Marcelle Ferron

Marcelle Ferron

Homélie présentée lors des funérailles de Marcelle Ferron le  23 novembre 2001 par Andrée Lachapelle, comédienne et Pierre Jasmin, pianiste, tous deux membres des Artistes pour la Paix.

(Andrée)

Pierre, la dernière fois que nous étions réunis, c’était le 14 février dernier, au Centre Pierre-Péladeau, afin de proclamer Marcelle Ferron artiste pour la paix de l’année 2000.   On l’avait fêtée, tu t’en souviens, en compagnie de sa fille Babalou, de Marie-Claire et Richard Séguin, Maryvonne Kendergi, Michel Chartrand, Florent Vollant, Marquise Lepage, Josée Lambert, Jacques Lavallée, Paul Klopstock et beaucoup d’autres, tous en admiration devant cette grande dame.

Mais pour la première fois en plus de 12 ans de remises annuelles du prix, les journaux n’avaient pas rapporté l’événement : c’est comme si le concept de paix, lorsque jumelé avec justice sociale, était devenu obscène dans une société, où par ailleurs les limites  pornographiques deviennent plus permissives.

Marcelle nous avait livré deux messages le 14 février.

  • Le 1er, «Même les religions n’ont pu abolir les guerres. On a même appelé ça guerres de religion» qui allait s’actualiser dramatiquement, 7 mois plus tard, le 11 septembre.
  • Le 2e message, c’était : «Il y a quatre couleurs dans le monde : Il y a le noir, il y a le blanc, il y a le jaune, il y a le rouge.  On naît sous une de ces couleurs par pur hasard. Le racisme est donc une chose complètement incompréhensible, car derrière chaque couleur, il y a un homme ou même un enfant.  La paix est nécessaire pour éviter de tuer les enfants d’Afrique, entre autres».

Marcelle, comme nous, avait ses doutes sur la Pax americana et les exprimait avec toute la magnifique insolence dont elle était capable. Elle s’interrogeait avec lucidité sur la «justice infinie» d’un pays qui fabrique et exporte encore des mines anti personnel en Afghanistan où elles ont fait, au cours des années, des dizaines de milliers de civils estropiés.  Pour Marcelle, qui souffrait continuellement de «sa patte», comme elle le disait avec humour, sa jambe affectée par la tuberculose osseuse, il y avait une sorte de sympathie naturelle envers ces victimes. Les Artistes pour la Paix ont travaillé de façon tangible afin que notre pays, au contraire des États-Unis qui ont refusé de signer le traité anti-mines, se fasse champion d’un monde libéré de ces engins.

Marcelle a milité de bien d‘autres façons, par exemple, lors d’un encan d’œuvres d’art organisé par les Artistes pour la Paix au profit d’un collectif de femmes croates et bosniaques qui soignaient, à l’aide d’une thérapie par l’art, les victimes de viols systématiques perpétrés lors de la guerre des Balkans.  Elle avait donné une œuvre à cette occasion avec sa générosité coutumière.

«L’artiste, disait-elle, est toujours rebelle, hostile à toutes les formes de dictature.  C’est pour ça qu’il est toujours le premier à être mis en prison.  Il représente la liberté et la gratuité, et même si on lui coupait la tête, on ne pourrait jamais lui enlever ses rêves, comme le dit une légende chinoise».

Marcelle, tes rêves, tes œuvres vont nous éclairer notre vie durant.

(Pierre)

Et elle ajoutait, Andrée, à l’époque du «Refus global» :

«Apprendre à lire la peinture, à décoder, cela t’apprend à avoir un autre regard sur la société.  C’est ce qu’on ne nous a pas pardonné : tout à coup, ce regard-là !  On s’est mis à regarder ce qui se passait dans la vie.  Et comme on avait appris à voir un peu mieux, on a vu.  C’est tout.  C’est global, ça»

Cette lucidité pénétrante était tempérée chez Marcelle par ce que Gaston Miron appelle, dans son poème Compagnon des Amériques, «la commisération infinie » – Cette compassion, elle l’exerçait envers tous les faibles ou exploités, non seulement ceux du Chili de Pinochet, de l’Espagne sous Franco, du Québec des années 50 ou 70, mais, indépendamment des idéologies, elle exprimait sa solidarité aussi envers les Algériens dans la France des années 60, ou envers les Tchèques occupés par les Soviétiques en 1968.

Inspirée par la franchise brutale et le sens des structures d’un Beethoven, par la douloureuse compassion et la sensualité colorée d’un Gustav Mahler, ses deux compositeurs préférés,  Marcelle Ferron la femme et le peintre, constitue à son tour un véritable modèle pour les Artistes pour la Paix.

Pour conclure, écoutons le magnifique message posthume qu’elle nous adresse, tel que cité dans les Esquisses d’une mémoire de Michel Brûlé :

(Andrée)

«La mort éclaire la vie.  Elle ne te rend pas morbide ni suicidaire.  Au contraire.  La mort donne à la vie une richesse, une fragilité aussi qui te rend beaucoup plus attentif.  (…) J’aime les êtres qui ont cette vulnérabilité.  Parce que c’est peut-être ce qui rend sensible, compréhensif, ce qui donne des ouvertures».