10queen-commonwealth1-superJumbo

La reine Élisabeth adorée par ses sujets Tuvaluans [1] lors de sa visite de 1982.
Photo : Getty

… malgré des faits historiques gênants

La reine Elisabeth (sans accent aigü et avec un s comme en Allemagne, pas un z) « se sera distinguée par sa discrétion et son insignifiance », écrit Richard Latendresse dans le Journal de Montréal du 11 septembre, bravant ainsi la consigne de propagande du gouvernement; il cite en outre Fareed Zakaria (Washington Post et CNN) qui parle de sa « détermination de fer à rester ennuyeuse ».

Lundi le 19 septembre, le gouvernement Trudeau décrète un congé férié la commémorant. Notre supposé woke-en-chef ne l’a pas encore fait pour le 30 septembre voté par C-5 (juin 2021, au Parlement + sanction royale accordée) Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, alors qu’une commémoration publique de l’histoire tragique et douloureuse des pensionnats et de leurs séquelles durables accélèrerait le processus de réconciliation. Les italiques de ma première partie reconstituent le dernier article d’Yves Engler.

En parlant d’« our gracious queen » qui accapare l’essentiel des reportages télévisés de Radio-Canada, « avec ses huit premières années de règne entérinant le massacre de dizaines de milliers de Mau Mau Kéniens dont la rébellion tentait de se libérer des liens coloniaux, ne célèbre-t-on pas une monarchie qui a nié les droits autochtones, un empire qui a conquis la Nouvelle-Écosse en exhibant les têtes de guerriers Mi’kmak sur des piques, comme il éliminera jusqu’aux derniers les Beothuks à Terre-Neuve et comme il enverra des bateaux de guerre brûler Kitsegukla en Colombie-Britannique [2] ?

Si les Anglo-Canadiens croient insignifiant de rappeler la cruelle déportation des Acadiens, les Montréalais qui ont rebaptisé la rue Atateken connaissent la tactique du général empoisonneur Jeffery Amherst qui commandait les troupes britanniques en Amérique du Nord : “You will do well to try to inoculate the Indians by means of blankets as well as to try every other method that can serve to extirpate this execrable race.” Plus d’un demi-million de canadiens seront envoyés se faire gazer dans les tranchées de la Première guerre mondiale, destinée surtout à consacrer le partage des empires coloniaux africains de France, Angleterre et Allemagne.

… nonobstant son antisémitisme

Selon Ofer Aderet (Ha’aretz, 10 septembre), elle a visité plus de 120 pays au cours de son règne, mais jamais Israël. Même si en 2020, le prince Charles (maintenant Charles III) est venu commémorer le Forum international des 75 ans de l’Holocauste, la reine a maintenu son boycott. Raisons possibles évoquées :

■ sa revanche contre les pionniers israéliens ayant assassiné des représentants officiels anglais durant le mandat de la Grande-Bretagne au Proche-Orient avant la création d’Israël;

■ elle n’était pas bienvenue en Israël vu que son père George VI a fait bloquer le navire Exodus et pendant la 2e guerre mondiale refoulé des réfugiés juifs, assassinés par les Nazis;

■ en visite en Jordanie, l’épouse du roi Hussein lui a montré une carte de la Cisjordanie avec les colonies illégales israéliennes : « quelle carte déprimante », a-t-elle soupiré;

■ son oncle Edward VIII, que la plupart des films vénèrent pour sa romantique liaison provoquant son abdication avec une Américaine, était partisan nazi (voir photo du salut de Lilybeth en 1933) et suprématiste blanc.

Sun-salut

Selon Wikipedia, si les deux divorces de Wallis Warfield avant sa rencontre avec le futur roi auraient suffi à provoquer l’abdication d’Edward VIII, le gouvernement britannique a été soulagé d’éloigner du pouvoir un couple peu sûr politiquement, ayant beaucoup trop de sympathie pour l’Allemagne nazie : leur mariage en France se fit lors d’une cérémonie privée le 3 juin 1937 au château de Candé à Monts, près de Tours, propriété du sulfureux homme d’affaires franco-américain Charles Bedaux aux nombreuses relations avec des dignitaires nazis. En octobre 1937, le duc et la duchesse visitèrent l’Allemagne nationale-socialiste et rencontrèrent Adolf Hitler au Berghof à Obersalzberg. La visite fut largement annoncée et relatée par les médias allemands. Durant la visite, le duc effectua le salut nazi à de nombreuses reprises.

L’ancien ambassadeur austro-hongrois Albert von Mensdorff-Pouilly-Dietrichstein, petit-cousin et ami de George V, considérait qu’Édouard voyait le national-socialisme allemand comme un rempart contre le communisme, et qu’il était même initialement en faveur d’une alliance avec l’Allemagne. L’attitude d’Édouard à cette époque est représentative de nombreux cercles dirigeants britanniques au double sentiment germanophile et hitlérophile. On commence à en voir de timides traces au cinéma, par exemple dans le film Six minutes to midnight (Andy Goddard, 2020) qui relate l’histoire du Augusta-Victoria College Bexhill-on-Sea, fréquenté par des filles nazies dont l’écusson d’école exposait côte à côte l’Union Jack et le swastika.

