Rachad Antonius, professeur titulaire de sociologie à l’UQAM

Lundi 3 mars 2014,

Cher Rachad,

Les Artistes pour la Paix t’ont félicité pour ton patient cours d’histoire parcourant une situation politique pourtant complexe en un temps restreint à l’émission Tout le monde en parle (http://ici.radio-canada.ca/emissions/tout_le_monde_en_parle/saison10/document.asp?idDoc=328679#leplayer). Je t’ai dit combien j’étais fier d’être ton collègue de l’UQAM, avec qui c’est un honneur de partager tant de positions humanistes, par exemple sur la pauvre Syrie. Si on n’a pas appuyé comme toi le coup d’état militaire en Égypte (je manifestais jeudi devant son consulat pour exiger la libération de journalistes emprisonnés), nous avons néanmoins reconnu son mérite d’avoir écarté du pouvoir le fanatique islamiste Mohamed Morsi.

Ton intervention à TLMEP, «qui remettait les pendules à l’heure » après la navrante performance du ministre Chris Alexander la semaine précédente, n’a pas manqué de susciter des critiques qui l’ont jugée trop pro-palestinienne. Mais n’est-ce pas inévitable quand notre gouvernement se vautre dans une complaisance face au mur et aux colonies installés par Netanyahou, qui empiètent sur le territoire palestinien et mettent en péril le processus de paix d’Oslo, repris par John Kerry ? Ma position sur l’Ukraine risque de subir le même reproche http://artistespourlapaix.org/?p=4985 , alors qu’elle cherche aussi à équilibrer le point de vue incroyablement partial des mêmes médias et gouvernements (du moins dans les premiers jours qui ont suivi les Olympiques : se rendent-ils compte maintenant de leur bévue?).

Il faut louer les grandes connaissances historiques de ta principale interlocutrice, madame Lise Ravary, qui critique aussi les infâmes colonies israéliennes en territoire palestinien. Pourquoi ne peut-elle en rester à un simple échange de points de vue, étayés sur des faits historiques ? Les Artistes pour la Paix déplorent les accusations de «discours propagandiste» qui alourdissent ses deux interventions et constituent hélas 100% des propos de Maître Luciano G. Del Negro. En effet, le vice-président du Centre consultatif des relations juives et israéliennes a envoyé une lettre à Luc Wiseman d’Avanti, prétexte à copies conformes à l’ombudsman Pierre Tourangeau, au président-directeur général Hubert T. Lacroix, au vice-président principal des services français Louis Lalande et à la rédactrice-en-chef Carole-Andrée Laniel de Radio-Canada. En outre, M. Del Negro, en prenant en témoins de son indignation les ministres conservateurs, vise à nos yeux non pas une rectification honnête des faits que tu as évoqués avec M. Yacob Rabkin, mais tente d’étouffer par un appel à la censure des plus honteux votre position sans la critiquer (le pourrait-il ?) et celle de tous ceux qui auraient le courage de prendre ta relève.

Les Artistes pour la Paix souhaitent évidemment que cette tentative sera démasquée comme un pathétique refus de la réalité, typique du gouvernement Netanyahou, comme en fait foi l’article suivant du journaliste britannique domicilié à Nazareth, Jonathan Cook.

Amitiés et solidarité,

Pierre Jasmin
vice-président des Artistes pour la Paix et professeur titulaire à l’UQAM

Montréal, le 25 février 2014

Chers amis du National Council on Canada-Arab Relations,   

Les Artistes pour la Paix seraient heureux et honorés, suite à votre invitation, de figurer parmi les organismes endossant votre conférence samedi prochain, le 1er mars, par le journaliste anglais Jonathan Cook. 

Hélas, notre présidente Guylaine Maroist n’est pas disponible pour assister à cette conférence qui saura, nous en sommes persuadés, fournir au Québec un regard original et crucial sur les Palestiniens cherchant plus d’égalité et d’équité à l’intérieur d’Israël, vu que M. Cook réside depuis plusieurs années à Nazareth; incidemment, Nazareth n’a pas que des consonances bibliques, elle est aussi la ville natale du regretté père palestinien exilé au Liban de notre amie Mère Agnès-Mariam de la Croix, qui fait tant pour la paix et la médiation en Syrie et dont nous appuyons la candidature au prix Nobel 2014 endossée par Mairead Maguire (elle-même prix Nobel de la Paix 1976).

L’appui des Artistes pour la Paix à votre conférence a été voté à l’unanimité de notre conseil d’administration réuni hier soir le 24 février à l’Université du Québec à Montréal, en présence du militant pour la paix irano-québécois Amir Maasoumi, et l’annonce de votre conférence au 3505 Atwater sera donc, nous vous en assurons, partagée avec plusieurs de nos membres et amis.

