Esquisse de Frédéric Back« Je considère comme un privilège d’être membre des Artistes pour la Paix et d’être ainsi associé à un groupe qui répond à un réflexe naturel en lui donnant une dimension d’influence qui puisse faire contrepoids à des pouvoirs capables de tant de gestes primitifs et destructeurs. Je suis réconforté en étant des vôtres, puisque vous représentez les sentiments les plus nobles, les plus valeureux et les seuls pour contrer l’inexplicable instinct de destruction dont l’humanité n’arrive pas à se débarrasser.

C’est avec émotion et reconnaissance que je suis avec vous pour célébrer une autre année d’actions de paix, dans un monde de contradictions, d’envies et de rapacité, où l’amour et la paix sont continuellement à rebâtir en nous, autour de nous et à l’échelle de la planète. L’art pour la paix est un magnifique emblème qui ne connaît pas de frontières ni de repos. Tout le monde cherche éperdument le bonheur et la paix, mais on ne peut les obtenir qu’au prix de la générosité. Vous faites merveilleusement votre part et de façon inspirante, exemplaire!

Amicalement,
Frédéric Back
Artiste pour la Paix (hommage 2010)
Porteur d’eau pour Eau-Secours
Membre du Mouvement Sortons le Québec du Nucléaire
Officier de l’Ordre du Canada
Officier de l’Ordre du Québec
Officier des Arts et des lettres de France
Oscarisé en 1982 et 1988
Prix du Québec 1991
Prix Jutra 2000
Phénix de l’Environnement 2007″

Lettre qu’il fait aussitôt suivre d’un courriel : « Je regrette d’avoir mentionné des glorioles inappropriées… S’il vous plaît, mentionnez – Artiste pour la paix – Eau-secours.org

Frédéric Back, inspiration pour les Artistes pour la paix

Par Pierre Jasmin, 27 décembre 2013, trois jours après sa mort.

Texte précédé d’une intro rédigée samedi le 5 avril 2014.

Aujourd’hui, 1500 personnes sont venues rendre hommage à Frédéric Back, à peine une semaine après la mort de sa Ghylaine adorée. Il faut remercier le maire Coderre qui a bien présenté et très bien organisé cet hommage avec la famille, Suzel Back-Drapeau et Christian Back, hélas le seul à avoir prononcé le mot paix, pourtant la composante majeure de son engagement environnemental. Le maire a annoncé que la Maison de l’Arbre du Jardin Botanique serait désormais connue sous le nom de Frédéric Back. Après l’hommage, M. Philippe Schnobb nous a gentiment guidés vers la colorée murale du métro Place-des-Arts en hommage à la musique québécoise que Frédéric Back avait réalisée avec René Derouin en 1967.

Ce fut une après-midi intense et riche en beaux témoignages, sous l’animation chaleureuse de Mireille Deyglun qui a remercié M. Back pour avoir connu le village Deyglun en Haute-Provence grâce à lui et à Sylvie Giono, la fille de l’auteur de l’Homme qui plantait des arbres, le pacifiste (eh oui) Jean Giono.

Sont venus témoigner aujourd’hui en mots ou en musiques son producteur Hubert Tison, l’écologiste Claude Villeneuve, notre ami André Dudemaine de Terres en vue, une magnifique chorale d’enfants du primaire, Normand Roger qui a écrit ses musiques, le groupe le Rêve du diable qui avait accompagné Crac!, Luc de la Rochelière et Andrea Lindsay, le mythique Gilles Vigneault salué par une ovation pour sa chanson « j’ai planté un chêne » accompagnée par sa fille Jessica, des collaboratrices de l’Atelier Frédéric Back, le comédien ami des animaux Jacques Godin et Laure Waridel. Cette dernière a fait lever la salle en livrant sur un ton passionnément vulnérable une lettre de Frédéric Back à Stephen Harper datée de juin 2013: cette lettre qu’on peut lire à l’exposition sur Frédéric (qui se tient à l’Hôtel-de-Ville de Montréal jusqu’au 27 avril) avait été envoyée à La Presse et au Devoir qui (par peur?) ne l’ont pas publiée: voilà la société dans laquelle on vit! Celui dont les plus grands animateurs de la maison Walt Disney aux États-Unis ont témoigné sur film qu’on se souviendra de lui comme « le plus important cinéaste au monde » (a dit l’un d’eux), dans deux ou trois siècles (alors que le Devoir et La Presse auront cessé depuis longtemps de paraître) a été censuré par notre société bien-pensante. Les spectateurs de la Maison symphonique ont eu la présence d’esprit de réagir par une immense ovation debout que Laure a redirigée vers celui qu’elle venait de citer, mais remercions son courage : on regardera son beau témoignage sur Frédéric Back datant de 2010 en fin de l’article qui suit ci-dessous, qui date de la fin décembre 2013.

Il y a un mot vraiment pas à la mode, donc ignoré par tous les média, articles, reportages, documentaires et même les lettres chaleureuses des lecteurs, et c’est pourtant le mot qui caractérise le mieux Frédéric Back, PACIFISTE. Dès sa jeunesse en Alsace, Friedrich (riche de paix, étymologiquement en allemand) a été obsédé par la guerre et son cortège de misères qui forcent sa famille à l’exil, survenu avant 1939 d’abord en Bretagne, puis en Amérique. La paix deviendra le leitmotiv de son œuvre et de son militantisme constant, en dénonçant les soi-disant « missions » militaires ou économiques, toutes deux si souvent désastreuses non seulement pour leurs propres combattants mais aussi pour la nature, y compris ses chers animaux.

