Paris, 11 heures trente (5 : 30, heure de Montréal) 7 janvier 2015 + 10 ajouts jusqu’au 11/1.

1- Nous lançons un appel à nos membres caricaturistes, professionnels ou amateurs, pour aller comme les artistes européens de leurs contributions en solidarité avec nos confrères artistes assassinés. En France, certains ont réagi, voir dessins suivants et vidéo http://youtu.be/yNpOz44RM20

charlie_03 2- Des terroristes ont ciblé les caricaturistes collaborateurs de Charlie-Hebdo ci-dessous:

Wolinski, CABU, CHARB, Tignous (photos de gauche à droite), et d’autres moins connus (dix journalistes tués en tout) travaillaient à produire Charlie Hebdo, journal caricaturiste opposé aux intégristes de TOUTES les religions, opposé au militarisme et favorable à la liberté d’expression.

Wolinski, CABU, CHARB, Tignous (photos de gauche à droite), et d’autres moins connus (dix journalistes tués en tout) travaillaient à produire Charlie Hebdo, journal caricaturiste opposé aux intégristes de TOUTES les religions, opposé au militarisme et favorable à la liberté d’expression.

Après l’incendie des locaux de l’hebdomadaire il y a trois ans, des terroristes ont lancé aujourd’hui une attaque à trois personnes à la kalatchnikov, précisément au moment d’un conseil réunissant les collaborateurs, et ce malgré la présence d’un policier attaché à la protection de Charb et d’un autre venu défendre Charlie Hebdo, eux aussi tués. Trois personnes déséquilibrées (par des expériences de guerre?) n’ont jamais reculé une seconde dans la perpétration de cet acte criminel et insensé : on ne peut plus parler d’ « acte isolé d’un loup solitaire », comme on entend encore dire certains commentateurs (le président Obama, même…). Ces cons de terroristes bornés et aveuglés par la haine et la frustration (on a entendu l’un d’eux crier qu’il avait vengé le Prophète) ont préféré ces dessinateurs comme cibles, les ont préférés à tous les cons de militaristes et d’intégristes juifs et chrétiens, pourtant leurs adversaires naturels, sans doute parce que les terroristes les respectent, eux, comme frères combattants. Tandis que les auteurs-dessinateurs sont des pacifistes aux vies peu disciplinées, ils fument, ont des gueules de libertaires, couchent avec des femmes libérées ou entre eux, n’est-ce pas? Comme artiste pour la paix, j’ai été la cible d’une fatwa en septembre que je n’avais pas prise au sérieux : le sort de nos camarades engagés tués aujourd’hui me prouve que j’avais tort. Car il n’y a pas pire ennemi pour le terroriste obscurantiste que celui qui lit, réfléchit, publie et rit. Bon, on ne rit pas beaucoup sur notre site, on sera peut-être épargnés…

Personnellement, je ressens surtout une immense colère qui me servira de moteur pour poursuivre inlassablement notre mission d’artistes pour la paix que ces cons de terroristes identifient comme leur première cible. Sans doute parce que nous, artistes qui aimons et nous engageons pour la paix, avons RAISON contre les leurs et contre toutes les extrêmes-droites à Paris, Washington, Moscou, Pékin, Ottawa, Tel-Aviv, le Caire etc., bref contre tous les intégrismes religieux, contre tous les militaristes et marchands d’armes qui croient qu’on peut faire la paix et exorciser la mort les armes à la main. Nos journaux seront assez cons pour publier leurs déplorations hypocrites, avec leurs insinuations antimusulmanes, tandis que cette page écrite trop vite restera cachée : tant pis, cela nous aura au moins fait du bien de rendre hommage à de véritables héros de LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.

Pierre Jasmin, vice-président des ARTISTES POUR LA PAIX.

Écrit à chaud le 7 janvier en après-midi, texte heureusement complété le lendemain par trois messages de nos amis du Forum Musulman canadien, de Dominique Boisvert et de Pierre Huet.

