trudeau-poly

PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS

« Le projet de Loi C-21 est une trahison pour les victimes, survivants et familles détruites par des fusillades. Que Trudeau ne vienne plus pleurer ses larmes de crocodile ! »

Monsieur le Premier Ministre,

Cette lettre vous est adressée à titre personnel et n’engage pas les divers regroupements dont nous faisons partie (mais nous les Artistes pour la Paix nous sentons engagés à leurs côtés). Nous tenons, par la présente, à vous exprimer notre colère à l’endroit du lamentable Projet de loi C-21. Ce projet de loi donne les apparences d’une réponse à vos engagements électoraux, mais dans la réalité il n’y répond aucunement et ne peut donc nous satisfaire. Bien que vous et votre gouvernement pourrez sans doute duper une importante partie de la population avec du verbiage politique et des slogans accrocheurs, vous ne pouvez pas duper les familles et les survivants qui se battent depuis plus de trente ans pour le contrôle des armes. Nous savons de quoi nous parlons. Et pour comble d’insulte, vous avez présenté ce projet de loi comme une réponse à la douleur des victimes et de leurs familles. Comme vous le faites année après année lors de chaque commémoration à la mémoire des victimes, vous dites que vous partagez la peine et la souffrance que nous vivons. C’est faux, monsieur le Premier ministre. Car si tel était véritablement le cas, vous auriez eu le courage d’aller au bout de vos convictions.

poly-2

En déposant ce projet de loi, vous faites le jeu du lobby des armes. Dans quelques mois, au pire dans quelques années, la prohibition des armes d’assaut sera renversée par le prochain gouvernement conservateur (qui a déjà promis de le faire). Et nous n’aurons rien gagné. Encore une fois. Réalisez-vous que votre projet de loi ne change rien? Demain, dans une semaine, dans un an, les tueurs de Polytechnique, de Dawson ou de la Mosquée de Québec, tous détenteurs de permis de possession et propriétaires d’armes d’assaut acquises légalement, pourraient commettre les mêmes massacres avec les mêmes armes et les mêmes chargeurs à grande capacité.

En effet, malgré les risques démontrés de ces armes, vous avez choisi de ne pas les retirer de la circulation! Vous dites qu’en aucun cas ces armes pourront tirer une seule balle légalement, mais vous n’exigez pas que ces dernières soient rendues inopérantes! Vous avez aussi opté de ne rien faire pour cesser la vente des chargeurs modifiables qui peuvent, par le simple retrait d’une goupille, retrouver leur pleine capacité illégale. Pourtant, 30 balles tirées en succession multiplient les dommages de même que le nombre de décès. Ça, nous le savons, malheureusement.

Non, nous ne serons pas plus en sécurité grâce à votre projet de loi

Réalisez-vous que votre projet de loi ne corrige aucune des failles du système qui ont été identifiées par diverses enquêtes de coroners ou journalistiques en lien avec l’accès aux armes par des personnes à risque? Au contraire, vous proposez de responsabiliser davantage les victimes potentielles en leur offrant une démarche encore plus laborieuse et coûteuse en temps pour retirer les armes d’une personne menaçante. Pensez-vous qu’il est simple d’aller en cour lorsqu’on a peur? Ou de faire face à son agresseur pendant qu’on argumente pour lui enlever ses armes? Et le tout, sur la base des mêmes critères qui ont été insuffisants pour enlever les armes à des individus qui ont fini par tuer leurs plaignantes…

Réalisez-vous que votre projet de Loi vise à créer une mosaïque de plus de 3000 législations auprès de municipalités qui n’ont jamais demandé et qui ne veulent pas de ce pouvoir? Quelle débâcle juridique et quelle approche inefficace! Un autre fardeau inutile sur les épaules des élus municipaux qui ont déjà assez avec la charge des services de proximité.

Assumez vos propres responsabilités monsieur le Premier Ministre! Nous n’en pouvons plus. Nous avons eu le très grand privilège de vous rencontrer à quelques reprises depuis 2014, année du 25e anniversaire du féminicide à Polytechnique et seconde année de votre mandat à titre de chef du Parti Libéral du Canada. À chaque fois, vous avez exprimé votre compassion devant les événements et le drame qu’ont dû traverser les familles des victimes du 6 décembre 1989. À chaque fois, vous nous avez aussi personnellement manifesté votre intention de faire « le travail nécessaire » pour rétablir un contrôle des armes à feu raisonnable au Canada. Nous vous avons cru lors des élections de 2015: « Sunny ways » disiez-vous. Votre ferveur lors des funérailles suivant l’attentat de la Mosquée de Québec en 2017 et encore lors de la première commémoration avait renouvelé notre confiance. La précision et l’étendue de votre promesse électorale de 2019, suivie des décrets qui ont gelé le marché des armes d’assaut du 1er mai 2020, nous a donné un réel espoir. Enfin, le Ruger mini-14 utilisé par le tueur à Polytechnique comme l’ensemble des armes semiautomatiques de style militaire seraient bannies du Canada, pour de bon! Ne manquait que le projet qui allait pérenniser cette décision et les détails du programme de rachat obligatoire. Or, avec le Projet de loi C-21, vous abandonnez les survivants, les familles des victimes, les témoins de violence par arme à feu, en plus des générations futures.

Si ce projet de loi n’est pas revu de manière radicale, si le programme de rachat n’est pas obligatoire, si une simple décision d’un futur gouvernement peut renverser l’interdiction des armes d’assaut, nous perdons la bataille, et nous perdons foi en vous et votre gouvernement. M. Trudeau, nous, les survivants, les familles des victimes et les étudiants de Polytechnique.

Si vous poursuivez avec ce projet de loi, plus jamais nous n’accepterons de vous recevoir à nos côtés lorsque nous pleurerons la mort de nos filles, de nos sœurs, de nos amies, lors des commémorations annuelles.

SVP respectez la volonté de la grande majorité des Canadiens qui pense comme nous que notre sécurité vaut bien plus que le privilège de certains.

La lettre est signée par une trentaine de personnes. C’est Heidi Rathjen de Polysesouvient qui l’a envoyé à Pierre Jasmin, en espérant le voir publié, même raccourci et privé de ses signatures qui sont celles de familles meurtries par les tueurs.