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Nœud coulant raciste

Chicago 11/11/22 : la construction du futur centre Obama, situé en sa ville où il avait démarré en 2008 sa campagne présidentielle, a été suspendue après la découverte d’un nœud coulant sur le chantier, un symbole raciste très violent. « La haine n’a pas sa place en Illinois, a dénoncé le gouverneur démocrate de cet État de la région des Grands Lacs, J.-B. Pritzker. « Cette corde est plus qu’un symbole raciste : c’est un rappel brutal de la violence et de la terreur infligées aux Américains noirs pendant des siècles ».

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Abel Meeropol et Billie Holiday

Le 20 juin 2020, les Artistes pour la Paix publiaient un article sur une nouvelle interprétation de Strange fruit, chanson composée par le Juif-Américain aux parents réfugiés d’Europe de l’Est ayant échappé aux lynchages et aux pogroms nazis, Abel Meeropol. Membre du parti communiste, lui et sa femme avaient adopté les deux enfants du couple Ethel et Julius Rosenberg exécutés en 1953 par les États-Unis pour « avoir livré des plans secrets de la bombe atomique à l’URSS », mais avaient auparavant transmis en 1939 leur chanson à Billie Holiday. Elle l’a souvent chantée, ce qui lui a valu la prison infligée par J. Edgar Hoover lui ayant intimé l’ordre de ne plus interpréter ce chant jugé antipatriotique : le patron du FBI dont le building porte encore l’infâme nom (à quand un changement qui s’impose historiquement, même s’il sera condamné par les antiwoke comme un signe de cancel culture ?) tolérait davantage les lynchages que les chansons. Quant aux réformes sociales par exemple prônées par les deux Kennedy assassinés, elles ont été enterrées par les Nixon, Reagan et Trump transformant peu à peu les États-Unis en un état fasciste et militariste, avec l’aide récente de Biden dans sa politique ukrainienne armée inspirée par l’OTAN.

Radio-Canada avait justement publié en juillet 2020 des explications de Greg Robinson, professeur d’histoire à l’UQAM, qui, après la découverte de plusieurs nœuds coulants au Québec et au Canada installés par l’extrême-droite, avait informé la population sur ce symbole utilisé par le Ku Klux Klan aux États-Unis. Le film Chien blanc nous offre de saisissantes images d’archives de manifestations de masse de ce groupe raciste et violent recourant au lynchage jusqu’en 1968.

1968 renvoie à l’assassinat du révérend Martin Luther King qui a déclenché des manifestations sanglantes et dévastatrices puisque des quartiers entiers furent incendiés : les Blancs auraient alors appris la peur des Noirs ayant officiellement cessé d’être de faibles victimes consentantes. Plus tard, en 2020, sous Trump, la mort de George Floyd déclenche le mouvement Black lives matter, dont Anaïs a intégré en conclusion optimiste de son œuvre des images filmées pour montrer la force solidaire des Noirs rejoints cette fois-ci en masse par la communauté américaine progressiste[i].

Chien blanc de Romain Gary 1970

S’il avait pu entrevoir ce dénouement (qu’on ne peut qualifier de final, vu la résurgence des haines racistes républicaines pendant les élections de mi-mandat), Romain Gary (en russe, son nom veut dire brûle) ne se serait peut-être pas suicidé. Qui est-il ? Seul écrivain récompensé par deux prix Goncourt, le deuxième sous le pseudonyme d’Émile Ajar, il est né juif en 1914 à Vilnius en une Lituanie alors intégrée à la Russie.

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L’actrice américaine Jean (proncer Djin’) Seberg au bras de son mari Romain Gary.

Aviateur et résistant (fait compagnon de la Libération par De Gaulle et croix de la Légion d’Honneur), romancier (manie le français et l’anglais avec maîtrise), diplomate (télescope les événements de Chien blanc avec ses années comme consul français établi à Los Angeles), scénariste et réalisateur, Romain Gary a conçu cette œuvre cynique (voir l’étymologie de l’adjectif). Avec sa célèbre femme actrice (connue en France comme partenaire de Belmondo dans À bout de souffle 1960 de Godard), il a côtoyé les antiracistes Jack Lemmon, Barbra Streisand, Paul Newman, Burt Lancaster, Warren Beatty et notre Belafonte, mais aussi l’Actors’ Studio et Marlon Brando qu’il exécute tous deux dans des anecdotes dénigrantes, tout en disant admirer la générosité de Brando pour UNICEF !

Et sa vision des Noirs pour qui il a une sympathie immense, en particulier pour le visage de Coretta King et pour le révérend Jackson, ne l’empêche pas de dénoncer Cleaver, Malcolm X, Le Roi Jones, les Black Panthers et surtout d’autres payés par le FBI pour faire dérailler par leur extrémisme l’ensemble du mouvement (le pacifisme connaît cela). Aussi lucide soit-elle, sa vision de droite manque de générosité envers des gens persécutés pour la seule couleur de leur peau. Mais je revendiquerais volontiers sa maxime : « La seule chose qui m’intéresse, c’est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité »! Ce machisme pourrait-il expliquer son suicide à 66 ans, même s’il critique les grands auteurs américains d’être obnubilés par la grandeur de leur pénis ?

