expression du beau. »

Qui sème la musique, la poésie, la grandeur et la puissance des mots doit être une artiste. C’est confirmé, Myra Cree l’était, et son art une technique peut-être plus difficile qu’il n’y paraît.

Être loyale et droite, faire à sa tête, à son envie, dire le fond de sa pensée contre vents et marées, causer dans le poste en maintenant toujours année après année, jour après jour le même niveau de qualité, de surprises et d’intelligence n’est pas forcément de tout repos.

Mille fois j’ai vu Myra, solitaire, éclairée par la seule lampe qui trônait sur la table de son studio, tourner et retourner ses petits cartons blancs couverts de mots, de ratures, de tentatives, de meilleures idées griffonnées, impossibles à relire. Des jeux de mots, des mots d’esprit, des citations empruntées et triturées. Le vers, la rime, le pied et comprenne qui peut.

Nous étions nombreux à boire entre les lignes les deuxième et troisième degrés de ses lumineuses envolées. Le plaisir qu’elle prenait à en imaginer l’effet valait tous les applaudissements, ceux qu’elle n’a pas souvent entendus depuis son studio insonorisé.

Quand Myra est décédée en octobre dernier, nous avons reçu à la radio, des centaines et des centaines de courriels de témoignages d’auditeurs anonymes qui la considéraient comme une proche, des gens qui la connaissaient et qui la comprenaient bien plus qu’elle-même ne l’a jamais imaginé, j’en suis convaincue.

En lui décernant le titre d’Artiste pour la Paix, vous faites de même. Vous prouvez que vous la connaissez bien.

Si elle avait pu recevoir ce prix, si elle avait pu être à ma place, à sa place, et Dieu sait que je donnerais cher pour que ce soit possible, elle aurait sans doute tourné et retourné son discours, l’aurait truffé de manifestions diverses et toujours élégantes.

Elle aurait certainement par un retentissant et bien senti «Foutez-nous la » dévissé le bâton de pèlerin de Benoît XVI, qui a dit le 1er janvier dernier : «La paix ne peut être réduite à une simple absence de conflits armés, il faut plutôt la comprendre comme le fruit d’un ordre implanté dans la société humaine par son divin Fondateur. La paix est un don céleste et une grâce divine ».

Elle aurait peut-être, ne serait-ce que pour nous faire sourire, cité Léon Blum comme elle l’a beaucoup fait pendant la crise d’Oka en 90:

«Je voudrais que dans tous les villages et dans toutes les villes, on enseigne l’Espéranto qui serait un facteur pour l’entente des peuples et le plus sûr moyen pour maintenir la paix universelle. »

Parler mohawk lui aurait suffi. C’était son grand regret.

En mohawk, la langue de son père, elle savait dire «Je t’aime », ce qui est déjà pas mal.

Le 11 juillet 1990, à Oka, a débuté «le tournage d’un très mauvais film». On a été quelques-unes à se retrouver bien malgré nous au générique, certains comme figurants, d’autres en rôles de soutien et en acteurs principaux.

Co-fondatrice du Mouvement pour la paix et la justice à Oka et Kanesatake, Myra a plus souvent qu’à son tour pris la parole en réclamant haut et fort la fin du cauchemar.

Pendant trois mois, sa maison, son terrain, sa vie étaient devenus le chantier du gros bon sens. Elle et Solange abritaient les grands chefs qui venaient de partout, les représentants de la ligue internationale des droits de l’homme, les collègues journalistes qui voyant de la lumière s’arrêtaient dire bonjour.

Un jour, je m’en souviens très bien, au début août, sont arrivés en convoi, avec à leur tête le cinéaste Arthur Lamothe, les Artistes pour la paix.

Tout un défilé à la rencontre des gens d’en haut… au nez des policiers inquiets qui se demandaient ce qu’on faisait là en pleine rue, des courges, des fèves et du maïs, cadeaux symboliques dans les bras.

Quinze ans plus tard, Myra, enflammée, était toujours là à Québec à dire ses vérités au ministre Chagnon qui n’avait qu’à bien se tenir, parce que pape ou ministre…. Myra Cree était honnête et passionnée, droite et libre, une femme qui disait ce qu’elle pensait et pensait ce qu’elle disait.

L’été dernier, alors qu’on savait son départ inéluctable, en la regardant dormir, je me suis souvent demandé à quoi elle pouvait bien rêver. Elle ne m’a pas répondu.

La paix, l’ultime, la dernière, celle à laquelle on aspire tous, la plus difficile, celle qu’on doit faire avec soi, et avec le sort qui nous est réservé.

C’est ce que je lui ai souhaité : de partir en paix…

Est-ce qu’on part en paix comme on part en vacances, à la différence qu’on n’en revient jamais? Elle ne me l’a pas dit.

En son nom,

Merci

Monique Giroux, animatrice à Radio-Canada