NDLR : Nous publions cette lettre aux élus datée du 29 mars, parue le 3 avril dans l’Aut’Journal, signée entre autres par les APLP. Pour vous remettre dans le contexte, consultez nos articles précédents sur le sujet en cliquant ici.

Le laboratoire nucléaire de Chalk River

Lettre aux élus de l’Assemblée nationale

Nous nous adressons à vous aujourd’hui pour attirer votre attention sur un dossier de haute importance pour les Québécois et sur lequel vous serez appelés à vous prononcer.

L’ère de la gestion des déchets radioactifs est maintenant entamée au Canada. Deux projets fédéraux, présentés par les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), menacent de contaminer de matières radioactives la rivière des Outaouais, principal affluent du Saint-Laurent et source d’eau potable pour des millions de Québécois :

  • Le dépotoir nucléaire à Chalk River (ON) où l’on empilerait un million de mètres cubes de déchets radioactifs, à moins d’un kilomètre de la rivière des Outaouais, sur le flanc d’une colline dans une zone marécageuse et sismique pouvant atteindre 6 sur l’échelle de Richter.
  • La « mise en tombeau » de la centrale nucléaire NPD à Rolphton (ON), où l’on remplirait de béton le réacteur et tout le sous-sol de la centrale alors qu’elle est à quelques centaines de mètres de la rivière des Outaouais. Le déclassement in situ serait un recul pour la sécurité publique et consisterait à abandonner sur place le réacteur nucléaire, alors que le gouvernement canadien a toujours promis de démanteler ses réacteurs nucléaires pièce par pièce pour les entreposer dans des sites d’enfouissement en profondeur et à remettre le site dans son état naturel d’origine.

 

Pilotés par un consortium de cinq entreprises privées sous un modèle de PPP, ces deux projets proposent les solutions les plus dangereuses, les moins chères et les plus expéditives pour gérer les déchets radioactifs dont le gouvernement canadien est propriétaire.

Les projets sont actuellement à l’étude en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCÉE, 2012). Bien que les échéanciers demeurent imprécis (1), nous croyons que les promoteurs déposeront leurs réponses aux commentaires, aux questions et aux demandes d’accès à l’information formulés par les élus fédéraux et provinciaux dès l’été ou l’automne 2019. Les élus fédéraux et les provinces auront alors 90 jours pour prendre connaissance des réponses des LNC et pour soumettre d’autres questions et commentaires. À la suite de cet examen, les LNC déposeront la version finale de l’Énoncé des incidences environnementales (ÉIE) en vue d’obtenir l’approbation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) pour ces deux projets. La CCSN prendra sa décision sur l’acceptabilité des projets et le public aura 30 jours pour participer aux audiences publiques sur l’ÉIE et à la décision de la CCSN.

Cependant, nous avons perdu confiance dans l’évaluation environnementale des projets nucléaires et dans l’impartialité de la CCSN depuis les changements que le gouvernement de Steven Harper a apportés à la Loi sur l’évaluation environnementale. En abolissant l’obligation d’obtenir l’avis d’une commission indépendante d’experts sur les projets et en excluant le ministre de l’Environnement de la prise de décision, le gouvernement Harper a donné à la CCSN l’autorité exclusive de décider du sort des projets nucléaires. Cela nous préoccupe au plus haut point, car la CCSN se retrouve en conflit d’intérêts flagrant par son double mandat de réguler une industrie dont elle doit aussi faire la promotion (2).

Selon les nombreux experts, les élus provinciaux ou fédéraux et les membres des Premières Nations qui ont participé aux audiences publiques de la CCSN, ces deux projets contreviennent aux normes de sécurité de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et ils provoqueront inévitablement une contamination radioactive des eaux souterraines et de la rivière des Outaouais (3). Il n’existe aucun seuil de contamination radioactive qui serait inoffensif pour l’être humain et pour l’environnement. Même de faibles expositions peuvent être mortelles.

Dans l’excellent rapport soumis à la CCSN par la province de Québec sur le projet de dépotoir nucléaire, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) soulève les graves lacunes de la technologie proposée, de l’emplacement, du type de déchets qui seront enfouis et les risques de l’éventuel dépotoir. « En raison de l’enjeu que représente le risque de contamination de la rivière des Outaouais pour le Québec, le gouvernement compte également transmettre, dans le cadre de la procédure fédérale, sa position à la CCSN quant à l’acceptabilité environnementale du projet », précise le MELCC (4).

Plusieurs agences et ministères du Québec ont aussi soumis leurs commentaires à la CCSN sur la mise en tombeau de la centrale nucléaire NPD. Dans ses commentaires, le ministère de la Santé et des services Sociaux (MSSS) souligne à plusieurs reprises que ce bétonnage in situ ne respecte pas les meilleures pratiques de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Selon l’AIEA, le démantèlement in situ n’est pas une mesure de démantèlement sécuritaire, mais une mesure d’urgence à utiliser seulement dans un cas d’accident grave et majeur. « En absence de la documentation détaillée justifiant ce choix technique face à des alternatives recommandées par l’Agence internationale de l’énergie atomique, nous émettons une opinion défavorable sur le projet de déclassement in situ tel que proposé », écrit le MSSS p.6.

Plus de 130 municipalités et MRC du Québec ont adopté des résolutions pour s’opposer au projet de dépotoir nucléaire dont la Communauté Métropolitaine de Montréal (5), les Villes de Gatineau et de Laval ainsi que les MRC de Pontiac, des Collines-de-l’Outaouais, de Deux-Montagnes, Les Moulins et de La Vallée-du-Richelieu. Des membres des Premières Nations ont également adopté des résolutions et des déclarations d’opposition : Assemblée des Premières Nations, la Nation Anishinabek et le Caucus iroquois.