Voici la teneur des propos de monsieur Cook reflétés par un article:

Israël : dans sa bulle de négations de la réalité,

par Jonathan Cook

28 février 2014

La visite de 24 h en Israël, cette semaine, de la chancelière allemande Angela Melkel intervient au moment où les relations entre les deux pays sont au plus bas. Selon un article paru dans le magazine Der Spiegel la semaine dernière, Merkel et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ont eu des mots très durs lors de leur discussion par téléphone à propos du processus de paix chancelant.

En dépit de leurs sourires devant les caméras au cours de la visite, la tension derrière les décors avait monté jusqu’à une engueulade diplomatique en début de ce mois quand Martin Schulz, président du Parlement européen, et lui-même allemand, a prononcé un discours devant le Parlement israélien.

Dans un chahut sans précédent, un groupe de députés israéliens a grossièrement interrompu Schulz, le traitant de « menteur », puis ce groupe, conduit par le ministre de l’Économie Naftali Bennet, a mis en scène sa sortie de l’hémicycle. Au lieu de présenter ses excuses, Netanyahu est intervenu pour vilipender le dirigeant européen pour avoir été mal informé.

Schulz qui comme Merkel est considéré comme un proche ami d’Israël, a profité de son discours pour s’opposer avec véhémence aux appels qui se multiplient en Europe pour un boycott d’Israël. Mais alors, comment a-t-il pu soulever une telle réprobation contre lui ?

Le principal délit de Schulz est dans sa question : est-il vrai, comme il l’a entendu lors de ses rencontres en Cisjordanie, que les Israéliens ont accès à quatre fois plus d’eau que les Palestiniens ? Et il a encore plus contrarié les députés en sous-entendant, avec ménagement, que le blocus israélien de la bande de Gaza gênait son développement économique.

Aucune déclaration ne pourrait être moins controversée que celle-ci. Les chiffres d’organismes indépendants, comme la Banque mondiale, démontrent qu’Israël, qui contrôle la fourniture de l’eau dans la région, alloue par habitant environ 4,4 fois plus d’eau à sa propre population qu’aux Palestiniens.

De même, il serait difficile d’imaginer que toutes ces années pendant lesquelles il a refusé à Gaza nourriture et matériels, où il a bloqué les exportations, n’aient pas ravagé son économie. Le taux de chômage, par exemple, est augmenté de 6 %, montant à 38,5 %, après la décision récente d’Israël d’empêcher tout transfert de matériaux de constructions pour le secteur privé de Gaza.

Mais il est rare que les Israéliens entendent de tels propos, que ce soit de leurs politiciens ou de leurs médias. Et ils sont peu nombreux à être prêts à entendre quand une voix, rare, intervient, comme celle de Schulz dans son discours. Les Israéliens se satisfont de vivre dans une grosse bulle de négations de la réalité.

Netanyahu et ses ministres font tout ce qu’ils peuvent pour renforcer cette bulle, tout comme ils essaient de protéger les Israéliens du fait qu’ils vivent au Moyen-Orient, et non en Europe, en construisant des murs de tous côtés – tant physique que bureaucratique – pour exclure les Palestiniens, les voisins arabes, les travailleurs étrangers et les demandeurs d’asile.

En Israël, le gouvernement cherche à faire taire les rares voix critiques de la gauche. L’intimidation a été nettement visible cette semaine, quand la Cour suprême a eu à juger de la constitutionnalité de la récente « loi relative au boycott », laquelle loi menace de mettre en faillite quiconque appelle au boycott d’Israël comme des colonies.

Fait révélateur, un avocat du gouvernement a défendu la loi en plaidant qu’Israël ne pouvait se permettre la même liberté d’expression que celle dont profitent des pays comme les États-Unis.

Illustrant ce point, un tumulte a accueilli l’information le mois dernier qu’un professeur d’éducation civique a répondu par la négative quand des élèves lui ont demandé s’il pensait que l’armée d’Israël était la plus morale du monde. Une campagne pour le faire mettre à la porte a été conduite par des ministres du gouvernement et par son proviseur, et qui déclarait : « Il y a des vaches sacrées que je ne laisserai pas être abattues ».

De même, la semaine dernière, il est apparu qu’un Palestinien de Jérusalem-Est avait été interrogé par la police pour incitation, après qu’il eut diffusé sur Facebook que sa ville était « sous occupation ».

