Ce texte s’inscrit dans la suite de notre article précédent sur les relations troubles entre le Venezuela et le Canada.

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Le leader sandiniste Daniel Ortega en compagnie de Fidel Castro,

Dans les montagnes du Nicaragua au début des années 70, une poignée de Sandinistes tentaient de renverser la dictature brutale de la famille Somoza, qui durait depuis 40 ans, soutenue par les États-Unis. Les Sandinistes finirent par l’emporter en 1979. Les États-Unis déclenchèrent immédiatement une guerre civile pour se réapproprier le contrôle du pays, à l’aide d’une milice para-militaires, les contras. Lors de la deuxième élection des Sandinistes en 1990, le président George H.W. Bush proclama qu’il poursuivrait la guerre et l’embargo commercial pour punir les Nicaraguayens s’ils ne se débarassaient pas des Sandinistes. Épuisé par la guerre et l’hyperinflation, le peuple vota pour l’opposition et les Sandinistes perdirent les élections.

Le Venezuela

Trump reprend cette même stratégie du chatiment collectif au Venezuela : un embargo financier depuis août 2017, et un blocus commercial depuis janvier. L’embargo financier a eu pour effet d’empêcher le gouvernement de s’attaquer à l’hyperinflation, et de le priver de milliards de revenus pétroliers. Il est projeté que le blocus commercial va couper environ 60% des échanges avec l’étranger – dont il a besoin pour acquérir médicaments et nourriture.

Donc, la tactique américaine est claire : le chatiment collectif continuera tant que le régime restera en place. Le vice-président Pence l’a encore claironné en mars : “Maduro must go”.

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Manifestation chaviste à Caracas.

Tout cela enfreint de nombreux traités signés par les États-Unis, dont la Charte des Nations-Unie, la Charte de l’Organisation des États Américain, ainsi que les Conventions de LaHaye, de Genève et de Kampala, selon la Croix Rouge Internationale et sa liste des régles régissant le droit humanitaire international.

Pour justifier ces attaques, le président Trump invoque un consensus de la “communauté internationale”, comme le fit George H.W. Bush avec sa “coalition of the willing” de 48 pays au moment d’envahir l’Iraq en 2003.

Examinons de plus près les gouvernements qui font partie de la coalition qui appuie Guaido comme président intérimaire.

Brésil

bolsonaro-trumpSon plus fervent allié est Jair Bolsonaro, d’ailleurs en visite à Washington au moment d’écrire ces lignes. Il est ironique que si Trump invoque la légitimité démocratique pour contester l’élection de Maduro, Bolsonaro lui-même a été élu à l’issue d’une tragi-comédie électorale qui laisse un gout amer : son populaire opposant Lula da Silva fut emprisonné suite à un procès lors duquel aucune preuve concrète ne fut présentée. Le témoin principal, accusé de corruption, n’obtint une réduction de peine que lorqu’il aligna son témoignage sur celui du procureur général. Le juge Sergio Moro, qui présida le procès, fut nommé ministre de la Justice par Bolsonaro immédiatement après l’élection.

Plusieurs dirigeants de pays d’Amérique latine doivent leur pouvoir ou leur survie aux interventions des États-Unis.

Honduras

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Le président Hernandez et Rex Tillerson, alors Secrétaire d’État.

Le parti du président Juan Orlando Hernandez prit le pouvoir en 2009 lors d’un coup d’état militaire qui renversa le gouvernement élu du président Mel Zelaya. Sous Obama, les États-Unis s’assurèrent que le régime Hernandez reste en place. Dans ses Mémoires, Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État, raconte qu’elle manoeuvra pour que Zelaya ne se représente pas aux élections. En 2017, Hernandez remporta l’élection en manipulant tout simplement les résultats du scrutin. Cela souleva une vague de protestations et d’incrédulité dans la sphère politique et dans la presse, mais rien n’y fit : l’équipe deTrump endossa le résultat.

Colombie

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Ivan Duque et Donald Trump.

Le leader colombien est sans doute parmi les plus belliqueux, juste après Bolsonaro. Le président Ivan Duque est le protégé du président précédent, Alvaro Uribe, et pour ainsi dire sa copie conforme. Des messages diplomatiques déterrés l’année dernière démontrent que les États-Unis étaient plus ou moins à l’aise avec les relations entre Uribe et les narco-trafiquants du cartel de Medellin, depuis les années 90. On lui attribuait aussi des liens avec les escadrons de la mort. Uribe démissiona du Sénat l’année dernière, à la suite d’une enquête criminelle. En 2009, il avait proposé de permettre aux États-Unis d’augmenter leur présence militaire en Colombie, mais ce fut rejeté par une majorité de gouvernements membres de l’OEA. Le mois dernier, on pu lire la phrase « 5000 troops to Colombia » sur le bloc-note de John Bolton.

Argentine

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Mauricio Macri et Christine Lagarde du FMI : ça clique.