En tant que représentants élus, nous vous demandons de poursuivre l’excellent travail de vos prédécesseurs et d’agir avec leadership pour protéger les intérêts des Québécois dans ces dossiers de haute importance. Nous demandons à votre gouvernement d’exiger une gestion sécuritaire des déchets radioactifs du gouvernement canadien et d’assurer la protection des sources d’eau potable de millions de Québécois.

Nous vous demandons de vous renseigner sur les projets (6), de mobiliser les acteurs-clés (ministères et agences) qui détiennent l’expertise pour participer aux prochaines étapes de l’évaluation environnementale et de prendre clairement position lors du dépôt de la version finale de l’ÉIE, juste avant la décision de la CCSN. Nous aimerions connaître la position de votre gouvernement et des partis d’opposition dans ces dossiers.

Nous demandons également que le gouvernement du Québec fasse pression sur le gouvernement Trudeau pour que le Canada aménage immédiatement un site de stockage permanent et sécuritaire pour les déchets de moyenne intensité qui ne devraient pas se retrouver dans le dépotoir en surface de Chalk River. Le Québec doit aussi demander que le Parlement canadien adopte une politique précise et détaillée sur la gestion à très long terme de tous les déchets radioactifs autres que le combustible irradié. Finalement le Québec doit se préoccuper de l’entreposage des déchets radioactifs de la centrale Gentilly-1 et exiger qu’Ottawa procède à une démolition complète de cette centrale, avec remise des lieux dans leur état initial, selon des échéanciers précis.

Nous sommes convaincus que nous pouvons compter sur votre gouvernement pour protéger les intérêts et la santé des Québécois et nous aimerions être informés de vos prochaines interventions dans ces dossiers.

Elssa Martinez,
Association des propriétaires de chalet de Fort William, Sheenboro, Qc (OFWCA)

Réal Lalande, coordonnateur
Action Climat Outaouais (ACO)

Ginette Charbonneau, physicienne, porte-parole

Gilles Provost, porte-parole
Ralliement contre la pollution radioactive (RCPR)

Co-signataires :
Alice -Anne Simard, Directrice générale, Eau Secours
Lucie Sauvé, Professeure titulaire et Directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté de l’Université du Québec à Montréal
Guy Garand, directeur général Conseil régional de l’environnement de Laval
Odette Sarrazin, coordonnatrice régionale Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Gareth Richardson, président Coalition Verte
Pascal Bergeron, porte-parole Environnement Vert Plus
Patrick Rasmusssen, Mouvement Vert Mauricie
Hélène Crevier, Alerte Pétrole Rive-Sud,
Hélène Bertrand, Le Conseil des Canadiens
André Michel, président Les Artistes pour la Paix
Normand Beaudet, Centre de ressources sur la non-violence
Rodrigue Turgeon, co-porte-parole Comité de citoyen de protection de l’esker
Sylvia Oljemark, président Regroupement des citoyens de Saraguay
Marc Nantel, porte-parole Regroupement Vigilance Mines de l’Abitibi-Témiscamingue
Marc Fafard, porte-parole Sept-Îles Sans Uranium
Jacques Benoit, Coalition Solidarité Santé


(1) Si vous avez besoin de plus amples informations à ce sujet, vous trouverez la liste complète des jalons du projet pour les processus d’EE et d’octroi de permis pour le dépotoir nucléaire : https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/p80122/125519F.pdf ; pour la mise en tombeau de la centrale nucléaire NPD : https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/p80121/125116F.pdf

(2) Dans le rapport final Bâtir un terrain d’entente: une nouvelle vision pour l’évaluation des impacts (EI) au Canada (2007), le comité d’experts mandaté par Justin Trudeau pour étudier les processus d’évaluation environnementale recommande d’abolir l’autorité de la CCSN dans l’évaluation des projets nucléaires. Cette recommandation vise à assurer que les évaluations soient réalisées par une autorité impartiale.

(3) Pour consulter tous les rapports soumis lors des audiences publiques pour le projet de dépotoir nucléaire: https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/evaluations/document/exploration/80122?type=3&culture=fr-CA, pour le projet de démantèlement in situ : https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/evaluations/document/exploration/80121?type=3&culture=fr-CA

Entre autres, voir les soumissions de monsieur JR Walker, Ph. D., ancien directeur de la sûreté ingénierie et permis à Énergie Atomique du Canada Limitée (ÉACL) : https://www.ceaa.gc.ca/050/documents/p80122/119034E.pdf, celle du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec, de la Fondation David Suzuki et d’Équiterre : https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/p80122/120076F.pdf.

(4) Pour consulter le rapport préparé par le MELCC : https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/p80122/120514F.pdf

(5) Le 26 avril 2018, la Communauté métropolitaine de Montréal qui regroupe 82 municipalités a adopté à l’unanimité la résolution suivante au nom de 4 millions de contribuables :
https://fr.scribd.com/document/377478390/Le-projet-de-resolution-de-la-CMM-sur-Chalk-River#from_embed

(6) Le 25 mars 2018, l’émission Découverte diffusait un reportage d’une heure sur le projet dépotoir nucléaire à Chalk River en Ontario. Réalisé par Pierre Gagné et Daniel Carrière, ce reportage a l’avantage de présenter un point de vue indépendant et scientifique et pose un regard sur les risques associés au projet pour le Québec :  https://www.youtube.com/watch?v=l31hrbRBUrA