Souvenirs personnels par Pierre Jasmin
(s’ils vous intéressent, à 48 heures du centenaire, le 24 août, de René Lévesque)

Jalons de mon éveil politique aux valeurs nationales

rene_levesque_livre_ressourcesJ’aime cette photo de l’homme qui se penche pour observer de près la grandeur et le bouillonnement révolutionnaire de son pays.

Chez VLB éditeur, Alexandre Stefanescu et Céline Saint-Pierre, proches collègues respectivement au collège Stanislas et à l’UQAM, cernaient en avril 2015 le domaine des ressources naturelles et du développement économique où l’intervention du ministre fut déterminante à l’intérieur du parti libéral, Jean Lesage n’ayant d’autre choix que de laisser son ministre le plus populaire accomplir son destin, en miroir du destin du Québec.

C’est en 1960 sur une piste de ski que me fut présenté par mon père Yves son collègue journaliste pour qui je ressentais déjà à onze ans un sincère attachement à essayer de comprendre les subtilités de son émission internationaliste Point de mire – toutefois, mes parents soucieux de préserver un vernis moral imposé par la société d’alors qui avait ignoré le Refus Global avaient tu ses liens hors mariage avec ma mystérieuse et lointaine cousine Judith, que l’UQAM perpétue avec raison par son pavillon éponyme.

Seul parti auquel j’ai adhéré dans ma vie dès mes dix-neuf ans, Le Mouvement souveraineté-association tenait ses assises au Couvent Saint-Albert-le-Grand, lieu des liens intellectuels et catholiques-progressistes que j’entretenais avec les pères dominicains, dont mon ami Yves Gosselin et l’audacieuse revue Maintenant.

À propos « valeurs québécoises » évoquées par Bernard Drainville et Pauline Maroist qui provoquèrent sans doute l’échec de la réélection du PQ en 2014, il n’est pas inutile de rappeler que Lévesque résista au changement de nom du parti, suggéré entre autres par son allié de circonstance de l’ex-Ralliement national, le créditiste Gilles Grégoire, car ce changement était à ses yeux une sorte de rapt antidémocratique et nationaleux : comment un parti pouvait-il s’arroger, face aux autres, l’appellation exclusive de « parti québécois » ? Il s’y rallia finalement (faute de mieux ?) à la manière actuelle et méritante qui bouscule en France les noms sacro-saints des partis socialistes et communistes de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale), vu l’importance de rallier en cette époque guerrière tous les adhérents à la cause du bien commun.

Notons que Pierre Bourgault doit recevoir le principal crédit de l’union québécoise de 1969, puisqu’aux réticences marquées de Lévesque à son égard, il répondit en sabordant contre l’avis d’Andrée Ferretti son propre parti, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale, action décisive et généreuse que les résultats des élections du 3 octobre prochain devront probablement inspirer.

Valeurs plus proches des Artistes pour la Paix

C’est à l’action déterminante de Lévesque qu’on doit l’audace et les succès fabuleux du premier mandat des Camille Laurin, Lise Payette, Jacques-Yvan Morin, Denis Vaugeois, Robert Burns, Jacques Parizeau [1] etc. qui ont bâti le Québec fier que nous connaissons, avec l’aide de fervents artistes comme Pauline Julien et le poète-ministre Gérald Godin, Gilles Vigneault, Stéphane Venne, Jean Duceppe, Doris Lussier et Pierre Falardeau – qui tirera le seul profit pécunier de sa vie en achetant une maison à Sutton, en vente de feu provoquée par l’exil anglophone paniqué par l’élection du PQ en 1976 !

Pourtant, le nationalisme du « petit grand homme » était tempéré par son expérience internationale, ayant préféré au valeureux engagement patriotique choisi par mon père de l’armée canadienne contre les Nazis, celui de journaliste dans l’armée américaine, vivant ainsi une expérience humaine traumatisante et fondamentale, l’entrée comme premier témoin au camp de concentration allemand Dachau en mai 1945. Sans doute en ai-je été marqué, mon premier récital de piano hors institutions étant pour une organisation juive qui honorait la veuve du grand Yitzhak Rabin, assassiné par un juif, fanatique religieux d’extrême-droite empêchant ainsi la paix d’Oslo.

J’admirais la solidarité manifestée sans réserve par Lévesque à Martin Luther King et à Nelson Mandela, en dénonçant le racisme et l’apartheid : nul doute qu’à la manière de sa députée dans Maisonneuve et ministre Louise Harel, il s’indignerait aujourd’hui contre la dérive apartheid israélienne.

