Lors de la campagne électorale fédérale de 2019, les APLP ont soumis une série de questions aux chefs des partis politiques sur les armes nucléaires, les traités qui les contrôlent, et l’OTAN. Ces jours derniers, plusieurs événements sont venus modifier le paysage et il est important de mettre à jour ce qu’on peut appeler le contexte atomique.

Accrocs à l’accord de Vienne (JCPOA)

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Trump et son décret de sortie du JCPOA.

L’une de nos questions portait sur l’accord JCPOA conclu à Vienne en 2015. Selon les termes de l’accord, l’Iran acceptait de réduire ses activités nucléaires au point de ne plus être capable de fabriquer de bombe atomique, en échange de quoi les sanctions américaines et internationales alors en vigueur seraient levées. Le président Trump s’était brusquement retiré de l’accord en mai 2018, tout en rétablissant les sanctions américaines. Depuis, une valse de sanctions et de violations de l’accord a sévi entre Téhéran et Washington, bien que la majorité des pays impliqués dans le JCPOA reconnaissent que l’Iran s’est jusqu’à présent conformé à ses exigences.

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Hassan Rohani

Mardi, le gouvernement iranien avertissait qu’il pourrait bien reprendre ses activités d’enrichissement d’uranium. Mercredi, il annonçait que le site d’enrichissement de Fordow reprenait la production. Le président Rohani précisait que cette action est «réversible», mettant ainsi la pression sur l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, la Chine et la Russie.

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Le site souterrain d’enrichissement de Fordow, dont l’existence est demeurée secrète jusqu’en 2009.

Ceux-ci demeurent, du moins officiellement, partenaires dans l’accord de Vienne. Mais ils n’ont jamais pu respecter leurs engagements, suite à l’avalanche de sanctions imposées par les É-U sur l’énergie, les transactions en dollars, les pièces d’avions et contre plusieurs dirigeants iraniens. La France a tenté de contourner l’embargo sur le dollar en créant un fonds commercial en euros et la Chine a initié des transactions énergétiques en yuans, mais les résultats se font toujours attendre.

En fait, peu d’actions concrètes sont venu appuyer cette belle apparence d’un front commun. On aura vu les dirigeants européens se succéder devant les caméras dans de vertueuses démonstrations d’indignation aussi théatrales qu’inefficaces. Ce front commun se révélait d’une grande fragilité, incapable d’aider l’Iran face aux sanctions – même le FMI, entité foncièrement néo-libérale, reconnait que le PIB iranien se sera contracté de 9,5% en 2019.

Répercussions sur le traité TNP

Il faut savoir que le JCPOA prévoit un mécanisme de résolution des conflits. La décision de l’Iran de reprendre l’enrichissement d’uranium pourrait mener au rétablissement des sanctions de l’ONU et de l’UE. Le JCPOA deviendrait officiellement caduc. Il est fort possible que l’Iran décide alors de se retirer du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) autant pour se donner les coudées franches en matière de production atomique que pour narguer les É-U devant tout le monde.

Réactions

Aucun espoir de voir le Canada se poser en médiateur, pourtant une superbe occasion de redorer le blason diplomatique de Justin Trudeau. À l’époque, le gouvernement avait officiellement appuyé le JCPOA, la ministre Freeland déclarant : « Nous croyons que l’accord est vital pour la sécurité de la région ».

Le Canada avait levé ses sanctions contre l’Iran, suivant les termes de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il contribua 11,5 millions au programme de vérification de l’AIEA, spécifiquement dans le cadre du JCPOA.

Le 20 juillet 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 2231.

Trudeau avait même promis de réouvrir l’ambassade du Canada à Téhéran, mais rien ne se fit en ce sens. En juin 2018, les Libéraux (y compris le Premier ministre) votèrent en faveur d’une résolution Conservatrice condamnant l’Iran et sommant le gouvernement de cesser toute démarche visant à rétablir les relations dilomatiques.

Aujourd’hui, silence-radio du gouvernement. Mme Freeland semble avoir décidé de calquer ses positions sur celles des États-Unis. Quant à M. Trudeau, il est très occupé à rescaper son image dans l’Ouest canadien.

Le président Macron a déclaré mercredi : « Pour la première fois de manière explicite et de manière non limitée, l’Iran décide de sortir du cadre du JCPOA, ce qui est un changement profond […]. Nous devons collectivement en tirer les conséquences ». Toujours aussi jupitérien, M. Macron se garde bien de suggérer quelque chose de concret.

Serguey Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe : « Toutes les mesures de l’Iran concernant la réduction de ses obligations se font en informant l’AIEA, en présence d’inspecteurs de l’AIEA et sans enfreindre la moindre disposition de l’accord sur la non-prolifération nucléaire et du protocole additionnel ». Il tente de légitimiser l’action de l’Iran tout en insistant sur la responsabilité des É-U.

L’OTAN

Une de nos questions aux chefs portait sur l’OTAN : y rester ou en sortir ? Là aussi, le contexte est bousculé par une chicane, suite à une déclaration du président Macron lors d’une entrevue à The Economist : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ».

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Le président Macron

« Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis avec les partenaires de l’OTAN et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’OTAN, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination. Ce qui s’est passé est un énorme problème pour l’OTAN ». Le président français a eu dans la même entrevue des mots sévères sur la Russie dont le modèle « anti-européen, de sur-militarisation avec une population déclinante et un PIB équivalent à celui de l’Espagne n’est pas soutenable ». Si elle ne veut pas devenir un « vassal de la Chine », la Russie n’a d’autre alternative qu’un « partenariat avec l’Europe ». On notera cependant que les dépenses militaires de la Russie ont diminué ces dernières années.

Angela Merkel a réagi : « Je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir ».

Justin Trudeau a pour sa part souligné le « rôle extrêmement important de l’organisation internationale, et très franchement, le fait que le Canada ait su faire preuve d’un leadership important tant à Bagdad à la tête de la mission de formation en Irak que sur le front est de l’OTAN en Lettonie. Ce sont des exemples où l’OTAN a toujours un rôle important à jouer  ».

Mike Pompeo en conférence de presse à Leipzig : « L’OTAN demeure historiquement un des partenariats stratégiques les plus importants ». Il en a profité pour rappeler l’exigence de Donald Trump (qui qualifiait l’OTAN d’organisation « obsolète » en janvier 2017) aux pays membres de mieux « partager le fardeau » de son financement.

Quant à la Russie, elle a jubilé : « des paroles en or. Sincères et qui reflètent l’essentiel. Une définition précise de l’état actuel de l’OTAN ».

Bref, il y a zizanie en la demeure. Fidèle à ses ambitions de devenir roi d’Europe, Macron cherche à larguer les américains. Ces derniers veulent que l’OTAN soit le bras armé des É-U en Europe, et que les européens fassent exactement ce qu’on leur dit sans trop poser de questions. Impossible de maintenir une politique cohérente dans ces conditions. Il est probable que l’OTAN se désagrège à moyen terme, laissant la place à de nouvelles alliances qui pourraient en surprendre plus d’un.