À l’extérieur d’Israël, Netanyahu se livre à des tactiques plus communes pour intimider les critiques. Voulant tirer parti de la sensibilité européenne, il a accusé ceux qui soutiennent un boycott d’être « des antisémites classiques en costume moderne ». Netanyahu a justifié son allégation, comme il l’a déjà fait, en soutenant que c’est Israël qui est pris pour cible.

Il semble que ce soit la seule voie pour les Israéliens, car ils se sont singulièrement isolés de la réalité.

Les critiques en Occident se concentrent sur Israël parce que, contrairement à des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran, il a réussi à éviter toute pénalité alors qu’il foule aux pieds les normes internationales depuis des décennies.

L’Iran, soupçonné seulement de développer en secret des armes nucléaires, subit depuis des années des sanctions extrêmement lourdes. Israël, qui soustrait son important stock d’ogives nucléaires de la surveillance internationale depuis la fin des années soixante, profite d’une couverture diplomatique sans fin.

Contrairement à ce que prétend Netanyahu, de nombreux pays dans le monde ont été visés pour des sanctions par les États-Unis et l’Europe – que ce soit sur le plan diplomatique, financier, ou, comme dans le cas de l’Iraq, de la Lybie et de la Syrie, sur le plan militaire.

Mais l’antipathie envers Israël prend ses racines bien plus profondément encore. Israël n’a pas seulement échappé à ses responsabilités, il a reçu de généreuses récompenses tant des États-Unis que de l’Europe pour son mépris des conventions internationales dans son traitement des Palestiniens.

Ceux qui se sont autoproclamés les gendarmes du monde ont encouragé Israël dans ses infractions en ignorant systématiquement ses transgressions et en prolongeant leurs subventions massives et leurs accords commerciaux préférentiels. Dans le cas de l’Allemagne, l’un des profits les plus significatifs fut la décision de fournir à Israël une flotte de sous-marins Dolphin, laquelle permet à Israël de transporter son arsenal nucléaire clandestin dans toutes les mers.

Loin de porter un jugement injuste sur Israël, Schulz, Merkel et la plupart des dirigeants occidentaux se livrent régulièrement à des plaidoiries toutes particulières pour le défendre. Ils connaissent l’effroyable occupation par Israël, mais ils répugnent à exercer leur pouvoir pour aider à ce qu’il y mette fin.

Si la critique populaire d’Israël est actuellement galvanisée autour du mouvement de boycott – ce que Netanyahu appelle pompeusement « délégitimation » – c’est parce que ce mouvement propose un moyen pour les Américains et Européens ordinaires de prendre leur distance avec la complicité de leur propre gouvernement dans les crimes d’Israël.

Si Netanyahu a refusé d’entendre ses critiques à l’extérieur, les gouvernements occidentaux n’ont pas été moins fautifs en étant de plus en plus indifférents à la vague de sentiments nationaux qui s’attendent à ce qu’Israël soit contraint de se plier au droit international.

Tant les subtilités diplomatiques de Merkel que ses prises de bec ont prouvé leur totale inefficacité. Il est temps, pour elle et pour ses homologues occidentaux, d’arrêter de discuter et de prendre des mesures contre Israël. 

Jonathan Cook a remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses livres les plus récents : « Israël et le clash des civilisations : Iraq, Iran et le Projet pour un nouveau Moyen-Orient » (Pluto Press) et « La disparition de la Palestine : les expériences d’Israël dans le désespoir humain » (Zed Books). Son site : http://www.jonathan-cook.net/

Enfin, pour ceux qui douteraient de l’existence des sous-marins israéliens armés de bombes nucléaires, ils trouveront ci-dessous ma lettre du 3 juin 2010 qu’aucun média n’a voulu publier, alors qu’elle était co-signée par la future prix Nobel de littérature Alice Munro ainsi que par notre amie Margaret Atwood, revenant d’Israël où on lui avait remis le prestigieux prix Dan David!

Montréal, 3 juin 2010 

Le Très Honorable Stephen Harper

Monsieur le premier ministre du Canada,

Nous portons d’abord les faits suivants qui nous préoccupent à votre attention  

1- L’attaque le 31 mai dernier par Israël d’humanitaires rassemblés dans une flottille de paix désarmée, voguant en eaux internationales, porteuse de vivres, fournitures scolaires et médicales et de matériaux de construction, nous révolte.