Chien blanc d’Anaïs Barbeau-Lavalette 2022

En équilibre entre une société blanche élitiste et une communauté accusée de tous les maux, comme l’était la docteure canadienne admirablement jouée par Évelyne Brochu écartelée entre une amie israélienne et les Palestiniens dans Inch’Allah, film qui avait valu à Anaïs le prix Artiste pour la Paix de l’année 2012, de même le consul Gary et sa femme, actrice célèbre, tentent de venir en aide aux Noirs des États-Unis persécutés en 1968. Un sujet d’autant plus brûlant pour Anaïs que sa grand-mère, qu’elle n’a pas connue, avait, comme son grand-père illustre peintre du Refus global avant elle, abandonné ses enfants pour aller, elle, militer avec les militants noirs marcheurs pour l’égalité raciale (et contre la guerre au Vietnam à l’instar de tous les militants de la paix âgés de plus de 65 ans).

Les très nombreux lecteurs qui ont fait de la femme qui fuit un immense succès littéraire mérité devraient se précipiter sur sa nouvelle œuvre filmique qui explore en quelque sorte les motivations complexes mais cette fois éclairées de Suzanne Meloche, quand elle s’en alla marcher à Selma en Alabama voisine de la Géorgie (l’état qui se prononcera le 6 décembre dans une élection reflétant le futur des USA!). Notre nouvelle recrue au C.A. des APLP, la grande ballerine Lilya Prim-Chorney, s’était vue emprisonnée plusieurs fois aux États-Unis, pour sa simple complicité avec des marcheurs Noirs guidés par un désir de liberté et de justice sociale…

Anaïs me semble guidée par son cœur pour éclairer le chemin de la solidarité humaine. Elle mise sur le talent exceptionnel de son comédien principal, Denis Ménochet, pour animer un personnage écartelé entre le désir ardent d’agir pour le bien commun et le traquenard posé par la complexité du racisme systémique nord-américain. Son film ne refuse pas, sans la nommer toutefois, une exploration des tensions subtiles entre un héros qui a 24 ans de plus que sa jeune épouse qui lui a donné un jeune fils dont le regard trahit dans toutes ses scènes une sensibilité à vif qui sert le film.

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Le Gary du film est-il conscient de son paternalisme incapable de se séparer de Chien blanc, un berger allemand dressé par la police pour attaquer les Noirs et qu’il veut à tout prix rééduquer à l’aide d’un dresseur noir formidablement interprété par K.C. Collins jouant aussi de toutes les ambiguïtés de sa situation ? Écoutons l’auteur Romain Gary :

« J’attribuais à Keys [le dresseur] mes propres petites fermentations idéalistes et nostalgiques, ces trémolos, la larme à l’œil d’un « Aimez-vous les uns les autres » qui n’exclurait ni les chiens ni les hannetons tombés sur le dos et que l’on remet sur pattes, cet espèce d’« Ave Maria » éternel de la sensibilité, de la fraternité et de la bonté – quand je pense que je vais publier ce récit et qu’on va trouver ces mots sensiblards sous ma plume, j’entends déjà le rire moqueur des rationalistes intégraux, sans marge, sans fanfreluches humanitaires, les vrais durs, les vrais de vrais, ceux qui ont bâti le monde, car ce sont, ne l’oublions pas, les hommes forts qui ont bâti le monde, à croire que le salut ne peut venir que de la féminité… »

La sensibilité d’Anaïs fait flèche de tout bois, y compris dans une scène déchirante superbement illustrée par une chanson de l’Artiste pour la Paix de l’Année, Dominique Fils-Aimé. Reste un point crucial qu’elle a échappé, tout comme Gary dans son livre, à moins que mon romantisme pacifiste m’égare (vous me communiquerez votre jugement?) : Chien blanc s’évade de son chenil et traverse « toute la vallée de San Fernando et les collines de Beverly pour venir rejoindre les siens » qu’il connaît pourtant depuis peu. Sur sa route, il a sûrement croisé des Noirs qu’il aurait pu poursuivre de sa haine inculquée par les policiers blancs. Non, son idée fixe fut de rejoindre ceux qui lui avaient pour la première fois témoigné de l’amour. Gary écrit : C’est assez terrible d’aimer les bêtes. Lorsque vous voyez dans un chien un être humain, vous ne pouvez pas vous empêcher de voir un chien dans l’homme et de l’aimer. Amen !


[i] http://www.artistespourlapaix.org/funerailles-du-racisme-americain/ écrit le 4 juin 2020