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Stratégies pyromanes d’un oiseau australien qui affole ses proies en semant des feux tout autour.

Martine Delvaux : l’espoir malgré tout

L’autrice gagnante du Grand Prix du Livre de Montréal 2020 pour Boy’s club [1], une œuvre-phare féministe aux nombreuses références pertinentes, récidive aujourd’hui sur un tout autre registre, non universitaire, dangereusement poétique. Dans son nouvel opus édité par Héliotrope, Pompières et pyromanes, Martine Delveaux survole le champ de ruines fumantes du monde supplicié par le réchauffement climatique, sans qu’aucune contradiction n’échappe à l’esprit vigilant de la professeure en lettres de l’UQAM. Je suggère au lecteur, à la lectrice, d’oublier le conte russe à l’origine de l’œuvre éponyme de Stravinsky, l’Oiseau de Feu, pour se concentrer sur le contraste initial de cette version [2] où des femmes violoncellistes présentent la mélodie initiale lancinante à la basse sombre, tandis que les bois ailés sont confiés à des hommes. L’atmosphère sera ainsi lancée et propice à aborder 182 pages qui vous secoueront, comme le furent les auditeurs de 1910 par les violentes couleurs transfigurées par Diaghilev.

La marque d’une intelligence de premier plan, écrivait F. Scott Fitzgerald, est qu’elle est capable de se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner. On devrait, par exemple, pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et être cependant décidé à les changer. Après cette citation d’entrée de jeu, Martine nous offre : « est-il vrai que le contraire de la mort, ce n’est pas la vie, mais l’espoir? » Elle prendra connaissance, si ce n’est déjà fait, de L’espoir malgré tout, publié aux Presses de l’Université du Québec par divers scientifiques de l’environnement, un ouvrage consacré à Pierre Dansereau 1911-2011, dont on commémore la mort il y a dix ans très exactement au moment où j’écris ces lignes.

Quelques extraits fulgurants

Incorrigible universitaire, voici que je viens d’avoir recours en préambule à une citation raisonnable, alors que Martine se lance corps et âme dans des citations incendiaires telles :

Mettre le feu à la littérature. Notre tâche commune. L’art doit rendre le monde insupportable, en montrant à quel point le monde l’est dans la réalité, et c’est en montrant à quel point il est insupportable qu’on peut donner l’énergie et l’inspiration aux autres pour le rendre plus supportable, plus beau. Édouard Louis.

Les suffragettes britanniques envoyèrent au révérend de l’Église All Saints qui venait de brûler une carte disant : Let there be light. The price of liberty. Votes for Women.

Le 4 juin 1972, devant l’Hôtel de Ville de Montréal, une poète s’est immolée par le feu en criant : « Vous avez détruit la beauté du monde ». Huguette Gaulin a ainsi inspiré la chanson de Luc Plamondon – Diane Dufresne « Ne tuons pas la beauté du monde ».

Dans Our house is on fire, la mère de Greta Thurnberg raconte l’état d’éco-anxiété de sa fille Asperger : elle voyait ce que nous refusions de voir, on aurait dit qu’elle voyait les émissions de CO2 à l’œil nu.

Alexandria Ocasio-Cortez est traitée de fucking bitch par ses collègues républicains à la Chambre des Représentants, pendant que l’éditrice russe Irina Slavina s’immolait par le feu, il y a un an, devant le ministère de l’Intérieur qui la harcelait.

Le 15 avril 2018, David Buckel, 60 ans, s’immole par le feu, en laissant près de lui une note manuscrite Je m’appelle D. B. et je viens de m’immoler par le feu en signe de protestation. Désolé pour le dégât. La veille, il avait fait parvenir au NY Times un message disant que sa mort prématurée causée par un carburant fossile reflèterait ce que nous sommes en train de nous infliger; la pollution que nous produisons rend l’air irrespirable et cette planète inhabitable. Cinq jours après, le journal publiait: A man set himself on fire. We barely noticed. Mais deux ans plus tard, son mari se sent mobilisé par le deuil de la personne aimée, à l’image du deuil annoncé de cette planète. Seuls la tristesse et son infini ressac ont le pouvoir de nous mobiliser, écrit-il.

Before, I was not a witch / But now I am one. Margaret Atwood.

Je m’occupe de l’histoire laissée de côté, explique Svetlana Alexievitch au moment de recevoir le prix Nobel de littérature. J’ai entendu plus d’une fois, et je l’entends aujourd’hui, que ce n’est pas de la littérature, que c’est un document. Mais qu’est-ce que la littérature aujourd’hui?

Voir l’humanité comme une sorte de parasite qui doit être expulsé de cette planète est la porte d’entrée du racisme; le glissement est facile entre « la planète serait mieux sans nous » et « la planète serait mieux sans eux. » Le désespoir est le combustible du fascisme.

Nos enfants vous parlent, qui les écoute ?

On vous décrit comme des enfants-rois, des enfants-reines. Vous pour qui l’avenir est bouché. (…) On préfère vous penser capricieux-ses plutôt que d’admettre qu’on ne veut rien entendre de vos cris. De vos demandes. Qu’on n’en a rien à faire de votre exigence. De votre lucidité. De vos paroles impitoyables de vérité. De votre tristesse, aussi, profonde, et de votre déception. Ce n’est pas de la peur que vous ressentez envers les adultes qui vous entourent, c’est de la honte. Nous vous faisons honte. Un jour, c’est sûr, vous mettrez le feu aux poudres.

Ils font le monde / sans nous /ils font les lois / sans nous / mais il nous reste un pouvoir / un pouvoir qu’on est les seules à pouvoir exercer / à partir d’aujourd’hui / nous refuserons d’enfanter. Fanny Britt et Alexia Bürger.

La sagesse, en cette époque qui se trouve devant la possibilité de la fin de tout, devant une apocalypse scientifiquement annoncée, consiste à faire coïncider la pensée avec le pansement, écrit Bernard Stiegler, qui s’enlève la vie après avoir publié Qu’appelle-t-on panser ? La leçon de Greta Thunberg, qu’il admirait tant.

Alexandra Villaseñor, treize ans, asthmatique, était à 200 kilomètres de Paradise en Californie et elle suffoquait à cause de la fumée. Elle est entrée d’urgence pour faire la grève devant les Nations Unies tous les vendredis, comme sa modèle Thunberg.

Autumn Pelletier, quinze ans, est nommée commissaire en chef de l’Eau par la nation anichinabée.

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[1] Aux Éditions du Remue-Ménage; le Boys’ club n’est pas une institution du passé. Il est bien rampant, tentaculaire: États, Églises, armées, universités, fraternités, firmes… et la liste s’allonge.

[2] Stravinsky : L’Oiseau de feu (Orchestre philharmonique de radio France / Mikko Franck) 2 mai, 2019 YouTube France-Musique