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La photographie de Salgado

Le Sel de la Terre est un magnifique documentaire, réalisé par Juliano Ribeiro Salgado et Wim Wenders (English section follows). Présenté dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2014, il y fut triplement couronné (Prix un certain regard, prix du jury œcuménique et prix François-Chalais), avant de[ remporter aussi en 2015 le César du meilleur documentaire et d’être finaliste aux Oscars dans la même catégorie (battu par le nécessaire Citizen four). « Un hommage à la beauté de la planète », titre Télérama. Mais cette beauté provient d’un terrible contraste, car il nous a fallu traverser les premières sections du film, un regard brouillé de larmes devant la condition humaine, depuis les grappes de travailleurs manuels d’une mine d’or brésilienne, jusqu’au cortège des misérables du Nord-Est brésilien, anéantis par la sécheresse et menacés par la dictature militaire implacable (cette dictature violente trouva toutefois sur son chemin le courage de l’archevêque rouge, Don Helder Camara, qui les défendait malgré les menaces à sa propre vie. J’avais eu le très grand honneur de le rencontrer lors de sa venue à Montréal. Le pape François entreprend sa canonisation).

On est encore bien loin de « la beauté » : le photographe Sebastião Salgado – car il s’agit d’un film sur son œuvre immortelle – se déplace ensuite au Sahel, où des parents disent adieu à leurs enfants qu’ils ont portés pendant des centaines de kilomètres mais qui meurent au bout de leurs forces, faute de nourriture. Sa caméra capte le rituel du lavage des morts du choléra, malgré le peu d’eau disponible. Salgado va comprendre que les millions de morts sont causées par des volontés politiques féroces en Éthiopie comme au Soudan, de même en Yougoslavie et au Rwanda dont il ramène des photos éloquentes, autant de constats implacables, des morts filmées avec un réalisme macabre, dénonceront certaines mauvaises langues qui préfèrent que ces réalités restent cachées. Incapable de recevoir davantage de cruauté humaine après avoir mis sur pellicule des milliers de réfugiés hutus promis à une mort lente au Congo, il s’effondre, ayant perdu foi en l’humanité et en son travail de photographe humanitaire : « mon âme en était malade ». C’est alors que la maladie de son père l’oblige à rentrer au pays. Il y constate que les forêts verdoyantes de son enfance ont disparu, faisant place à des collines désertiques et asséchées, puisque les maigres vestiges de végétation n’y retiennent plus l’eau.

Dans le domaine familial qu’il possède au Brésil, avec sa femme Lélia Deluiz Wanick Salgado, il va travailler à rendre à la nature et reboiser près de 700 hectares de terres, créant en avril 1998 l’ONG «Instituto Terra», grâce à des sources de financement qui permettent de planter près de 4 millions d’arbres ! L’institut propose également des programmes de sensibilisation et d’éducation à l’environnement. N’est-ce pas là une illustration éclatante que le film l’homme qui plantait des arbres, sorti de l’imagination de Jean Giono illustrée par Frédéric Back et Philippe Noiret, peut devenir une réalité, une preuve que la désertification n’est pas irréversible ?

Parallèlement à ces efforts admirables, il se lance dans un autre projet d’envergure intitulé Genesis, à la recherche des beautés naturelles du monde dans le grand Nord sibérien, comme dans la forêt la plus reculée d’Amazonie où il filme une peuplade primitive qui vit heureuse, loin de toute civilisation. Grâce à l’humilité de Wenders qui ne fait qu’accompagner l’artiste, avec sa voix douce et celle du fils de Salgado qui commentent subtilement les images, sans volonté idéologique, avec une grande humanité émue, voici un film d’espoir à ne pas rater pour les amiEs et les Artistes pour la Paix: précipitez-vous au cinéma !

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Au Festival Vues d’Afrique, aux subventions ratatinées par nos gouvernements, Radio-Canada nous signale un film intitulé Les arbres tanzaniens. Réalisé par Julie Clavier (France, 2014), ce documentaire présente Gérard Bruno, un Français fou de percussions, qui vit en Tanzanie depuis 27 ans. Adoptant les techniques ancestrales de la tribu Makondé qu’il connaît bien, il a fabriqué plus de 250 tambours en bois et fait renaître de véritables objets d’art, empreints de mémoire et porteurs d’une histoire précieuse. Sa démarche est un véritable acte de résistance face aux ravages de la mondialisation qui, de façon souterraine mais inéluctable, pille les richesses du pays et entame l’âme même du peuple tanzanien. La forêt est en train de disparaître, emportant avec elle l’art de fabriquer les instruments, la musique et tout un pan de la culture du pays.

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Pianos dans la jungle vietnamienne

La même émission PM du 29 avril à Radio-Canada avec Karine Lefebvre, nous présente une grande dame nonagénaire, Thai Thi Lien, fondatrice du Conservatoire National du Vietnam dans les années cinquante. Mais avec la guerre qui s’intensifie alors, la pianiste vietnamienne doit protéger ses quatre cents étudiants et sa soixantaine de pianos, des bombardements américains qui pleuvent sur Hanoi. Elle déménage ses pianos à l’aide de chars à bœufs et l’école en entier émigre dans la forêt, où ses étudiants se protègent des bombes (et des serpents!) dans des tunnels.