La dernière caricature prémonitoire de Charb

La dernière caricature prémonitoire de Charb

3- Montréal, Québec – 8 janvier 2015

« Le Forum musulman canadien (FMC-CMF) dénonce l’attaque odieuse des locaux de Charlie hebdo à Paris. Le FMC exprime sa plus grande indignation et souhaite marquer son soutien aux familles des victimes. La communauté musulmane au Québec et au Canada condamne l’attaque meurtrière et nous ne la situons que sous son aspect lâche et barbare », a déclaré M. Samer Majzoub, président du FMC. « La violence n’a pas d’identité et est répréhensible par tous les moyens; la brutalité est refusée et ne peut en aucun cas être excusée « , a ajouté M. Majzoub. Prudent dans ces moments difficiles, le FMC mentionne que les réactions sur l’attaque meurtrière de Paris ne devraient pas être une plate-forme pour enflammer la discrimination et l’islamophobie. Tous les citoyens devraient être réunis sous une seule bannière pour la paix et l’harmonie.


4- Charlie Hebdo: devant l’horreur, que faire?

Une opinion d’un de nos membres les plus chers, Dominique Boisvert

7 janvier 2015 « Un seul mot: RÉSISTER! Solution simple et difficile à la fois. Les terroristes de tous bords cherchent à faire peur, à imposer leurs idées par la peur, la terreur. Décapitations sur Internet, avions dans le World Trade Center, et maintenant massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo. Sans parler des enlèvements, de la torture, des viols et des bombardements à distance, par roquettes ou drones interposés. Il faut d’abord aider les victimes et arrêter les coupables pour les juger, c’est évident. Puis il faut minimiser les risques de nouveaux attentats, car l’appui nécessaire des citoyens sera impossible s’ils ne se sentent pas rassurés. Mais au-delà de ce minimum de justice et de sécurité, comment faire face à cette menace terroriste de plus en plus multiforme et sans frontière? Si l’attaque horrible contre des journalistes et dessinateurs satiriques est clairement une attaque contre la liberté d’expression et la démocratie, peut-on se permettre de la qualifier, comme certains n’ont pas hésité à le faire, de « déclaration de guerre »? Car comment répond-on, spontanément, à toute déclaration de guerre? Bien trop souvent, hélas, par le réflexe pavlovien de « l’entrée en guerre »! Et c’est justement, selon moi, la dernière chose à faire. Pourquoi ne pas déclarer la guerre, à notre tour, à ces « barbares », ces « ennemis de l’humanité »?

  • D’abord parce que ce serait leur donner raison : ils veulent une guerre à finir pour imposer leurs vues et ils auraient réussi à nous entraîner malgré nous sur leur terrain.
  • De plus, parce que ce serait nous abaisser à utiliser les mêmes moyens (violence, répression, torture) que nous condamnons chez eux, en violation de la plupart des principes que nous prétendons défendre comme nos valeurs les plus précieuses (droits humains, État de droit, liberté, démocratie).
  • Mais surtout parce que la guerre et la violence n’ont jamais constitué une solution véritable et durable aux problèmes, aux violences ou aux guerres qu’elles prétendaient régler (et l’Histoire très récente ne peut pas en fournir d’exemples plus concluants : regardez nos trois plus récentes « guerres » victorieuses en Afghanistan, en Irak et en Libye!).

Cela signifie-t-il rester passifs en attendant des jours meilleurs? Bien sûr que non!

  • RÉSISTER est tout le contraire de la passivité, tout comme la non-violence bien comprise.
  • RÉSISTER veut dire nous donner les moyens de nous tenir debout, ensemble, solidaires et sans peur.
  • RÉSISTER veut dire continuer à vivre sans nous laisser dicter nos attitudes et nos choix par cette peur que les terroristes voulaient justement nous imposer.
  • RÉSISTER veut aussi dire résister à nos désirs de vengeance, à la facilité des raccourcis et des amalgames, à la recherche de boucs-émissaires.
  • Car RÉSISTER veut surtout dire arriver à rester ouverts à l’autre, à construire des ponts plutôt que des barrières, à aimer au lieu de haïr.

