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Àen croire les médias occidentaux, Poutine incarne le mal absolu. L’extrême-droite américaine réclame la troisième guerre mondiale. Selon les médias russes, ce sont les occidentaux qui s’allient à un régime de néo-nazis drogués pour tyranniser les populations russes en Ukraine. La vérité se trouve quelque part au milieu, le tout est de savoir où.

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Arthur Koestler

En 1943, le journaliste d’origine hongroise Arthur Koestler écrivait :
« Dans cette guerre, nous nous battons contre un grand mensonge au nom d’une demi-vérité ». Une source d’inspiration pour décider de quelle attitude adopter face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Dire que les États-Unis appuient l’Ukraine parce qu’ils défendent la démocratie et un ordre mondial basé sur l’État de droit relève, au mieux, de la demi-vérité. Les États-Unis sont complices, avec des dictatures comme l’Arabie Saoudite et le ÉAU, de crimes de guerres commis au Yémen. Ils appliquent des sanctions économiques qui privent les populations du Venezuela et d’Iran de médicaments vitaux, déchirent des accords internationaux comme l’accord de Paris et celui avec l’Iran sur le nucléaire. Ils menacent la Cour internationale de justice de représailles si jamais elle se penchait sur les agissements des États-Unis et d’Israël. Ils avaient causé mille fois plus de morts que l’invasion russe actuelle en envahissant l’Iraq, contre l’avis de l’ONU et de Jean Chrétien il y a moins de dix-neuf ans.

Mais cela n’est rien de nouveau. En 1943, la coalition qui luttait contre Hitler était dirigée par un Premier ministre britannique ardent partisan de l’impérialisme, un Président américain qui tolérait l’apartheid racial, et Joseph Staline. L’argument de Koestler était que ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis, ni l’URSS n’étaient particulièrement vertueux dans l’absolu, mais qu’ils étaient plus vertueux que les Nazis dans le contexte particulier de la Seconde guerre mondiale. Ces gouvernements étaient les seuls sur la planète à être de taille à empêcher une Europe fasciste.

Churchill, Roosevelt et Staline à Yalta en février 1945.

Churchill, Roosevelt et Staline à Yalta en février 1945.

La Russie de Poutine n’est pas aussi puissante que l’Allemagne d’Hitler, ni aussi meurtrière. Mais quand Poutine affirme que des affinités historiques et culturelles lui donnent le droit de soumettre l’Ukraine à sa volonté, cela relève du grand mensonge. Bien sûr, les États-Unis ont encouragé cet état de fait en poussant l’OTAN à s’étendre vers l’est après 1989, profitant de la faiblesse de la Russie pour l’humilier. En comparaison, le Traité de Versailles était aussi outrageusement à l’avantage des vainqueurs, ce qui alimenta le maelstrom politique dans les pays vaincus. La stratégie de vengeance meurtrière d’Hitler, tout comme celle de Poutine aujourd’hui, n’en était pas moins criminelle.

Certains – surtout les va-t-en-guerre – diront que les États-Unis étant une démocratie et la Russie une dictature, les américains ont une supériorité morale dans ce conflit. Mais c’est faux : une démocratie peux très bien commettre des agressions, et les dictatures peuvent s’y opposer. Lorsque Poutine s’opposa à l’invasion de l’Iraq par l’administration Bush, il défendait sa demi-vérité contre le grand mensonge des États-Unis. Quand la Russie appuya la résolution de l’ONU condamnant les colonies sauvages en Israël, à laquelle les États-Unis opposèrent leur veto, c’était au nom des droits de l’homme et du droit international, piétinés par les américains. Quand Joe Biden déclare « America stands up to bullies, we stand up for freedom », il faut le prendre avec un grain de sel. Guantanamo et Abu Grahib sont deux beaux exemples de liberté bafouée.

Si les États-Unis sont capables du pire comme au Vietnam ou en Iraq, il faut admettre que ce n’est pas toujours aussi dévastateur. En Ukraine, c’est Poutine, et non Biden, qui a défié l’ONU et enfreint les règles du droit international. C’est Poutine et non Biden qui bombarde un autre pays et déclenche un exode de réfugiés.

Bref, on ne peut, cette fois-ci, accuser les États-Unis, ni le Canada, de tous les maux. Par contre, on peut réclamer des dirigeants un certain niveau d’éthique. Les sceptiques observent et attendent, déjà échaudés par les débacles successives en Afghanistan, en Iraq et en Libye. Mais ce scepticisme n’est pas réservé aux occidentaux : on pouvait lire cette semaine sur un blog à saveur socialiste « Croire que les États-Unis ont le monopole du mal absolu n’est qu’une autre forme d’exceptionnalisme américain ».

On se doute que les sanctions économiques n’auront que peu d’effet dans l’immédiat. Lors de l’annexion de la Crimée en 2014, une pléthore de sanctions avait frappé la Russie, qui accusa temporairement le coup, mais rebondit rapidement. En redirigeant son système de paiements internationaux vers le concurrent chinois de SWIFT, et en tablant sur les crypto-monnaies, la Russie pourra contenir une trop grande diminution de son PIB.

Les sanctions qui feraient vraiment mal à la Russie sont celles touchant ses exportations de gaz naturel et de pétrole. Problème : on ne veut pas taxer les consommateurs occidentaux, déjà aux prises avec une inflation record. Le prix de l’essence à la pompe est un sérieux rappel quotidien à la population, car le prix du litre est affiché devant chaque station-service en chiffres géants. Rien de tel pour entretenir la grogne populaire.

Jusqu’où les citoyens russes suivront-ils Poutine ? Suite aux sanctions, on peut s’attendre à une augmentation des prix à la consommation, et même à une dévaluation du rouble si le marché boursier russe s’effondre. Mais cela serait-il suffisant pour faire vaciller le régime, voire faire tomber Poutine ?

Et puis, il y a la Chine. On a pu observer un rapprochement entre celle-ci et la Russie – la Chine s’est abstenue lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU de la motion réprouvant l’invasion. On peut se demander si cette tentative d’annexion de l’Ukraine n’est pas un coup d’essai, la Chine attendant de voir la réaction de l’Ouest pour ensuite tenter une stratégie similaire à Taiwan…

Que veut Poutine en réalité ? Il ne s’agit pas de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN – ça, ça fait partie du grand mensonge. La Hongrie et la Pologne en sont membres, mais sont gouvernées par des régimes qui s’apparentent plus à celui de Poutine qu’aux démocraties libérales occidentales. Poutine redoute la démocratie libérale plus que tout, qu’il perçoit comme une menace personnelle à son autorité.

Tenir en échec la démocratie ne se limite pas à envahir l’Ukraine. Poutine essaie de diviser l’Ouest en alimentant les nationalismes en Europe et le Trumpisme aux États-Unis. L’invasion est un excellent moyen de diversion, tout à l’avantage des Russes mais aussi des gouvernements occidentaux : pendant les conférences de presse, chaque minute consacrée à l’Ukraine ne l’est pas au convois de camionneurs, au réseau de la santé ou à l’inflation qui monte, qui monte.