L’idéal de non-violence fait primer la vie sur l’attrait romantique de la mort  Article de Pierre Jasmin, reproduit par l’Aut’Journal, sur http://lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=5762

Torse nu exposant sa virile musculature et sa kalachnikov-symbole phallique, le défunt terroriste Coulibaly, qui laisse une belle veuve Algérienne enceinte modestement vêtue d’une burqa, surimpose son image souriante et rebelle aux vieillissants modèles SS hollywoodiens, Schwarzenegger et Stallone : mais pour une religion si chatouilleuse de l’image de son dieu, lui et l’Armée islamiste qui filme ses exécutions ne nagent-ils pas en pleine contradiction?

Le Niger, le Pakistan et le Yémen s’enflamment néanmoins pour « le fascinant héros » qui a défendu le Prophète et ses fidèles malmenés par les militaristes occidentaux aux CF18 et aux drones malfaisants. Révoltés, ils manifestent contre « les scandaleuses caricatures offensantes » publiées dans les journaux de propagande occidentale. Face aux inégalités extrêmes des cheiks, émirs et autres potentats gardés au pouvoir par nos militaires en échange de leur pétrole, ces malheureux cherchent dans la dure « solidarité disciplinaire de l’islamisme » la seule antidote qui leur reste contre les autorités tyranniques du Qatar, de l’Arabie Saoudite, de la Turquie et de l’Égypte militaire. Leur vision romantique désespérée, attachée à des valeurs rétrogrades intégristes et à des actes suicidaires qui leur donnent l’illusion d’agir, s’identifie aveuglément à leur cause violente, comme un amour machiste méprise en fin de compte le mieux-être de celle qu’il prétend aimer de façon inconditionnelle : sa dulcinée, sa patrie idéalisée, sa religion.

Si on veut lutter contre ce romantisme dévoyé, réclamons d’abord un nettoyage de nos médias rivalisant d’hypocrisie qui excitent les haines extrémistes. Radio-Canada, qui devrait être l’exemple, démissionne lâchement : les précieuses informations d’ « une heure sur terre » de Jean-François Lépine font place le vendredi aux blagues de mononcles du Ti-mé show. Les Artistes pour la Paix ont signé un appui au professeur Rachad Antonius, accusé honteusement par l’ombudsman de Radio-Canada, sous pression du CERJI, groupe de la droite israélienne.

Au contraire, les APLP appuient les Voix Juives Indépendantes, les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient, Jewish Voice for Peace (Oakland) et les Palestiniens et Juifs Unis (PAJU) qui représentent la conscience du vrai Israël. Si les APLP ont refusé de participer à des marches « protestant contre la politique pro-israélienne de notre premier ministre Harper », c’est que nous croyons au contraire que sa politique est foncièrement anti-Israël. Notre Israël est celui qu’idéalisait Einstein, celui que défendent avec ardeur les groupes cités.

Mais quand Anne-Marie Dussault et Charles-Philippe David discutent au 24/60 de « la position pro-israélienne du Canada », voilà qu’ils brouillent la réalité : la complicité des Harper/Baird avec le faucon de droite Netanyahu que deux ministres ont déserté à cause de ses politiques racistes envers les Palestiniens à qui il vole l’eau, le territoire, les maisons, les champs d’oliviers et même les fonds qui leur reviennent de droit selon l’ONU, cette complicité est tout sauf pro-israélienne, à court et surtout à long terme. Car elle conduit tout droit au mur de l’exclusion et de la guerre. Déjà en réglant cette hypocrisie fondamentale, à la source des frustrations arabes et palestiniennes face à l’information biaisée de l’Occident, Radio-Canada ferait un pas immense, en se distançant des honteuses manipulations conservatrices et militaristes.

D’autre part, il est urgent d’exprimer une solidarité mondiale face à l’immense scandale que représentent les chiffres parus hier d’Oxfam où 80 milliardaires mondiaux possèdent plus de biens que trois milliards et demi d’êtres humains, où les 1% les plus riches possèdent autant que les 99% autres. Or, afin de changer cette réalité obscène, de simples caricaturistes y travaillaient d’arrache-pied et de toute urgence et louons :

  • le courage quotidien de Cabu, pourfendeur des militaristes,
  • l’amour inconditionnel de Wolinski envers les femmes, contre toutes les religions machistes et discriminantes,
  • les convictions de Tignous joignant l’association « Cartoonists for Peace »,
  • et comme mentionné dans un article antérieur, l’antimilitarisme de l’économiste Bernard Maris partagé avec mon collègue Gilles Dostaler, leur estime pour Bloombury et Keynes cherchant plus d’égalité et demandant que l’Occident évalue sa richesse par le progrès des arts et non par l’accumulation des banquiers.

