Gustavo Dudamel en action

Gustavo Dudamel en action

Le programme original de créativité  El sistema a été fondé par le Vénézuélien  José Antonio Abreu à partir de son désir d’intégrer tous les enfants, même pauvres, surtout pauvres, ou handicapés. On n’avait pas les sous pour acheter des instruments? On en a fabriqués à partir de déchets recyclés! On a fondé une chorale d’enfants sourds! Professeurs et élèves provenant de milieux sociaux communs se sont appliqués à faire émerger le vrai message musical, c’est-à-dire une spiritualité dans une recherche commune d’harmonie, à partir d’une compassion aiguisée par la solidarité.

Utopique? Pas au Vénézuela qui a vu se développer ainsi des centaines de milliers d’enfants pourtant affectés par une inflation galopante, des gangs de rue et la violence de milieux déchirés par la pauvreté et les drogues. Les politiques d’Hugo Chavez ont contribué à favoriser davantage d’égalité, et ce pas seulement au pays, mais dans le continent sud-américain entier, galvanisé par sa résistance face au capitalisme dominant et prédateur des États-Unis et par ses dons de pétrole à Cuba qui en retour prêtait ses médecins pour soigner la classe miséreuse. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’influence d’El Sistema, mouvement d’abord social, qui s’adresse à tous et toutes.

Le chef Jean-Philippe Tremblay

Le chef Jean-Philippe Tremblay

Et à l’opposé de la funeste et fumiste théorie capitaliste de Chicago du trickle down, chère à Reagan et aux Bush y trouvant une légitimité à engraisser les plus riches, on a constaté que cet engagement envers les plus pauvres a eu un effet trickle up en engendrant une élite maintenant reconnue à travers le monde : Gustavo Dudamel, produit d’El Sistema, est venu à Montréal la semaine dernière livrer un concert à la tête de la Los Angeles Philharmonic dont, à peine âgé de 33 ans, il est le chef attitré. Notre Jean-Philippe Tremblay, chef de l’Orchestre de la Francophonie, aussi trentenaire, comme notre remarquable Yannick Nézet-Séguin, a trouvé extrêmement stimulant ce concert par l’énergie rythmique qui se dégageait du chef charismatique. El sistema a aussi produit la pianiste et improvisatrice Gabriela Montero dont la carrière nord-américaine lui impose de s’en distancier, hélas.

Mes étudiantes Gabrièle Brunet et Suzanne Larose à l’UQAM croient fermement que le Québec pourrait s’inspirer de ce mouvement dont elles voient les prémices dans le garage à musique du docteur Gilles Julien.

Le docteur Gilles Julien

Le docteur Gilles Julien

Ce pédiâtre social travaille principalement à Hochelaga-Maisonneuve mais aussi dans la pluri-ethnique Côte-des-Neiges, grâce à une Fondation qui jouit d’appuis nombreux, en particulier de la communauté artistique de gauche, à bon droit admirative de l’engagement total de ce médecin qui veut changer les choses non seulement par son engagement individuel mais en étant la bougie d’allumage d’un engagement collectif.

Mes étudiantes déplorent par contre le confort et l’indifférence des milieux musicaux fractionnés dans une compétition stérile entre facultés et conservatoire et entre stars d’une élite musicale aux salaires exorbitants, plutôt attirée par l’étranger qu’animée du désir de travailler avec les plus pauvres. Pourquoi les Jeunesses Musicales ne prendraient pas le flambeau d’El Sistema? Parce que ses dirigeants (dont l’ex-ministre de Jean Charest, Boudreau) se méfient exagérément des liens politiques d’El Sistema avec le gouvernement du syndicaliste Maduro que nos médias cherchent à diaboliser comme anti-individualiste et anti-capitaliste?

Heureusement, aujourd’hui 28 mars, un article dans La Presse par Agnès Gruda nous fait oublier la partialité de ses articles sur l’Ukraine (même si on comprend son engagement émotif par l’histoire de ses parents polonais) : elle y ramène les pendules à l’heure d’un Vénézuela dont le gouvernement navigue encore avec un « mélange de répression modérée et d’ouverture au dialogue » et reste donc loin « d’être à feu et à sang », comme les médias cherchent à nous faire croire. On se souvient qu’un des chefs extrémistes d’opposition, Léopold Lopez, dénonçait en prenant le chemin de la prison trente morts chez les manifestants depuis le 4 février, chiffre repris par les médias nord-américains. Le New York Times vient de rectifier que s’il y avait eu des morts dans ce pays traditionnellement violent en campagne électorale, on déplorait douze passants innocents pris entre les tirs près des barricades, et neuf tant du côté rebelle que du côté des forces de l’ordre. Nos médias feraient bien de nous rappeler les milliers de morts annuelles en une Irak « libérée » par le champion George Bush…

Mais peu importe l’orientation de notre opinion politique, croyons en El Sistema!

Barricade de rue à Merida, Vénézuela (photo: Pedro Moreno)

Barricade de rue à Merida, Vénézuela (photo: Pedro Moreno)