Avec le précieux concours d’André Jacob et Bill Sloan.

Evo Morales (à droite) et Carlos Mesa
Des manifestations ont eu lieu à La Paz et dans d’autres villes, sur l’appel de Carlos Mesa, qui accuse publiquement Morales d’avoir orchestré “de grossières altérations des résultats du vote”. Les organisations de la société civile étaient également dans la rue en soutien à Morales.
On a remarqué un brusque changement dans la tendance du vote, après que les urnes de certaines zones rurales aient été dépouillées. Ces régions, habitées presqu’à 100% par les autochtones, favorisent traditionnellement M. Morales, qui est l’un des leurs. C’est ce changement, survenu sur le tard, que les observateurs de l’Organisation des États Américains trouvent suspect. Par contre, le Centre de recherche sur l’économie et les politiques a déclaré que l’OEA n’a fourni aucun chiffre, preuve ou statistique qui démontre une fraude électorale.
L’OEA a appelé, trop rapidement, à un second tour de vote “afin de rétablir la confiance du public en la démocratie”. L’Union européenne a emboité le pas. Les États-Unis n’ont pas encore reconnu le résultat de l’élection, mais le Mexique a félicité Morales pour sa victoire.
Nous ne prétendons pas que la situation en Bolivie soit parfaite : le mécontentement actuel à l’égard du gouvernement repose sur plusieurs facteurs conjugués. Premièrement, Morales a, depuis quelques années, entrepris une réforme agraire inachevée qui remet en question les pratiques des latifundistes. Deuxièmement, à l’opposé, plusieurs secteurs populaires estiment que les réformes promises quant aux droits sociaux et économiques (pour la plupart en voie de réalisation) n’ont pas donné tous leurs fruits. Enfin, le gouvernement s’est attaqué à l’économie parallèle; dans le commerce, ce semblait devenu normal de ne pas payer les taxes. La nouvelle petite bourgeoisie rouspète.
Oui, d’accord, mais le Canada dans tout ça ?
Neuf jours après le vote, Affaires mondiales Canada a émis un communiqué, se déclarant “profondément préoccupé par les irrégularités électorales en Bolivie”. Étrange, car le gouvernement canadien sait habituellement se montrer plus réservé. Pourquoi cette attitude, dans une affaire où la fraude est très loin d’être établie ?
Il faut savoir que le Canada s’est octroyé un rôle de leader au sein de l’OAE. Il a usé de son influence pour tenter de mettre à mal, par exemple, la coopération entre le Venezuela et Cuba (ce fut un échec majeur). Il faut aussi se souvenir qu’avant d’être ministre des Affaires étrangères, Mme Freeland s’occupait du Commerce international, poste où elle s’est plutôt bien entendue avec le lobby des compagnies minières canadiennes opérant en Amérique du Sud. Cela explique ses positions pro-minières dans la controverse vénézuelienne, au sein du Groupe de Lima. Mme Freeland est le faucon du PLQ. Antisocialiste notoire, elle est aussi très active dans la lutte contre la Russie et Cuba. Elle aligne d’abord ses positions sur celles des États-Unis. Elle devrait être au Parti conservateur…
Mme Freeland n’est pas la seule : dans les pays riches en minerai comme la Bolivie et le Chili, le Fonds monétaire international tente par tous les moyens de favoriser les grandes entreprises minières transnationales qui exploitent les richesses naturelles sans aucun scrupule.

Un touchant moment de « bonding » entre l’ambassadrice des É-U Kelly Craft et Chrystia Freeland lors d’une réunion du Groupe de Lima en février 2019.
Pourtant, il n’y a pas qu’en Bolivie que la population descend dans la rue : ça brasse aussi en Équateur et au Chili. Mais le Canada reste discret au sujet de ces derniers, qui sont dirigés par des gouvernements de droite néo-libérale, alors que M. Morales, dont l’un des slogans est “Notre souveraineté passe avant les ressources naturelles”, est résolument à gauche. Les industries minières sont à la base du développement de la Bolivie et à ce titre, sont considérées comme la propriété du peuple bolivien, pas précisément le discours néo-libéral que veulent entendre les transnationales minières.
Par ailleurs, le gouvernement d’Evo Morales a toujours maintenu, depuis son élection, une politique de redistribution des richesses par le biais d’un renforcement de la demande et du marché intérieur libre. Sa façon de faire a contribué à améliorer le niveau de vie de la population. Cette stratégie a aussi permis de ne pas susciter une opposition agressive jusqu’à cette élection-ci; le puissant secteur agroalimentaire y a trouvé son compte en améliorant ses ventes. En outre, ce dernier a maintenu plusieurs privilèges traditionnels liés au système latifundiste comme le contrôle d’une main-d’œuvre pratiquement réduite au servage.
Le Canada voit donc une occasion d’étendre son influence en Amérique du Sud pour favoriser en sous-main les opérations des minières, si jamais M. Morales n’était plus là. D’où cette déclaration d’une “profonde préoccupation”, basée sur des conclusions préliminaires des observateurs de l’OEA, qui réclamaient un second tour avant même que les résultats du premier n’aient été entièrement compilés.
La tactique n’est pas nouvelle, ni très originale. Il s’agit avant tout de discréditer le gouvernement en laissant planer un doute sur sa légitimité. Mais ça a raté au Venezuela, et rien ne laisse entrevoir que cela fonctionnera en Bolivie.
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