L’Échofête de Trois-Pistoles et son président Mikaël Rioux ont maintenu le cap, au prix léger de l’annulation d’un atelier de désobéissance civile originalement prévu : non seulement leur festival menacé a-t-il eu lieu du 25 au 27 juillet 2012, mais en plus, ses portes sont restées grandes ouvertes pour accueillir Gabriel Nadeau-Dubois, pourtant déclaré persona non grata, avec son carré rouge, par le maire de la municipalité. Voilà le seul constat optimiste qui ressort des événements récents dans le Bas-du-Fleuve qu’on me permettra à la remorque des journaux locaux de récapituler.

Le maire de Trois-Pistoles, Jean-Pierre Rioux, d’autres élus locaux et des bailleurs de fonds avaient rédigé vendredi le 20 juillet un communiqué de presse rendant compte de décisions prises lors d’une réunion …qui devait avoir lieu trois jours plus tard – cela en dit fort long sur le processus démocratique très éloigné de la démocratie participative de la CLASSE, animant la municipalité -. Pour son maire, il était hors de question d’inviter «une formation politisée» à l’Échofête aux frais des contribuables. «Écoutez, c’est l’argent du monde. Si M. Nadeau-Dubois veut louer une salle au centre culturel et que la CLASSE paie, il n’y en a pas, de problème», a-t-il fait valoir en entrevue téléphonique lundi le 23. Le maire a souligné qu’une dizaine de Pistolois avaient déposé une plainte pour contester la venue de Gabriel Nadeau-Dubois : «j’ai dit à Mikaël (Rioux): ‘Si vous ne corrigez pas le tir — parce que les gens me disent qu’ils ne veulent pas payer ces activités-là avec leurs taxes —, on s’en va vers un mur, pis même que nous, on risque d’avoir des poursuites de la part des citoyens parce qu’on finance l’activité’».

Ces propos bassement mercantiles du maire ont provoqué la riposte du porte-parole de l’Échofête de Trois-Pistoles, Christian Vanasse, qui l’a accusé d’avoir diabolisé l’un des porte-étendards du mouvement étudiant dans le simple but de défendre les intérêts du Parti libéral du Québec, dont il a porté les couleurs aux élections de 2008. Le Zapartiste a lancé que Jean-Pierre Rioux avait trouvé «un faux prétexte» pour nuire au festival. « On a absolument le droit de tenir ces discours-là, ce ne sont pas des discours haineux, ce n’est pas de la propagande. Je m’excuse, mais là, on entre dans un délire total», a-t-il  dénoncé. « Et le carré rouge, a plaidé Christian Vanasse, n’est pas synonyme de communisme. Faut pas capoter. C’est quoi, on est revenus au maccarthysme?»

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L’auteur Victor-Lévy Beaulieu, malgré un état de santé fragile depuis quelques mois, a volé au secours des organisateurs du festival dont la mairie annulait sans préavis l’emplacement prévu pour la tenue de leurs activités, en convainquant le conseil d’administration du Caveau-Théâtre de leur céder le terrain de leur établissement pendant quelques jours. Pour ce faire, ils ont accepté de décaler leur production théâtrale principale avec des horaires nouveaux. Hélas, ce sacrifice, salué pour sa générosité par le président du festival Mikaël Rioux, a contribué à hâter la faillite de l’entreprise théâtrale : c’est ainsi que j’ai assisté par une journée ensoleillée à La guerre des clochers à 13 heures jeudi le 26, avec une cinquantaine de spectateurs enthousiastes présents, malgré ce déplacement d’heure non publicisé par les affiches qui indiquaient encore 20 heures jusqu’au 18 août. Et alors que la moindre municipalité vante ses productions d’amateurs à renfort de panneaux publicitaires sur chacune de ses routes avoisinantes, voilà qu’arrivé dans la région la veille, je devais mobiliser le gérant de la plus grosse épicerie de Trois-Pistoles pour qu’il cherche, en vain, des prospectus annonçant le spectacle dont il avait vaguement entendu parler…

Et pourtant on parle d’une pièce écrite par un habitant de Trois-Pistoles, notre plus grand écrivain vivant, dont la production en 1997 avait réuni sur scène nos amis Sylvie Drapeau et Jean-Louis Roux et qui ressuscitait en 2012, grâce à une mise en scène dynamique de nulle autre que Lorraine Pintal. La grande prêtresse du TNM avait mobilisé l’église de Trois-Pistoles, avec grandes orgues et chorale entonnant hymnes religieux, y compris une 9e symphonie de Beethoven (dont on avait remplacé les révolutionnaires Freiheit-Freude par un banal alleluya), mais aussi le temps des cerises, annonçant une résistance libératrice, à laquelle on était convié à se joindre une demi-heure plus tard avec pancartes et drapeaux patriotes, en suivant une procession en direction du Caveau-théâtre.