Madame Thai Thi Lien, à la demande de Hô Chi Minh, arrange divers chants patriotiques qui aideront à la résistance héroïque de ce peuple, qu’elle explique simplement en affirmant que « les Vietnamiens n’ont pas peur de la mort: c’est pourquoi ils ont gagné la guerre ». Un de ses étudiants d’alors est son fils cadet, le pianiste Dang Thai Son (nous étions condisciples en 1978 au Conservatoire de Moscou). Cet artiste, photographié ici avec sa mère, est très apprécié, et par son enseignement réputé à l’Université de Montréal et par ses concerts où Chopin est à l’honneur (il fut le premier prix du Concours international Chopin de Varsovie en 1980, d’où un froid involontaire entre nous, à cause de mes liens d’amitié avec Ivo Pogorelich exclus de la finale par des manœuvres communistes).thai_thi_lien Vivant à Montréal, madame Thai Thi Lien est très fière aussi de son fils aîné architecte, Tran Than Binh, en charge de la construction de la nouvelle salle de concert de ce qui s’appelle maintenant l’Académie Nationale. Étonnant que les faits (peut-être périmés) de cet article écrit par Mark Swed du Los Angeles Times n’aient, à ma connaissance, jamais motivé un journaliste québécois à interviewer Dang Thai Son: il faut dire que sa proverbiale modestie ne recherche jamais de publicité, il est vrai, surtout pas en utilisant sa famille!

D’autre part, les journalistes ont peur du fanatisme des Conservateurs au pouvoir à Ottawa, de leur parti-pris féroce pour la guerre partout dans le monde et dans le temps! Plutôt que de fêter la fin de la guerre il y a exactement 40 ans, avec la réunification du pays, les Conservateurs donnent l’impression de regretter la guerre au Vietnam de la puissante machine de guerre américaine, avec le prix incroyablement élevé de trois millions de morts et d’une dévastation de la végétation par l’agent Orange: ce produit toxique a entraîné des malformations chez nombre de nouveaux-nés et des difficultés pour l’agriculture de nourrir sa population, d’où le nombre élevé de boat people, causé aussi par une persécution contre les religions et les familles compromises avec les gouvernements pro-américains sud-vietnamiens.

Au détriment de toutes les valeurs de la paix que nous chérissons et chérissions lors des nombreuses manifestations pour la paix au Vietnam dans les années soixante et soixante-dix, la hargne des Conservateurs injustifiable est  superbement dénoncée par l’article suivant inscrit par une Vietnamienne sur Embassy (numéro du 30 avril) qui commente une photo de vieux nostalgiques du pouvoir corrompu de Saigon entrant au sénat canadien, arborant les couleurs du régime du Vietnam du Sud (chose pourtant interdite aux USA!!!). Les Conservateurs amèneront-ils au Sénat prochainement les bourreaux militaires sbires de Pinochet au Chili afin de réécrire l’histoire selon leurs vœux rétrogrades?

Backward bill passed, but Vietnamese-Canadians move forward On April 30, we will celebrate our own journey to freedom day: we understand that even in a democratic country like Canada, the Senate can deny opposing views to be heard.

How would Canadians feel if July 1 was called Black July Day? What would happen if fictitious governments that no longer exist–such as the old Saigon regime–continue to be recognized in Canadian legislation? Bill S-219 is a very troubling precedent. Any unhappy faction can not only celebrate its own private version of right and wrong, in parades and heritage societies and the like, but also in actual legislation. We understand the importance of recognizing the heritage of ethnic groups in Canada.

But Bill S-219 is not about commemorating the exodus of refugees, not about showing appreciation to Canada for accepting them, or acknowledging their contribution to this country. This bill is to get votes for the Conservatives in the upcoming election. Bill S-219 does not add anything good to the community, and it will continue to divide it. How backward that the bill still has a we-were-victims mentality rather than focusing on moving forward. Furthermore, this bill is an obstacle for Canadians who work in sectors or are interested in promoting Canada’s Global Markets Action Plan, International Education Strategy, or aid effectiveness agenda in Vietnam. Let’s put Bill S-219 in an international context.

After the Vietnam War ended in 1975, the US normalized relations with Vietnam in 1995. In 2015, the US is ready to build a better relationship with the government of Vietnam. A recent US policy prohibits the flying of the old Saigon flag and singing the old national anthem on federal property. To the opposite, Canada decided to be friendlier with the old Saigon group, at the risk of upsetting a partner of more than just trade, and the minister of defence has draped the old Saigon symbol around his shoulders at Vietnamese events. April 30 as a dark day is the view of only a few thousand South Vietnamese who lost their power and privileges.

On the other hand, April 30 is North-South reunification day for ordinary Vietnamese-Canadians, including many refugees who arrived in 1979-80 and over 100,000 economic immigrants who landed after 1981, who longed for peace and prosperity. We agree that the experience of 60,000 boat people from Vietnam and the generosity of Canadian people in accepting them should be acknowledged as part of Canadian history. Refugees would want to remember the date when they are accepted and land in a safe place. The appropriate date of commemoration is July 27 when the first flight landed in Toronto in 1979, and the title should be along the line of an appreciation of Canada by Vietnamese refugees.

Canadians who are interested in freedom and democracy might want to take a look at our community. The few thousand South Vietnamese who fled in 1975 seek to impose their old Saigon political view on the refugees and immigrants who came later. All other voices are suppressed using threats of red-baiting. Members who are not outspoken about their anti-communist view or who have any contact with the government of Vietnam are singled out and labelled “communist.” But because of Bill S-219, many members who have put up with this old group for so long, now for the first time in 40 years, have mobilized among themselves and become active in their political life.

On April 30, we will celebrate our own journey to freedom day as we understand it. We understand that even in a democratic country like Canada, the Senate can deny opposing views to be heard; that our community has been imposed a political view by a small group for 40 years. But after 40 years, our journey has reached a critical point to achieve the freedom we look for. We will celebrate this day as the day when we feel free to have our own views, despite the Conservative government’s attempt to take the side of the old Saigon group with this vote-grabbing bill.

Dai Trang Nguyen is a co-founder and director of the Canada-Vietnam Trade Council and a representative of the Canada-Vietnam Association. She is a college professor in international business and international development in Toronto.