Le cofondateur de l’OIAC José Bustani

bustaniVoici l’homme par qui le scandale arrive, il s’agit de l’ex-directeur de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC – OPCW) qui accuse l’organisme d’avoir falsifié des données au sujet de supposés bombardements syriens. Cette annonce a eu l’effet d’une bombe qui a coupé la parole aux médias occidentaux. Il nous semble important de relayer cette nouvelle du 29 avril : Lawrence Wilkerson, ex-chef de cabinet de Colin Powell (qui se connaissait bien en falsification!), s’adressant au Conseil de sécurité de l’ONU, y a dénoncé les dissimulations de l’OIAC au sujet de la Syrie. Il exige la lumière sur ce scandale par une lettre contresignée par cinq anciens cadres de OIAC, y compris son fondateur José Bustani (photo ci-contre), ainsi que par Noam Chomsky, Daniel Ellsberg et deux anciens cadres de l’ONU, Denis Halliday et Hans von Sponeck. Les signataires demandent à l’OIAC de clarifier la controverse entourant l’enquête sur la supposée attaque chimique à Douma, en Syrie, au mois d’avril 2018. Car ses dissimulations remettent en question la fiabilité de certains rapports précédents de missions de renseignements (FFM, fact-finding missions), dont l’enquête sur les attaques de Khan Shaykhun en 2017.

Cette annonce n’a pas surpris les Conférences mondiales sur la Science et les Affaires Mondiales (Pugwashgroup.ca), notre respecté collègue à Vienne, Tariq Rauf, nous faisant part récemment de l’entrevue du diplomate de carrière Hans von Sponeck qui affirmait ne plus reconnaître l’organisation aux considérations politiques partisanes faisant obstruction à un examen objectif des circonstances entourant l’usage allégué d’armes chimiques mortelles à Douma. Il nous a aussi transmis le plaidoyer d’Aaron Maté du 16 avril 2021, comme il l’avait fait l’an dernier pour un communiqué du SIPRI selon lequel les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et leurs alliés au Conseil de sécurité avaient bloqué le témoignage du premier directeur-général de l’OIAC sur un camouflage allégué. (Mon collègue albertain Jez Littlewood a sévèrement commenté mon 1er article pour laisser impunie la Russie qui continuerait allègrement ses attaques chimiques de Novichok).

Lors des préparatifs de la guerre en Irak, le Brésilien José Mauricio de Figueiredo Bustani avait été évincé par une manœuvre de l’Américain John Bolton, craignant à juste titre qu’il ne tente de dénoncer l’invasion de Bush en 2003 en contredisant l’affirmation mensongère selon laquelle Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Au Canada, bien renseigné par l’envoyé de l’ONU Hans Blix et par les manifestations pacifistes d’un quart de million de marcheurs à Montréal, Jean Chrétien refusa de se joindre aux États-Unis et au Royaume-Uni dans cette guerre. C’est sans doute pourquoi – pardonnez cette évaluation personnelle -, il fut évincé du pouvoir par le complexe militaro-industriel au profit de Paul Martin. Ensuite Stephen Harper engagera les coûteuses ressources militaires canadiennes dans les conflits afghan, syrien et libyen. Justin Trudeau et le sexiste Harjitt Sajjan perpétuent ces pratiques funestes avec une hausse de 2,9% des dépenses militaires en pleine année de pandémie !

Le tristement fameux « massacre » de Douma

En novembre 2019, Jonathan Steele signait un article accusant l’OIAC d’avoir trafiqué les preuves recueillies par ses propres inspecteurs. « Les affirmations comme quoi les troupes du président Bashar al-Assad auraient eu recours à des armes chimiques sont aussi vieilles que la guerre civile syrienne. Elles ont suscité de fortes réactions, en particulier au sujet de la supposée attaque de la zone sous contrôle de l’opposition à Douma, près de Damas en avril 2018, lors de laquelle on dit que 43 personnes sont mortes gazées au chlore. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France répliquèrent par des attaques aériennes sur des cibles de la capitale syrienne. Les attaques étaient-elles justifiées ? »

Steele relate ensuite « un briefing à Bruxelles pour des gens de plusieurs pays, issus du désarmement, du droit international, des militaires, de la médecine et du renseignement. Parmi eux, Richard Falk, ancien rapporteur spécial de l’ONU en Palestine ». Deux des huit membres de la Douma Fact-Finding Mission, incluant Ian Henderson, expert en balistique sud-africain et responsable du sous-groupe d’ingénierie, prétendirent que des preuves avaient été éliminées pour laisser le champ libre à un rapport réécrit par des cadres supérieurs, lequel contredisait leurs conclusions. « Deux cylindres contenant sans doute du chlore ayant été découverts dans l’édifice où on trouva au moins deux douzaines de cadavres, les inspecteurs examinèrent initialement l’hypothèse selon laquelle les cylindres auraient été largués d’un hélicoptère gouvernemental, comme l’affirmaient les rebelles. Tous les membres de l’équipe sauf un étaient d’accord avec Henderson, à l’effet qu’il se pouvait fort bien que les cylindres aient été déposés sur place à la main », ce qui rendait très plausible une macabre mise en scène ourdie par les rebelles.