Et avec quelle équipe de comédiens! Jean-François Casabonne, en paysan fougueux fidèle à sa terre, à son seigneur aristocrate (qu’on ne verra jamais) et à son église dont il est marguillier, perdra famille et richesses, faute de reconnaître et de suivre le glissement de pouvoir politique donnant naissance à la modernité. Marcel Pomerlo et Jean Marchand, dont une autre mise en scène aurait peut-être inversé les rôles, défendaient brillamment respectivement 1- le curé Malo, qui d’abord fidèle à ses ouailles et à ses valeurs morales, se laissera convaincre par l’évêque de Québec de trahir sa vieille église d’en bas et de parrainer celle d’en haut, bâtie par 2- l’homme d’affaires entreprenant, qui représente la « machine de fer » du capitalisme naissant, aujourd’hui mondialisation en marche.

L’église d’en bas sera laissée aux locaux et à un prédicateur dans la lignée des preachers américains, Jean Maheux, à la fois proche de son peuple et des idéaux de la rébellion de 1837, mais aussi être fragilisé dans ses rêves d’une Jérusalem nouvelle qui naissent d’hallucinations provoquées par un accident cérébral postérieur à une orgie sexuelle avec l’Indienne. On comptait sur Lorraine Pintal pour étoffer ce dernier personnage. Campée par la comédienne Marie-Ève Pelletier, l’Indienne symbolise en première partie la vie (Éros) de son peuple, à travers une sexualité diabolisée par le curé vociférant, mais qu’on sait, par confidences ébruitées, avoir été célébrée tour à tour par le paysan, l’homme d’affaires et le prédicateur, comme on l’a dit. En deuxième partie, brandissant son enfant mort qu’elle destinait à devenir le Messie rouge, elle incarne alors la mort (Thanatos) de son peuple, dispersé en exil par l’homme d’affaires qui s’est emparé de ses terres fertiles pour y bâtir le Trois-Pistoles moderne.

Dans la tradition de Bertold Brecht, le petit-peuple, sobrement joué par des artistes locaux, incarne d’abord le peuple canayen, dont la fière procession s’accompagne des nostalgiques accordéoniste (Isabelle Cadieux-Landreville) et violoniste-violoncelliste (Félix Charbonneau); mais « ruiné suite à l’expoitation éphémère de la forêt, [acculé à] cette misère sociale qui fera pendant longtemps des Trois-Pistoles une petite ville stagnante aux prises avec le conservatisme et la division »,  il devient hélas, en deuxième partie, un lumpenproletariat obéissant aux autorités en crucifiant l’Indienne, exilant son prédicateur et abandonnant à son sort le pauvre paysan devenu fou dans la vieille église livrée au feu.

Cette fin malheureuse fut-elle prémonitoire de la fin des productions théâtrales de Trois-Pistoles? Car on apprend par La Presse, le jour-même que Jean Charest déclenche des élections pour profiter des vacances et tirer parti de l’abrutissement estival, que leur faillite a été déclarée et que les comédiens n’ont pas été payés pour leur dernière semaine de travail. « En me montrant solidaire du festival Échofête et en accueillant Gabriel Nadeau-Dubois, je m’attendais à devoir en payer le prix. Mais la liberté d’expression, que j’ai défendue toute ma vie, me tient à cœur plus que tout et c’est pour cela que j’ai livré une guerre [des clochers] à Jean-Pierre Rioux » a déclaré VLB, tout en reconnaissant que reprendre si tôt une pièce qui avait fait salle comble en 1997 dans un contexte de population vieillissante et avec tant de spectacles gratuits tout autour n’était sans doute pas sa meilleure idée.

Cette pièce lucide dans ses déchirements multiples nous porte à en lire les échos dans la réalité politique, montrant la désunion des Québécois et des Autochtones, alors qu’on aurait tant besoin par exemple en territoire Cri que le plan Nord favorisant une mine d’uranium à Matoush dans les monts Otish soit combattu par l’union de tous ceux, Blancs et Rouges, qui croient en la vie plutôt qu’en la mort.

Laissons le dernier mot à Victor Lévy-Beaulieu : « Le passé est garant de l’avenir, dit-on. Mais encore faut-il savoir de quoi a été fait exactement, de quels rêves il s’est nourri alors que nous n’en étions encore que dans l’an premier des choses, dans la prégnance des mythes fondateurs. »