Oui, apprendre à aimer l’autre, le différent, le musulman. Car aucune autre solution que l’amour, au sens le plus exigeant et profond du terme, ne pourra jamais répondre efficacement à l’horreur ». Merci, Dominique.

5- Ayant reçu d’un ami une admonestation à la prudence, je lui avais répondu : J’apprécie votre sollicitude lorsque vous m’incitez à la prudence. Mais dites-moi quelle est la frontière entre une saine prudence et la tentation de succomber à la peur? La peur, c’est ce que souhaitent nous infliger pas seulement les terroristes, mais aussi nos gouvernements qui seraient trop heureux de nous voir peureusement courbés sous la « protection » de leurs armes de terreur, les F-35, les drones et les bombes atomiques.

6- Pierre Huet, ancien collaborateur à CROC, nous écrit: « Les dessinateurs de Charlie-Hebdo n’étaient pas des saints: ils pouvaient être vulgaires, grossiers, misogynes et imparfaits; ils n’étaient ni des anges ni des modèles à suivre. Mais des artistes assassinés par des fous de la guerre deviennent par le fait même des artistes pour la paix. » Très juste, camarade

7- LE DEVOIR de vendredi a publié ma lettre (au point 2). Merci à la rédaction ainsi qu’aux lecteurs qui ont laissé leurs commentaires. Mais quand va-t-on en éditorial enfin méditer la pensée du regretté ambassadeur pour la Paix à l’ONU, le comédien Peter Ustinov, qui a participé à tant de campagnes de charité au profit de l’UNICEF  : « Le terrorisme, c’est la guerre des pauvres contre les riches. La guerre, c’est le terrorisme des riches contre les pauvres. » Quand va-t-on se rendre compte que la lutte contre le terrorisme ne sera efficace que par la dénonciation du terrorisme des drones américains semant la mort au Pakistan de notre amie Malala Yousafzai, de nos CF-18 canadiens bombardant l’Irak et la Syrie de notre amie Mère Agnès-Mariam de la Croix et des bombes nucléaires de neuf pays qui avalent encore un budget annuel de 100 milliards de $ alors qu’un milliard d’êtres humains meurent de faim? Quel journal ou magazine a reproduit nos cris d’alarme à ce sujet? Attend-on qu’on soit mort?

Aujourd’hui samedi, lendemain du dénouement inévitable par la mort des trois terroristes, La Presse leur dresse un mausolée en reproduisant leurs dernières entrevues (il fallait le faire, pour le bien de l’information, là n’est pas la question), mais aussi leurs photos et de nombreuses théories sur leurs motivations politico-religieuses (on s’en fout! L’incontournable, c’est la mort qu’ils ont semée comme des cons!!). Pendant ce temps, La Presse (même Lysiane Gagnon!) ignore totalement (par heure de tombée prématurée?) les malheureuses quatre victimes de l’Hypermarché Kacher, sans doute des Juifs qui avaient le malheur de se trouver là pour leurs emplettes ordinaires. Qui parle en leur nom? Les médias ne sont-ils pas antisémites en ignorant la douleur de leurs familles et de leurs proches? Combien, hélas, de défenseurs de la paix unilatérale vont se garder de « liker » notre opinion exprimée aussi sur Facebook?