Or cette conclusion plus plausible fut ignorée dans le rapport bidon publié par l’OIAC dont on peut penser qu’il avait pour but de préserver les pulsions guerrières occidentales contre la Russie et la Syrie. Ou alors l’OIAC était-elle trop confiante en ses rapports controversés sur l’usage de gaz sarin et chloré à Latamné (mars 2017) et Saraqib (février 2018), en dépit des réserves d’autres experts ?

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L’OIAC voit donc sa crédibilité sérieusement entamée

Un collègue universitaire britannique, Piers Robinson, s’est déclaré en accord avec les conclusions de Steele sur Douma. Il y a deux semaines, sur Pressenza.com, il expliqua le mode de fonctionnement de l’OIAC, par exemple la différence notable entre la philosophie de l’organisme, ses missions risquées de renseignement (FFM) et l’attribution des responsabilités dans des rapports de terrain (ITT).

S’il reconnaît que « l’OIAC et les membres de son personnel se dévouent et font un excellent travail », Robinson croit néanmoins qu’un problème majeur provient d’enquêtes sur les événements allégués en Syrie conduites par des missions de renseignement qui, au lieu d’être soumises directement aux vérifications du département des inspections, aboutissent au Bureau du Directeur général occupé par le britannique Robert Fairweather suivi du français Sébastien Braha. Ces diplomates de carrière auraient exercé une influence politique sur des rapports qui auraient dû rester scientifiques et objectifs par définition.

Les médias manipulent les faits

Les travaux de M. Robinson furent attaqués sur la Une du journal The Times : « Des Assadistes travaillent dans des universités britanniques, des conspirationnistes tentent de faire croire qu’Assad n’a pas utilisé d’armes chimiques », suivi par (je cite M. Robinson) « un édito qui réclamait notre tête, avec une photo, et tout. C’était une attaque extraordinairement concertée contre un groupe d’universitaires virtuellement inconnus, nous disions simplement que bon, il y a des questions qui doivent être posées sur la guerre en Syrie, et c’est le boulot des universitaires ».

À titre de directeur de l’Organisation for Propaganda Studies, Robinson ajoute : « Les médias de masse sont très proches des pouvoirs politiques et économiques (…) Cela a pris un certain temps avant que les médias américains ne remettent en question la guerre du Vietnam. De nombreux médias appuyaient l’invasion de l’Iraq en 2003 (…) On sait que l’industrie est vulnérable, avec des journalistes sous contrats à court-terme, avec une propension au recyclage, où on ne fait que recycler les communiqués de presse ».

Selon nous, Robinson fait référence à ce que l’ONG Swiss Propaganda Research a retracé, la manipulation des médias de masse par des sources américaines à New York, Londres et Paris. Quant à mon article les Casques Blancs héros propagandistes, il fut étiqueté par certains comme une « théorie du complot », même si je suis un ferme opposant à ce genre de théories. Je crois plutôt que l’avidité et la paresse sont souvent à la base des comportements violents et expliquent pourquoi les journalistes préfèrent se fier à ce qu’on leur fournit en informations internationales, contents de publier, sans soucis de la part de leurs employeurs, « 82% de leurs commentaires en faveur des États-Unis et de l’OTAN », selon les chercheurs suisses. L’avidité et la paresse peuvent également expliquer certaines des publications des théoriciens du complot avides de spectaculaire dont les réseaux sociaux sont friands !

Conclusions

A. Robinson termine avec sagesse : « Ne me croyez pas, ni aucun journaliste, sur parole. Regardez les documents disponibles et usez de votre jugement. Pas facile, mais c’est ça la démocratie. Je crois que la démocratie implique un certain travail de la part des citoyens. Si on est apathiques, on perd la démocratie, pas vrai ? »

B. Tout comme Pressenza.com, les Artistes pour la Paix préfèrent souligner les bons côtés de la paix et de la résolution non-violente des conflits, telle que pratiquée par le général John de Chastelain en Irlande, pour laquelle il a été décoré d’une médaille pour la paix par l’Organisation Fédéraliste Mondiale.

C. Réagissant à l’avertissement par Jez Littlewood trouvant hypocrite la déclaration de M. Poutine que « la Russie appuie pleinement l’universalisation et le renforcement des régimes internationaux qui bannissent les armes biologiques et chimiques», nous lui demandons de la considérer aussi sur un angle favorable. Par exemple, serait-ce possible d’envisager que forte de l’appui de 193 pays (exceptions notables, Israël et la Corée du Nord), l’OIAC s’intègre pleinement au bureau de l’ONU sur les Affaires en Désarmement (UNODA)? Cette intégration rendrait plus difficile d’une part, pour les pays délinquants, de contester ses rapports, d’autre part d’être manipulables par les puissances. Car on reste reconnaissant à l’OIAC d’avoir évité, à l’incitation de la Russie, une invasion de la Syrie en août 2013, ce pourquoi elle a reçu le Prix Nobel de la Paix. Et si vous lisez cet article, vous y trouverez l’ancien vice-président canadien de Pugwash, Walter Dorn, dont la passionnante théorie de « plausible deniability » en cinq étapes pourrait confronter les allégations syriennes. Mais plus important, réfléchissons aux guerres qui allaient, avec la complicité de l’officier britannique James le Mesurier créateur des Casques Blancs chers à l’OTAN et à la ministre Chrystia Freeland non contredits par le NPD, contribuer à coûter à la Syrie l’exil de plus de 4 millions de réfugiés et près de 400 000 morts