Depuis trois jours, certains accusent Charlie-Hebdo d’irresponsabilité et cherchent même à faire endosser à ses collaborateurs la culpabilité des « conséquences de leurs blasphèmes meurtriers »! Ont-ils réfléchi une seconde qu’il y a deux semaines, ces « blasphèmes » étaient cachés dans une confidentielle publication au bord de la faillite tirée à 60 000 exemplaires, et que c’est entièrement la faute des extrémistes intégristes s’ils se voient aujourd’hui étalés à la une des journaux et publiés à 7 millions d’exemplaires?!?

tignous

Nous sommes du côté d’Élisabeth Badinter et de la défense intransigeante de la liberté totale d’expression. Comme l’éditorial du 19 janvier de Richard Martineau dans Le Journal de Montréal l’énonce clairement (mais a-t-il songé que lui-même déroge constamment à ses beaux principes?), il doit y avoir totale liberté de se moquer des religions, des armées ou des partis, liberté qui s’arrête quand on attaque des personnes. Car nous espérons, en exprimant notre solidarité inconditionnelle avec ces êtres libres et iconoclastes, pouvoir séduire les jeunes romantiques et les éloigner de désespérés comme Coulibaly.

Qu’Allah permette plutôt qu’ils se solidarisent avec nous les pacifistes, avec l’ONU, l’UNICEF et l’UNESCO, en dénonçant haut et fort la violence de nos armées et de l’OTAN. Oui, l’OTAN que malheureusement, l’OBS et d’autres revues dites progressistes en France n’ont jamais critiquée, même avec l’alignement récent de leur pays et de leur prétendu socialiste de président, François Hollande, et avant lui, ce menteur de Tony Blair acoquiné avec la CIA, si bien dénoncé par le film de Polanski The ghost writer et par les héroïques Edward Snowden et Julian Assange.

L’alliance militariste funeste, gonflée par les ambitions mortifères de Dick « Haliburton » Cheney champion des tortures de Guantanamo, est responsable du massacre Charlie-Hebdo, comme n’hésite pas à le dire courageusement l’ex-premier ministre Dominique Villepin: son admirable discours à l’ONU refusait la participation de la France à l’invasion de l’Irak aux côtés des criminels Blair et Bush en 2003. Et Jean Chrétien refusait de se salir les mains dans cette guerre néfaste dans laquelle Stephen Harper cherche à enfoncer aujourd’hui même le Canada : notre humanisme réclame de le sortir du pouvoir en 2015! Pour nous et les humiliés de la terre, s’il nous faut un modèle pur d’héroïsme, prenons ce jeune homme de 24 ans, très modeste, Lassana Bathily que la page Facebook des Artistes pour la Paix a appuyé pour sa courageuse action lors de l’irruption de Coulibaly dans l’hypermarché cachère où il travaillait pour un salaire misérable, réussissant à cacher une dizaine de clients juifs dans la section réfrigérée, ayant même le sang-froid (!) d’ensuite couper la réfrigération.

Nous avons relayé depuis samedi la pétition de change.org (Thiaba Bruni) pour que ce sans-papier obtienne la nationalité française, ce qui fut accompli hier. C’est ce héros sur lequel nos journaux obnubilés par les djihadistes devraient concentrer leurs articles! Écoutons-le : « Je suis musulman, pratiquant. J’ai déjà fait mes prières dans ce magasin, dans la réserve. Et oui, j’ai aidé des Juifs. On est des frères, a-t-il déclaré. Ce n’est pas une question de juifs, de chrétiens ou de musulmans, on est tous dans le même bateau », a-t-il estimé. Et je soutiens que les éditoriaux, plutôt que s’acharner à analyser les motivations des massacreurs, devraient louer l’héroïsme tranquille de Bathily!

