Mois de l’histoire des Noirs (février)

Image tirée du film Selma d’Ava Du Vernay où on reconnaît Oprah Winfrey

Image tirée du film Selma d’Ava Du Vernay où on reconnaît Oprah Winfrey

L’an dernier, la sortie du film Mandela, le long chemin de la liberté coïncidait avec la mort du héros. Toute la bonne volonté du monde réussissait à pallier les maladresses du film, grâce à son message résumé par la chanson d’U2, Ordinary love. On y ressentait le contraste entre l’instinctive Winnie Mandela, sans doute plus proche du peuple par sa clameur de vengeance contre les racistes ayant pendant des générations imposé un apartheid meurtrier, et son mari trempé d’une fibre morale galvanisée, Adiba Mandela personnifié par l’excellent acteur Idris Elba : malgré un emprisonnement de 27 années, il a guidé le peuple d’Afrique du Sud vers le chemin ardu de la paix, jamais gagnée, toujours à recommencer avec les inégalités raciales qui perdurent mais que les violences ne peuvent guérir. Cette saga était presque aussi exemplaire que celle de Gandhi, étalée sur plus de trois heures et jouée en 1982 par une myriade de grands acteurs dirigés par Lord Richard Attenborough (1923-2014), pourtant un britannique du mauvais côté de l’histoire!

Cette année, nous émeut une production d’Oprah Winfrey et de Brad Pitt, simplement appelée Selma, du nom de la petite ville d’Alabama d’où finit par partir, malgré les meurtres révoltants qui jalonnèrent sa première tentative, une marche pour les droits des Noirs vers Montgomery. Le film rappelle un autre long chemin de la liberté jalonné par des sacrifices inouïs, celui de manifestations pacifiques réprimées dans le sang par une police raciste, message plutôt troublant suite aux événements récents de Ferguson et de New York, mais revenons au scénario. Malgré les divisions perfides semées par le bigot Edgar Hoover, alors patron du FBI (le principal immeuble du Federal Bureau à Washington porte encore son nom, je l’ai constaté l’été dernier, à ma grande indignation), l’extraordinaire orateur Martin Luther King et son épouse Coretta, bien campés par les comédiens David Oyelowo et Carmen Ejogo, sont restés unis dans la non-violence et l’amour. Cet idéal exigeant, ils l’imposèrent à leur entourage parfois à juste titre découragé par le combat inégal contre les racistes, tel le gouverneur d’Alabama Mike Wallace personnifié par Tim Roth. Cette saga, pour l’instant disponible seulement en anglais, convainc même les militants, puisqu’on a eu l’honnêteté de condenser l’action avec un souci d’unité de lieu et de temps : 90% du film se déroule à Selma ou dans la maison du couple, le reste étant dédié à l’attribution du prix Nobel de la Paix à Oslo et à quelques minutes de confrontations intenses dans les bureaux du président Lyndon B. Johnson (Tom Wilkinson) forcé par la résilience noire à signer le Voting Rights Act de 1965.

Martin Luther King’s example and words of nonviolent action, choosing love instead of hate, truth instead of lies, and nonviolence instead of violence stirred me deeply. This brought me face to face with pacifism – active nonviolent resistance to evil. I recall his words after he was jailed in Montgomery: “Blood may flow in the streets of Montgomery before we gain our freedom, but it must be our blood that flows, and not that of the white man. We must not harm a single hair on the head of our white brothers.”

Vous venez de lire le témoignage de l’aumônier ayant béni le départ de l’avion qui laissa tomber la bombe atomique sur Hiroshima, ce qu’il regretta amèrement le reste de sa vie. Le spectateur de Selma, pour se convertir à l’action non-violente de King, devra consentir à s’immerger dans les nuances politiques et morales du film, par exemple en passant outre aux infidélités conjugales d’un héros sans doute moins parfait car plus proche de ses émotions que l’intellectuel Malcolm X (proche des Black Panthers, assassiné avant King), avant d’adhèrer pleinement, j’en suis convaincu, à cet épisode du magnifique combat des Noirs pour l’égalité, que les récentes productions 12 years a slave et the butler avaient aussi brillamment exemplifié. Il y a 150 ans en 1865, le 13e amendement de la Constitution des États-Unis abolissait l’esclavage dans tous les États de l’Union et laissait entrevoir aux Noirs un accès à l’égalité raciale (réf. excellent article de M. Marc-André Laferrière de la Chaire Raoul-Dandurand).