La même crainte unissait nazis et classe dirigeante britannique envers les Bolchéviques – qui avaient assassiné les cousins Romanov de la reine-mère. Le premier Lord Rothermere idolâtrait Hitler et les « chemises noires » de Sir Oswald Mosley. Lorsque Chamberlain revint de Munich avec sa paix illusoire avec Hitler, Lord Rothermere trouva en septembre 1938 une place d’honneur sur le balcon de Sa Majesté au palais de Buckingham. Ce n’était pas un secret qu’ils favorisaient tous le général Franco dans la sauvage guerre civile espagnole de 1936-9. Et quand Philip Mountbatten (dont le nom original était Battenberg) épousera la princesse Elizabeth en 1947, sa famille ne fut pas invitée, puisque totalement compromise avec le régime nazi.

Malgré la fuite du couple Wallis-Edouard devant l’invasion de la France par les troupes allemandes vers le Portugal, un épisode peu connu de la deuxième guerre mondiale relate qu’« afin de forcer la paix avec la Grande-Bretagne, le Führer décide de faire kidnapper le duc de Windsor avec la duchesse alors qu’ils résident à Lisbonne. Après l’enlèvement, il a prévu d’installer le couple en Allemagne et avait déjà mis à leur disposition 50 millions de livres sterling, déposés dans une banque de Genève. L’opération échoua de peu. Les agents de l’Intelligence Service précédèrent d’un jour Walter Schellenberg et son équipe au Portugal. En effet, comme écrivit Lord Caldecote à Winston Churchill, « [le duc] est bien connu pour être un sympathisant nazi et il pourrait bien faire l’objet d’un complot ».

Une interview « défaitiste » du duc largement diffusée avait poussé à bout le gouvernement britannique : le Premier ministre Winston Churchill menaça le duc de cour martiale s’il ne revenait pas sur le sol britannique. Les services secrets enlevèrent le couple qui partit, en août, sur un navire de guerre aux Bahamas, où, selon Churchill, ils ne gêneraient pas l’effort de guerre britannique. Le duc de Windsor fut nommé gouverneur des Bahamas. Il n’appréciait pas le poste et faisait référence aux îles comme à une « colonie britannique de troisième ordre ». Le bureau des Affaires étrangères s’opposa vigoureusement à une croisière du couple à bord du yacht d’un magnat suédois, Axel Wenner-Gren, que les Renseignements américains considéraient – à tort – comme un ami proche du commandant de la Luftwaffe, Hermann Göring.

… schème commode pour déformer la réalité

Pour en revenir à Elisabeth après ce long détour via Edouard VIII, on aime rappeler qu’elle avait un bon sourire, parlait français, aimait les chiens et les chevaux et n’hésita pas à 18 ans à s’enrôler dans les forces armées britanniques contre Hitler, tandis que la supposée dame de fer conservatrice Margaret Thatcher, bien connue par les fans du chanteur Renaud (sa chanson Miss Maggie vante les gonzesses qu’il aime pour enchaîner sur « la dernière des connes et sa morale guerrière »), s’inscrivait à la hâte en 1943 à l’Université Oxford pour éviter la conscription…

 

Mais le réputé journaliste américain Chris Hedges propose un portrait [3] pas plus flatteur que celui d’Yves. L’ampleur des fêtes orchestrées par les élites anglo-américaines [canadiennes, aurait-il pu ajouter] sont en proportion directe avec la peur débilitant une élite régnante discréditée, incompétente et corrompue à l’échelle globale. Ces oligarques sont peu rassurés devant la descendance royale médiocre – incluant un prince pédophile et son frère, le roi excentrique qui a accepté des valises remplies de $3.2 millions de l’ex-premier ministre du Qatar Sheikh Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani.

prince_andrew

Andrew, son fils favori, hérite de ses corgis… de moins de 18 ans ?

Le sexisme et la hiérarchie raciste inhérente à une monarchie justifient leur considération de la société en classes inférieures : le prince Philip était célèbre pour ses gaffes, comme lorsqu’il expliqua à des étudiants en 1986 que sa visite à Pékin lui avait fait craindre de revenir à la maison avec les yeux bridés. La reine, qui jamais n’a offert d’excuses ni de réparations pour les crimes racistes de l’armée britannique durant son propre règne, sourcillait devant l’horrible possibilité que la descendance de son petit-fils Harry et de son épouse Meghan Markle soit de couleur… trop foncée.

Les fêtes consacrées à la reine font commodément oublier les centaines de milliers d’Iraquiens et d’Afghans bombardés, torturés ou tués par des invasions britanniques, sans compter les patriotes irlandais exécutés et les 4100 bébés des Premières Nations (merci à M. Hedges pour cette mention plutôt rare chez les journalistes étrangers).

Les monarques britanniques possèdent environ $28 milliards américains, mais les taxes publiques octroieront $33 millions à la famille royale lors des prochains deux ans, au moment où le revenu moyen familial en Grande-Bretagne connaît la plus importante chute de son histoire depuis qu’on tient ces statistiques (1955) et au moment où le nombre des sans-logis explose à 227 000 familles.

Les dix jours de son deuil officiel servent diverses censures qui cachent l’urgence climatique, la pandémie, la folie meurtrière de la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine, la flambée de l’inflation, la montée des mouvements néo-fascistes et l’aggravation des inégalités sociales, qui seront ignorées alors que la presse sera mobilisée pour vomir des éloges fleuris.

reine_resurection

Ressuscitera-t-elle le 18e jour, question posée par ce montage qui circule sur les réseaux sociaux.


tuvalu-eau-2[1] Tuvalu est un archipel polynésien menacé de disparition par la montée des eaux due au réchauffement climatique, d’où le discours frappant de son premier ministre s’adressant à l’Assemblée générale de l’ONU.

[2] In Gunboat Frontier: British Maritime Authority and Northwest Coast Indians, 1846-1890 Barry Gough

[3] Monarchs Belong in the Dustbin of History (substack.com)