Lassana Bathily

Lassana Bathily

Tentons maintenant un parallèle, en étant conscient qu’un terrorisme ciblant un politicien n’est en aucun cas semblable à un terrorisme aveugle ou fou. Des Québécois, du moins ceux qui n’ont jamais renié le Front de Libération du Québec malgré sa violence, ne succombaient-ils pas à une vision extrémiste semblable, immature et égocentrique? La mort cette semaine du felquiste sincère Francis Simard devrait nous donner l’occasion de laisser tomber une fois pour toutes notre romantisme patriotique. Je reproduis ici de récentes réflexions communiquées au Devoir intitulées Francis Simard, naufragé de l’histoire :

Il trouvait navrant et «surtout très triste » qu’on puisse affirmer que le cours de l’histoire est déterminé en définitive par l’action de forces occultes qui échappent à la volonté et à l’action des individus.

Jean-François Nadeau (Le Devoir, 15 janvier) décrit ainsi implacablement les tristes illusions bernées de Francis Simard, qui avant de mourir lui avait confié être ulcéré par la fiction au sujet d’octobre de Louis Hamelin mais, j’ajoute qu’il était sans doute moins conscient d’avoir été cerné par le documentaire à son sujet de Jean-Daniel Lafond. Les conclusions de M. Nadeau semblent avoir été influencées par les échanges entre les regrettés co-auteurs Bernard Maris (Charlie-Hebdo) et Gilles Dostaler (UQAM) reproduits dans notre 1er article sur les événements Charlie Hebdo (p=6625) se terminant ainsi :

Cela amène à considérer qu’on [Bloombury, Keynes …et les marxistes, pourrait-on ajouter] avait surestimé la rationalité et les qualités morales de l’être humain. On n’avait pas compris que les actions humaines peuvent tout aussi bien naître d’explosions spontanées et irrationnelles.

Virginia Woolf

Virginia Woolf

Les adeptes de Bloombury ont parfois été eux-mêmes écartelés entre l’amour de l’art, de la vie, et le romantisme de leurs idéaux, comme en témoigne tristement le suicide de Virginia Woolf dans une rivière, les poches lestées de lourds cailloux. Mais les absurdes et irrationnelles morts de Pierre Laporte et des collaborateurs de Charlie-Hebdo étaient évitables, alors qu’on commence à peine à évaluer, dans le cas de l’action terroriste felquiste, ses conséquences historiques de blocage de la politique québécoise. Mots qui communiqués à Jean-Daniel Lafond l’ont immédiatement fait réagir :

Ce que tu écris est juste. Je l’ai dit autrefois et cela m’a valu quelques haines, mais je maintiens que les terroristes sont les assassins de la cause qu’ils prétendent défendre. Ceci est navrant pour Pierre Laporte et la cause de l’indépendance en 0ctobre 70, tout aussi navrant pour la barbarie sans nom des illuminés qui s’affirment purs et musulmans.

Par cet éclairage, M. Lafond redonne aux idéalistes « purs et musulmans » l’aumône d’une navrante désillusion. Du côté québécois, on nous traitera tous deux immédiatement de « fédéralistes », sans davantage réfléchir à la cause indépendantiste. En 1970, organisateur péquiste dans le comté d’Outremont (je le serai aussi en 73 dans le comté Mercier, pour battre Bourassa, avant de partir étudier huit ans à l’étranger et ne plus jamais réintégrer un parti politique), j’avais suivi le patriotisme raisonné de René Lévesque, lui qui a d’ailleurs écrit les mots à la fois les plus justes et les plus sévères pour vilipender l’action du FLQ.

Témoin en 70 des turpitudes libérales qui faisaient voter les morts par dizaines de milliers et redessinaient les cartes de comtés, comme celui de Pierre Laporte sur la Rive-Sud, afin d’y inclure un maximum de non-francophones, j’avais confié mon indignation à ma mère. Celle-ci, digne épouse d’un vice-président d’Air Canada mais solidaire de son fils, était encore troublée par ces perversions de notre système soi-disant démocratique quand elle s’était écriée, quelques mois plus tard, lors de l’enlèvement du Britannique James Cross : « Pourquoi n’ont-ils pas enlevé Laporte, à la place »? C’était quelques jours avant l’action des Simard et co : de nos jours, les nouvelles lois de répression auraient condamné rétroactivement sa naïve interjection comme une apologie du terrorisme… Les artistes québécois militants indépendantistes sont-ils encore trop imprégnés de ce romantisme suicidaire (on n’a qu’à observer comment ils répudient les écrits sensés de Jean-François Lisée)?

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