Le troisième millénaire verra certes le combat pour la paix se poursuivre sur le front racial mais aussi se transporter sur le chemin de l’égalité de la femme : il sera livré partout dans le monde, en particulier en Asie où le chemin sera long dans les pays musulmans. Mais nous encourageons d’ores et déjà la victoire de femmes exemplaires telles :

  • Malala Yousafzai au Pakistan, choisie notre personnalité de l’année 2013, survivant avec une fougue intacte d’une balle dans la tête logée par des extrémistes intégristes
  • Malalai Joya en Afghanistan, courageuse députée détestée à la fois par les Taliban et les seigneurs de la guerre mis au pouvoir par les Américains
  • Aung San Suu Kyi en Birmanie, emprisonnée plus d’une décennie par une junte militaire encore au pouvoir car favorisée par les pétrolières occidentales

Nos cinéastes Anaïs Barbeau-Lavalette (APLP2012), Kim Nguyen, Denis Villeneuve et Alanis O’bomsawin (hommage APLP2014) entre autres, ont compris cet enjeu mondial, hélas peu mis en valeur par nos médias. La première a mobilisé dans Inch’Allah les comédiennes Évelyne Brochu, Sivan Levy et Sabrina Ouazani pour illustrer le terrible sort palestinien, sous l’oppression israélienne. Le second a eu le flair d’engager Rachelle Mwamza, pour son film Rebelle, filmé au Congo malgré les embûches. Le troisième a animé le tortueux scénario de la pièce géniale de Wajdi Mouawad (APLP2006) dans Incendies,  film non moins génial grâce au talent des actrices Lubna Azabal et Mélissa Désormeaux-Poulin. Alanis O’Bomsawin, enfin, a montré la perfidie des Blancs dans leurs traités fabriqués comme des pièges grâce à son documentaire Trick or treaty où elle trouve la foi d’adopter un ton optimiste, influencé par le caractère des jeunes de la révolution Idle no more (finie l’inertie). La voix de cette documentariste est essentielle, vu que se taisent à jamais celles de centaines d’Amérindiennes assassinées, sans doute en partie par des mâles blancs racistes. Et Stephen Harper refuse toujours de déclencher une enquête…

A-t-on besoin de conclure par un couplet moralisateur de la part des Artistes pour la Paix ? Le cinéma n’est pas le seul médium engagé contre le racisme. Rappelons que les APLP étaient présents lors de l’attribution du prix Richard-Arès pour le meilleur essai de 2008 à Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher pour l’ouvrage Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, paru chez Écosociété. L’ouvrage universitaire de 350 pages, constitué d’un appareil de notes imposant de plus de 1200 entrées, permettait au lecteur de se familiariser avec une littérature abondante mettant en cause certaines entreprises aurifères canadiennes engagées dans le développement minier en Afrique avec un effet destructeur aggravé par l’impunité accordée par le gouvernement canadien. On sait hélas qu’une gigantesque poursuite de la part d’une minière canadienne a épuisé les forces d’Écosociété pendant plus de deux années.

Photo 2008: Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher

Photo 2008: Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher

Les entreprises qui exploitent les terres du Congo oriental, du Lesotho, de la Tanzanie, du Mali, du Ghana, du Soudan et d’autres pays d’Afrique (et d’Amérique Centrale, mais ce sera le sujet d’un livre ultérieur), le font avec la complicité des pouvoirs locaux, mais aussi très souvent au détriment des populations locales. Elles ont accumulé des profits colossaux suite à des investissements atteignant 14 milliards de dollars en 2010. La documentation consultée tend à montrer que les entreprises canadiennes sont compromises plus ou moins directement, par leur silence complice ou par leur implication active, dans des déplacements violents de population, dans le démembrement d’entreprises locales, dans la désolation et la pollution des territoires et dans des activités qui ont des conséquences nuisibles pour la santé des populations. Elles prennent possession, grâce à des contrats léonins, de gisements ou de mines sur des territoires nationaux africains, et les pays concernés obtiennent en échange des sommes dérisoires et souvent détournées par des élites corrompues ou par le Fonds monétaire international. Il faut donc dénoncer avec vigueur la « solution » d’envoyer des mercenaires armés canadiens protéger contre Boko Haram ces élites corrompues qui placent leurs avoirs en Suisse: la vraie solution passe par le partage équitable des profits des ressources minières entre citoyens égaux. Ils seront ainsi capables de lutter eux-mêmes contre l’embrigadement de désespérés dans une religion islamiste si amèrement extrémiste qu’elle fait son étendard de la lutte contre les livres (sauf le Coran).

Saluons chez nous Développement et Paix et le Centre Justice et foi,  des ONG canadiennes qui tentent de protéger une partie des Africains victimes des prédateurs canadiens. On attend avec intérêt le prochain numéro de mars de Relations qui se penchera sur le problème écologique pointu de « la marchandisation de la nature vue comme un capital au service de la croissance, comme cela se traduit notamment en Afrique ».