2- Coupés du monde par le Tsahal et la volonté politique du premier ministre Benjamin Netanyahu, les civils de Gaza meurent par dizaines par manque de ressources médicales et de vivres et par conséquences des destructions de conduites d’eau potable et d’égouts lors de l’invasion de Gaza par Tsahal en janvier 2009. Le rapport Goldstone, auquel les Artistes pour la Paix ont apporté leur entier appui, y compris sa condamnation des tirs de roquettes palestiniennes aveugles contre la population civile israéliennehélas réitérées cette semaine en représailles contre une attaque israélienne qui a causé morts d’hommes – a détaillé d’autre part les crimes de guerre et contre l’humanité dont se serait alors rendu coupable Israël. Le sculpteur et vice-président des Artistes pour la Paix Daniel-Jean Primeau avait voulu en mai 2009 constater de ses yeux l’étendue des dommages et apporter son aide aux écoliers de Gaza, mais Tsahal l’en a empêché. Outre son témoignage, d’autres visiteurs d’Israël et de la Palestine nous ont informés du climat de répression régnant : l’écrivaine Margaret Atwood (cf son article The shadow publié cette semaine dans Ha’aretz) et le cinéaste Martin Duckworth, de retour d’Israël ce 3 juin.

3- Des documents signés en 1975 par Shimon Peres où Israël offrait des bombes nucléaires au régime criminel d’apartheid d’Afrique du Sud, prêt à s’en servir contre ses voisins, ont été déterrés. Le Sunday Times de Londres (30 mai) nous apprend que trois sous-marins israéliens équipés de missiles porteurs de charges nucléaires, appartenant à la flotte 7 et identifiés par les noms Dolphin, Tekuma et Leviathan, patrouillent au large de l’Iran et que chacun des colonels à la tête de leurs équipes d’une trentaine d’hommes pourrait y déclencher ces bombes. On vient de constater de la part de la marine israélienne un mépris total de la vie d’humanitaires pourtant animés par une compassion légitime non hostile à Israël. Mesure-t-on le danger de catastrophe sans précédent dans l’histoire de l’humanité auquel nous exposent ces militaires armés de bombes nucléaires, face à un pays gouverné par Ahmadinejab qui a déjà clamé sa volonté d’éradiquer Israël ? 

Solution internationale en vue 

Nous appuyons sans restriction l’appel lancé de façon unanime par les 189 nations signataires de la résolution finale adoptée le 28 mai lors de la conclusion de la révision du Traité de non-prolifération nucléaire à New York (ONU). Le Canada s’est félicité de ce succès, sans dire un mot (cf communiqué de Lawrence Cannon, ministre des Affaires étrangères) sur la convocation en 2012 d’une conférence sur un Moyen-Orient libre d’armes nucléaires pourtant un élément clé de cette résolution. Le Canada doit jouer un rôle positif et favoriser cette conférence, en trouvant une façon d’assurer la sécurité d’Israël, sans besoin d’armes nucléaires qui aux mains de militaires à la mèche courte pourraient mener l’humanité entière à sa perte.

Nous prions donc votre gouvernement de

1- demander à l’ONU une enquête impartiale sur l’arraisonnement meurtrier de la flottille de paix par la marine israélienne

2-  exiger d’Israël la levée du blocus de la Bande de Gaza

3- de travailler dès maintenant aux côtés de l’ONU au succès de la conférence 2012 voulant assurer un Moyen-Orient sans armes nucléaires

Ont signé :

Pierre Jasmin, pianiste et président des Artistes pour la Paix

Margaret Atwood, écrivain et vice-présidente de PEN international

Robin Collins, écrivain

Martin Duckworth, cinéaste et Artiste pour la Paix 2002

Andrée Ferretti, écrivain

Graeme Gibson, écrivain

Georges Leroux, philosophe et vice-président de l’Académie des Lettres du Québec

Pascale Montpetit, comédienne

Alice Munro, écrivaine qui a reçu en 2013 le Prix Nobel de littérature

Daniel-Jean Primeau, sculpteur et vice-président des Artistes pour la Paix

Yvon Rivard, écrivain

Louise Warren, poète

Claudio Zanchettin, philosophe

Je rappelle enfin ma participation à la conférence internationale Pugwash de Berlin (voir mon rapport daté de 2011 sur www.pugwashgroup.ca : cliquer sur en français) où je suis intervenu en médiation entre l’ex no un du Mossad israélien et l’ambassadeur iranien à l’Agence internationale d’énergie atomique (Vienne). J’ai exprimé ma préoccupation face aux armes nucléaires israéliennes et face à l’enrichissement d’uranium par l’Iran, tout en y soulevant le problème des autres armes de destruction massive, entre autres chimiques, puisque ni Israël, ni la Syrie, ni l’Égypte n’avaient ratifié le traité en interdisant le stockage.  Ce sujet est devenu critique deux ans plus tard, avec une intervention de l’ONU favorisée par Vladimir Poutine pour en débarrasser la Syrie.