Bolivia's President Evo Morales looks down during a press conference in La Paz, Bolivia, Sunday, Nov. 10, 2019. Morales is calling for new presidential elections and an overhaul of the electoral system Sunday after a preliminary report by the Organization of American States found irregularities in the Oct. 20 elections. (AP Photo/Juan Karita)

Evo Morales, le 10 novembre

Le président Evo Morales a tenté, depuis 2006, de remodeler le rapport entre la Bolivie et ses ressources naturelles. Il voulait que les revenus profitent au peuple et non aux transnationales minières, comme ce fut historiquement le cas au siècle dernier – la Bolivie a subit plusieurs coups d’état militaires, toujours au profit de ces minières. Morales nationalisa les opérations minières des principales entreprises, dont Glencore, Anglo-Argentine Pan American Energy et South American Silver (devenue TriMetals Mining). Le plan réussit en partie, l’indice de pauvreté bolivien diminuant de beaucoup grâce à l’injection des revenus miniers dans les programmes sociaux.

Même sous la nationalisation, les transnationales continaient à opérer en vertu d’ententes antérieures. Par exemple, l’entreprise de Vancouver South American Silver exploitait des mines d’argent et d’indium à Mallku Khota depuis 2003. Une fois ces concessions épuisées, la compagnie réclama des terrains habités par les autochtones boliviens, qui l’accusèrent de violer un territoire sacré et d’engendrer un climat de violence. Il y eut un mort parmi les autochtones lors des manifestations de 2012.

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Manifestations à Mallku Khota en 2012

En août 2012, le gouvernement Morales émit son décret 1308, annulant l’entente avec South American Silver/TriMetals Mining, qui réclama un arbitrage international et des compensations. Le gouvernement canadien, dans une campagne musclée d’appui aux minières canadiennes en Amérique du Sud, mit la grosse pression sur la Bolivie. En 2019, TriMetals Mining obtint une compensation de 25,8 millions.

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Opération de TriMetals Mining en Bolivie

Des affaires similaires impliquèrent Jindal Steel (Inde), Glencore (Suisse) et Anglo American Pan American. En 2014, la Bolivie avait réglé des compensations totalisant 1,9 milliard, ce qui est énorme quand on sait que le PIB de la Bolivie était de 28 milliards. Ce qui n’empêcha pas Morales de tripler la taille de l’économie bolivienne.

La guerre du lithium

La Bolivie possède 70% des réserves mondiales de lithium, ce minerai essentiel à la fabrication de batteries. Mais l’extraction du lithium est extrêmement complexe et requiert d’énormes capitaux, et la Bolivie devait avoir recours à des entreprises étrangères.

Le plus important gisement se trouve dans les marais salins de Salar de Uyuni, à 3600 mètres d’altitude. Impossible de procéder par évaporation solaire, d’où le besoin en technologie de pointe et en investissements de taille. La règle établie par le gouvernement spécifiait que toute extraction devrait se faire en partenariat avec Comibol, l’entreprise minière nationale bolivienne, et Yacimientos de Litio Bolivianos, la compagnie nationale de lithium.

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Extraction de lithium

L’entreprise allemande ACI Systems conclut un accord l’année dernière, mais suite aux protestations des habitants de la région de Salar de Uyuni, Evo Morales annula l’entente en 2019, pour se tourner vers une nouvelle source de capitaux : la Chine.

Des groupes chinois, comme TBEA, China Machinery Engineering et Tianqi Lithium, ce dernier opérant déjà en Argentine, s’entendirent avec YLB. Mais la présence de cette nouvelle entité conjointe contrôlant la production de lithium en Bolivie était innacceptable pour les grandes transnationales non-chinoises.

Le constructeur d’automobiles électriques Tesla ainsi que l’entreprise canadienne Pure Energy Minerals voulaient obtenir une participation directe dans le lithium bolivien, mais refusaient de se plier aux conditions imposées par le gouvernement Morales, décidément un obstacle à la bonne marche des affaires selon le modèle en place depuis toujours en Amérique du Sud. Il devait donc quitter la scène…

Encore le Canada

Il est troublant de constater que lorsqu’on associe les mines, l’Amérique du Sud et les conflits, on pense presque toujours aux entreprises canadiennes. En Bolivie, on pointe du doigt la South American Silver, surtout à cause des émeutes de Mallku Khota en 2012 qui menèrent à la nationalisation des activités de l’entreprise.

On devrait également penser au gouvernement du Canada, dont les directives aux hauts fonctionnaires du Commerce international ordonnaient « d’intensifier leur pression sur le gouvernement bolivien afin de protéger et défendre les intérêts canadiens, et parvenir à une solution productive de cette situation ».

Immédiatement après la démission de Morales, la ministre Chrystia Freeland émit ce communiqué : « Le Canada appuie la Bolivie et la volonté démocratique de son peuple. Nous prenons acte de la démission du président Morales et nous continuerons d’appuyer la Bolivie en cette période de transition et de nouvelles élections ». L’éjection de Morales fut ensuite condamnée par Cuba, le Mexique et le Venezuela.

Dans les heures qui suivirent la démission d’Evo Morales, le prix de l’action de Tesla s’envola.

Revenons dix jours en arrière : Affaires mondiales Canada disait : « Il est impossible d’accepter les résultats de l’élection dans ces circonstances. Nous nous joignons à nos partenaires internationaux et demandons une nouvelle élection afin de rétablir la crédibilité du processus électoral ». Le Canada appuya immédiatement l’OEA dans la contestation des résultats et les accusations de fraude électorale (voir notre article précédent).

Il est de plus en plus évident que Trudeau et Freeland alignent leur position sur celles des États-Unis – ils ne prennent même plus la peine de se cacher. Mais ce qui se dégage du portrait, c’est que le gouvernement se transforme en exécutant des basses oeuvres pour les grandes minières, et ce au détriment des populations autochtones partout en Amérique du Sud.

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Justin Trudeau s’adressant à la Prospector & Developers Association of Canada en mars 2019

Il faut savoir que 60% des sièges sociaux des grandes compagnies minières de la planète sont situés au Canada, à Toronto et Vancouver. Les activités minières représentent 53% de l’indice composite de la bourse de Toronto (TSX).

Si on fait le détail des activités les moins reluisantes du Top 10 de ces compagnies canadiennes, on notera : déforestation intensive, incendies criminels, viols, intimidation d’opposants, violences diverses, empoisonnement à l’arsenic, tortures, contamination de l’eau, migration forcées. Non pas de la fiction, mais une triste réalité soutenue par le gouvernement, consignée dans ce rapport de l’Institut Tricontinental : cliquez ici, âmes sensibles s’abstenir.

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Déforestation autour d’une mine d’or au Pérou