Le président Mauricio Macri en doit toute une à Washington. En juin, le FMI lui consentit le plus gros prêt jamais accordé, 50 milliards $. Ce prêt fut majoré à 56,3 milliards quand on s’apperçu que l’économie argentine ne se porterait pas aussi bien que prévu. Les gouvernements précédents n’avaient jamais pu obtenir de financement des institutions internationales comme la Banque de dévelopement inter-américain, contrôlées en sous-mains par les É-U. La situation financière de l’Argentine allait en s’empirant sous le gouvernement de Cristina Fernandez. Le coup de grâce survint lorsqu’un juge de New York statua que les créanciers de l’Argentine ne seraient pas payés tant que certains fonds spéculatifs américains ne le seraient en priorité. Par miracle, tous ces problèmes disparurent au lendemain de l’élection de Macri en 2015.

Équateur

lenin_morenoLe président Lenin Moreno est parfois dépeint comme de “centre-gauche”. Il a bel et bien été élu en 2017 avec l’aide de la coalition Alianza PAIS du président précédent, Rafael Corea. Mais il prit rapidement la tangente pour pactiser avec les oligarques. Il essaierait en ce moment de faire emprisonner l’ex-président sous un faux prétexte. Apprécié par Washington, Moreno vient de décrocher 10 milliards de prêts, dont 4,2 milliards du FMI la semaine dernière. On dira que 10 milliards, ce n’est pas grand-chose, mais en proportion de l’économie équatorienne, c’est comme si les É-U recevaient 1900 milliards. Pas surprenant que Moreno se soit joint à la coalition Trump.

Paraguay

Abdo_Benítez_con_bandaLe parti ANR-Colorado a été au pouvoir pendant 61 ans, dont la majorité sous la direction d’Alfredo Stroessner (renversé lors du coup d’état de 1988). En 2008, un évêque gauchisant, Fernando Lugo, fut élu contre toute attente. Il fut renversé lors d’un coup parlementaire en 2012, qui déclencha de vives protestations au sein de l’OES. Washington s’employa a légitimer le coup et à calmer les esprit. Le président actuel est Mario Abdo Benitez de l’ANR-Colorado. Depuis 1992, la Constitution limite le mandat du président à un seul terme de cinq ans, afin d’éviter les excès de l’ère Stroessner. Le Sénat tenta bien de supprimer cette limite en 1997, mais échoua face à la pression populaire – des manifestants mirent le feu à l’édifice du Congrès.

Chili

pinera-trump-10042018-1Le président Sebastian Pinera, un sympatisant de Pinochet, a intégré deux partisans notoires de celui-ci dans son cabinet. On se souviendra des opérations clandestines menées en vue de déstabiliser le gouvernement de Salvador Allende par l’administration Nixon, et du coup d’état de la junte dirigée par Augusto Pinochet, le 11 septembre 1973. Une époque trouble suivit, entachée par des excès comme l’Opération Condor.

Il faut réaliser qu’il y a quelques années seulement, la région était dirigée par des gouvernements de gauche. La coalition de Trump, pas plus que le Groupe de Lima, n’aurait pu voir le jour. John Kerry, Secrétaire d’État en 2013, s’en rendit bien compte lors des manifestations au Venezuela, qui contestaient l’élection de Maduro. La majorité des pays de la région reconnurent la légitimité de l’élection, et Kerry se retrouva complètement isolé. Washington finit par reconnaitre l’élection de Maduro.

Europe

En Europe, il est plus difficile de manipuler les gouvernements. Concernant la situation au Venezuela, le pays qui fait office d’expert dans la communauté européenne est l’Espagne. Plusieurs gouvernements, dont celui de l’Allemagne, prennent très au sérieux l’avis de l’Espagne. Pas surprenant que Josep Borell, ministre des Affaires étrangères, ait révélé que son gouvernement faisait l’objet de “pressions” de Washington, dans le but d’amener le Premier ministre Pedro Sanchez à s’aligner, lui qui était opposé aux sanctions contre le Venezuela depuis avant même la dernière élection.

Et pour terminer, la charge est menée par John Bolton, chantre sans scrupules de la doctrine Monroe toujours à l’affut d’un régime à faire chuter, et Elliott Abrams, qui fut à l’origine de ce que l’ONU devait qualifier de génocide au Guatemala, ainsi que d’atrocités au Salvador et au Nicaragua dans les années 80.

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La fine équipe U.S.: Abrams, Pence, Bolton, Green, Pompeo.

En parcourant cette galerie de portraits, on se rend bien compte que les efforts de l’administration Trump pour changer le régime vénézuelien n’ont absolument rien à voir avec la démocratie et les droits de l’homme.


Sources (les hyperliens sont inclus dans le texte) :

The Nation
Venezuelablog.org
Nations Unies
Croix Rouge Internationale
New York Times
Counterpunch
CEPR
The Economist
Reuters
Bloomberg
The Guardian
The Washington Post