Traduit de l’anglais par Pierre Jasmin

 

conseil_vide

Photo : Archives AFP

Le Canada a échoué dans sa deuxième tentative de suite de gagner un siège au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Les Canadiens cherchent la cause de cet échec. J’en vois au moins quatre.

Afrique

Née et partiellement élevée en Ouganda, ayant travaillé au Parlement Africain, j’aimerais suggérer quelques raisons pour lesquelles des états-membres de couleurs « noires et brunes » auraient rejeté la candidature du Canada. Notre pays est identifié à l’international pour ses nombreux sièges sociaux de compagnies minières. Même si des membres de l’élite africaine vantent leurs bénéfices, ils n’en restent pas moins très préoccupés par les conflits communautaires et la destruction écologique engendrés par ces compagnies qui en outre esquivent leurs redevances et s’adonnent à de l’évasion fiscale. Leur but semble le plus souvent de faire le plus de cash possible, tandis que les diplomates canadiens ferment les yeux sur leur rapacité.

Faute de références autres que leurs voisins américains, les Canadiens ne perçoivent pas que leur pays glisse dans le militarisme avec des forces armées impliquées dans des missions de l’OTAN en Afghanistan, en Irak et en Lettonie. Sa marine royale construit présentement des navires de guerre Irving/Lockheed Martin au coût de $70 milliards. En 2011, le général canadien Bouchard a commandé les raids aériens de bombardements de la Libye, auxquels s’opposait avec vigueur l’Union Africaine. Les officiels de l’UA avaient prédit avec justesse que l’invasion guerrière de l’OTAN déstabiliserait non seulement ce pays, mais aussi toute la région : des marchés d’esclaves ont émergé en Libye et la violence s’est répandue dans tout le Sahel, y compris au Mali. L’élite africaine, qu’elle ait aimé ou pas Mouammar Kadhafi, appuie le principe de non-intervention étrangère armée dans les affaires de leurs pays, en respect de la Charte des Nations-unies.

Caraïbes

C’est ce même respect qu’exigent les petits états des Caraïbes. Et pourtant depuis deux ans, des officiels canadiens font pression directe ou indirecte sur les pays du CARICOM pour qu’ils se joignent à la campagne canado-américaine de renverser le gouvernement élu et reconnu par l’ONU du Venezuela. Accablés de dettes sous le chantage du Fonds Monétaire International, ces pays se voient liés par vidéo par le Premier ministre Trudeau avec le président autoproclamé du Venezuela, Juan Guaido. On peut donc comprendre la défaite du Canada au Conseil de Sécurité par des votes de petites îles comme la Grenade, qui avec ses quelque 100 000 habitants, cherche à se protéger de pouvoirs hégémoniques justement par le respect (non affiché par le Canada) de la Charte de l’ONU.

Palestine

Le bilan des gouvernements canadiens quant à la Palestine a aussi contribué à sa défaite. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau a voté CONTRE 67 résolutions onusiennes demandant le respect des droits palestiniens, endossées par la majorité des états membres de l’ONU. Ni l’Irlande ni la Norvège élus n’ont voté contre aucune d’entre elles.

Environnement

La campagne malhabile de promotion pour mousser la candidature canadienne vantait sa politique envers les changements climatiques. Les pays qui ont triomphé hier n’émettent per capita que la moitié de nos gaz à effet de serres : les émissions canadiennes ont augmenté de 15 millions de tonnes entre 2017 et 2018, ce qui n’a pas empêché le gouvernement d’acheter, contre les vœux de Premières Nations, un pipeline acheminant le pétrole de sables bitumineux, le plus polluant au monde. Cela prendrait maintenant une autre crise COVID d’immense proportion pour que le Canada réussisse à atteindre ses engagements (insuffisants) de réduction de GES, pris lors de l’accord de Paris en 2015. Lorsque notre «autoproclamé environnementaliste» Premier ministre déclare que son riche pays, à l’empreinte carbonique parmi les plus élevées au monde, « ne peut se permettre de laisser 173 milliards de barils de pétrole enfouis dans le sol », qu’entendent les Africains conscients de ces enjeux ? Ils constatent leur propre impuissance à combattre les changements climatiques dont ils ne sont à peu près pas responsables mais qui signifient une condamnation à mort pour un nombre toujours croissant d’entre eux.

En conclusion, la deuxième défaite de suite du Canada va signifier de nouveaux choix à faire pour sa politique étrangère. D’une part, des voix anti-ONU canadiennes y verront un prétexte à accroître les liens avec Washington, les Cinq Yeux (FVEY) et l’OTAN.

Avec d’autres amoureux de la paix, je propose une autre voie : un sens internationaliste basé sur le précepte doré Faites aux Autres ce que Vous Voudriez qu’Ils Vous Fassent, bref un ordre basé sur les règles de la Charte des Nations-Unies. Spécifiquement, chaque tentation du Canada d’appuyer des intrusions militaires ou commerciales en pays étrangers devrait s’arrêter en faveur du point de vue « noir, jaune, rouge et brun » des pays qui forment la majorité de la planète.

Bianca Mugyenyi, au nom de L’Institut canadien de politique étrangère (traduction Pierre Jasmin, Les Artistes pour la Paix).