8- Reçu avec gratitude ce courriel de France, le 11 janvier après l’extraordinaire marée humaine qui a envahi la Place de la République: « les victimes juives, les policiers assassinés et les gendarmes et policiers qui se sont montrés prêts à mettre leur vie en péril, pas seulement au moment des assauts, ne sont pas oubliés chez nous en France. Une chose extraordinaire se produit depuis quelques jours: multiples démonstrations d’amitié pour les Juifs, les flics… et les Lumières, de la part d’un ensemble important du peuple français, notamment du peuple de gauche qui a toujours été méfiant à l’égard de la flicaille, et à juste titre. Jamais vu, connu ça! Même si, dans la foule qui a parcouru les rues de Paris cet après-midi quelques cons exigeant des réactions musclées de l’État se sont glissés. On n’en a pas fini, mais le carnage insensé de Charlie puis de la supérette kasher a établi clairement la nature des forces en présence ou en opposition, conscience et inconscience, mais, même morte, la conscience émerge toujours de l’inconscience, la conscience est un long travail, bien plus long que l’apprentissage du maniement d’une kalachnikov, travail que nous poursuivrons bien entendu à l’écoute plus attentive, j’espère, de tous ceux qui, survivant dans la misère, ont pu prêter l’oreille aux faciles messages de haine. Il s’agit donc, comme vous le faites, de dire tout haut ce message de la « conscience », peut-être dans tous les sens du terme? Félicitations et courage ».

D’autre part, la fille de Wolinski se déclare « portée par les gens, par leur émotion, par une solidarité extrême, parce que j’espère que les gens vont prendre confiance qu’il faut rester vraiment unis, et je ne voudrais vraiment pas qu’il y ait de la haine qui ressorte de tout ça. Aujourd’hui, c’est très beau, ce qui se passe. Dans les quartiers, c’est plus chaud. Je voudrais vraiment qu’on ne vote pas Le Pen après, sinon ça voudrait dire qu’ils seraient morts pour rien. Ils combattaient les extrêmes, c’est quand même ça, Charlie Hebdo. Ne tombons pas dans une haine raciste. »

9- Voix juives indépendantes déclare: « restons solidaires, ensemble, face aux fusillades meurtrières de Charlie Hebdo et du supermarché Cacher. Joignons notre voix à toutes celles qui condamnent ces meurtres. Nous écrivons ceci pendant que des dirigeants inconséquents mettent en place des ‘mesures de sécurité’ encore plus répressives, dans le but d’intensifier leur guerre cynique ‘aux terrorismes’. De telles mesures auront comme résultats d’accroître les divisions entre nous, l’étendue de la crise et en outre, de renforcir les stratégies de recrutement des extrémistes. Avant que nous nous retrouvions embrigadé/e/s, de nouveau, dans les haines et les peurs, VJI souhaite que l’on cherche à mieux comprendre tous les événements qui ont eu lieu en nous tenant loin de toutes les instrumentalisations déjà en place, afin de proposer plutôt des pistes progressistes soutenant l’engagement aux droits humains universels et à la compassion ».

10- Un mot encore, pour souligner la profondeur de Charlie-Hebdo, en déplorant la mort de leur collaborateur-économiste Bernard Maris, hélas présent à leur fatale dernière réunion. C’était aussi un collègue du regretté Gilles Dostaler, professeur à l’UQAM et co-auteur avec M. Maris de Dr Freud and Mr Keynes on money and capitalism (2000). Écoutons, influencé par les idées de Bernard Maris, mon ami Gilles, amoureux de Mozart et opposant avec nous du canon de Gerald Bull convoité par Saddam Hussein, dans Keynes et ses combats (Albin Michel, 2005): « l’immoralisme de Keynes consiste d’abord en un refus de l’imposition extérieure de toute norme de conduite: l’individu est le seul juge de ce qu’il doit faire. Il consiste ensuite en un rejet des normes conventionnelles de la morale victorienne, en particulier sur le plan sexuel. Tel sera l’éthos de Bloombury. Avec le temps, toutefois, cette conception se modifie. Le groupe d’amis découvre Freud avec enthousiasme. Cela amène à considérer qu’on avait surestimé la rationalité et les qualités morales de l’être humain. (…) On n’avait pas compris que les actions humaines peuvent tout aussi bien naître d’explosions spontanées et irrationnelles et même que la méchanceté peut être la source de situations valables ». À méditer…

11- Une vieille bande dessinée nous explique un processus hélas très logique. charlie_06a