En avril 1970, j’irriterai l’autorité du doyen Helmut Blume de la Faculté de Musique de l’Université McGill en manquant mes deux derniers mois de cours débutés en 1966 pour militer à temps plein comme organisateur électoral en chef dans Ville Mont-Royal, alors section d’Outremont où je demeurais avec mes parents. La frustration du doyen ne put empêcher les profs progressistes – entre autres, Istvan Anhalt et les compositeurs draft dodgers américains – de m’accorder à l’occasion de mes baccalauréat et licence en musique la médaille d’or du ministre de l’Éducation, … quasi in abstentia. La récompense a été éliminée par la suite.

En apprenant de mon frère courriériste parlementaire au Montréal-Matin que j’occupais ce poste péquiste en un comté riche à majorité anglophone, Lévesque commenta, goguenard, en me regardant : « c’est pas un cadeau ! ».

Inutile de dire que comme pacifiste, j’appuierai la position de Lévesque contre le FLQ et ses actions violentes, ce qui ne m’a pas empêché d’adorer le film du fils de Paul Rose, qui illustre remarquablement bien la cause de la révolte felquiste : l’état misérable de la condition ouvrière québécoise et son exploitation éhontée.

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À la veille de terminer dans une adversité pénible son mandat comme Premier ministre, M. Lévesque fut invité par mon ami Pierre Péladeau et toute sa sympathique famille, à un récital Beethoven qui l’intéressa peu, ses goûts le portant prioritairement à la chanson québécoise, ce qui est parfaitement justifiable. M. Pierre-Elliott Trudeau, non représenté sur la photo même s’il était présent, s’intéressa à la pianiste taïwanaise Kuo-Yuen Lee assise à mes côtés : elle participa aussi au concert et plus tard au film Nos derniers jours à Moscou (ONF1988, Martin Duckworth) qui profita d’une lettre écrite par M. Trudeau à laquelle le dernier gouvernement communiste de l’URSS d’avant Perestroïka fut sensible en nous ouvrant les portes pour filmer le village peuplé de dissidents intellectuels Peredelkino et de la demeure de Boris Pasternak, auteur du Docteur Jivago : c’est là où je prenais en 1978 mes leçons de piano de son beau-fils, mon professeur Stanislav Neuhaus.

Un des successeurs de Lévesque, Lucien Bouchard, aura des passions artistiques qui auraient dû nous rapprocher, n’eût été de son élitiste mépris envers les laïcs Orphelins de Duplessis de mon confrère et très proche ami Bruno Roy, devenu secrétaire des APLP à ma demande. J’apprécie néanmoins l’intérêt que M. Bouchard porta à mon collègue regretté Joseph Rouleau et aux Jeunesses Musicales et aujourd’hui à l’Orchestre Symphonique de Montréal. De temps en temps, il a besoin d’être secoué de sa tour d’ivoire par des interventions telles que la splendide lettre vigoureuse (la vérité frappe !) de la sœur de René Lévesque : il a eu le bon esprit de se blâmer de sa légèreté lors de l’inauguration d’une cérémonie des cent ans de celui qui était le cadet de mon père de quelques mois…

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Secrétaire du C.A. du Centre Pierre-Péladeau, j’invitai en 1998 M. Bouchard à présider un concert-gala Ivo Pogorelich, via sa femme Audrey Best que je connaissais mieux.

En guise de conclusions

  • Soulignons le sage commentaire de Brian Mulroney: « Je n’ai jamais rencontré de plus grand démocrate que René Lévesque. »
  • Merci à Céline Saint-Pierre qui m’écrit: « J’étais présente au lancement de l’Année Lévesque à la Grande Bibliothèque, ayant été membre du CA de la Fondation durant de nombreuses années. Je tenais à y être pour René Lévesque avec qui ma famille a aussi un lien: mon père lui a succédé comme Ministre des Travaux publics dans le gouvernement Lesage en 1961. (…) Mais j’y suis allée avec un certain malaise. Je n’étais pas la seule et nous l’avons ressenti par le niveau d’applaudissements aux discours de Paul St-Pierre Plamondon et de Gabriel Nadeau-Dubois. Ils forment une relève qui se tient debout. (…) Ils ont su dire ce que plusieurs souhaitaient entendre. (…) Il y aura d’autres événements au cours de l’année et souhaitons qu’ils ramènent René Lévesque au-devant de la scène! »
  • L’ex-maire d’Amqui, Gaëtan Ruest, moteur de la résistance anti-nucléaire municipale à travers le Québec en 2012, écrit : « merci, Pierre, de nous partager tous ces précieux souvenirs en lien avec René Lévesque, le plus grand des premiers ministres que le Québec ait connu à ce jour! L’indépendance du Québec revient dans l’actualité et je m’en réjouis tout comme (…) le nouveau chef du PQ qui nous a livré un magistral discours lors de la soirée spéciale à la BaNQ !

 


[1] http://www.artistespourlapaix.org/monsieur-avait-lame-artistique/ 1er juin 2022