Nous avions il y a longtemps choisi Friedrich comme Artiste pour la Paix de l’année mais avec son humilité légendaire, il nous avait demandé de « réserver cet honneur à de plus jeunes, plus méritants, vu que j’ai été comblé d’honneurs au cours de ma longue vie ».Frédéric Back et Pierre Jasmin

Le 14 février 2010 vit arriver l’heure de notre revanche, car après avoir démarré l’année précédente une tradition de prix Hommages avec nos co-fondateurs Gilles Vigneault et Raoûl Duguay, Friedrich a enfin accepté un prix hommage pour l’ensemble de son œuvre (voir photo par Valéry Latulippe, où nous semblons tous deux mordre dans la vie). Il était rassuré de ne pas se trouver seul en vedette, vu l’hommage posthume décerné à la co-fondatrice d’Eau-secours, Hélène Pedneault et le prix de l’artiste pour la paix de l’année donné à Chloé Sainte-Marie avec qui il partageait l’amour des Amérindiens, en particulier des Innus si pacifiques. Émue de la perte récente de son amoureux, notre cérémonie fut l’occasion pour Chloé de se souvenir que Gilles Carle avait, comme professeur à l’École des Beaux-Arts, succédé à Frédéric (lui-même ayant succédé à l’École du Meuble à nul autre que Paul-Émile Borduas qui fit le chemin inverse vers la France, chassé par Duplessis suite à la publication du manifeste du Refus global): Back et Carle ont vite déserté l’école, le premier pour Radio-Canada, le second pour l’Office National du Film: ce fut le début de deux carrières filmiques exceptionnelles, au rayonnement international.

Le Mouvement pour Sortir le Québec du Nucléaire, pour sa toute première conférence de presse d’octobre 2008 qu’à la demande de Laure Waridel je co-anime aux côtés de Karel Mayrand, Gordon Edwards, Docteurs Michel Duguay et Éric Notebaert  (photo 2), s’est présenté au public de la SAT fort d’une image offerte par Frédéric Back, utilisée dans son film Crac gagnant de son premier Oscar en 1984 : il s’agissait de protestataires défilant avec pancartes devant la centrale nucléaire à si courte vie Gentilly 1.

Sortons le Québec du nucléaire

Crac projetait déjà l’image d’un Québec amoureux de son folklore vivant et fier de sa joie de vivre moderne véhiculée par Expo 67. C’est d’ailleurs à peu près pendant les mois de l’EXPO que Frédéric, à la demande du maire Drapeau, peint les fresques amérindiennes de l’Hélène-de-Champlain, au terme d’une recherche considérable entreprise pour restituer leur digne apparence malmenée au cours du demi-siècle de Hollywood. Car il est conscient du premier devoir de paix des Américains, du nord au sud: la réconciliation avec les autochtones.

Le pacifiste sera avec Martin Duckworth (APLP2002) du combat contre le Suroît puis contre Rabaska, le port méthanier envisagé par Jean Charest à Lévis (récemment et fort heureusement annulé par Pauline Marois), qui aurait mis en péril la gloire fragile du fleuve Saint-Laurent,  auquel il consacre sa dernière grande fresque engagée, le fleuve aux grandes eaux (1993).

Je lui disais combien je l’enviais pour son art si étroitement lié à ses causes, alors qu’interprète, ma musique ne se prête pas de façon aussi malléable, ce à quoi il m’avait répondu, en partie par délicatesse, que son rêve était fait de musique pure qu’il aurait voulu transfigurer en images, comme il l’avait « tenté avec l’Oiseau de Feu de Stravinski ». Sur la photo suivante de Valéry Latulippe, on l’entrevoit à la Chapelle Historique du Bon-Pasteur aux côtés de Marguerite Bilodeau, alors vice-présidente des APLP.

Hommage à Frédéric Back

La conversation que je viens de relater s’était déroulée dans sa modeste maison où j’étais venu quérir le matin-même de mon récital Chopin  une œuvre représentant l’Homme qui plantait des arbres, remise au printemps 2010 par Jenna-Dawn MacLellan. C’était un cadeau de Frédéric Back à Murray Thomson que Pierre J. Jeanniot, directeur émérite de l’IATA, ex-président d’Air Canada et chancelier de l’UQAM de 1995 à 2008 félicitait pour avoir initié une pétition de 600 membres de l’Ordre du Canada en vue d’une Convention internationale contre l’arme nucléaire. Et Frédéric nous avait honorés de sa présence sur la scène du Centre Pierre-Péladeau.

Cadeau de Frédéric Back à Murray Thomson

De cet homme admirable, je retiens l’amour vibrant qu’il manifestait à chaque instant pour sa Ghylaine tant aimée dont, au sortir d’une présentation au Musée des Beaux-Arts, il avait fermement refusé mon offre de pousser la chaise roulante, tâche que la maladie et l’absence d’un œil lui rendait pourtant très malaisée  : il m’avait avoué au retour du Japon il y a un an qu’il s’en était ennuyé, malgré tout, conscient de son devoir de ne pas tourner le dos au Japon, surtout après le succès inouï en Chine deux ans auparavant, question de ne pas antagoniser davantage la rivalité entre les deux pays datant de la 2e guerre. Il m’avait aussi confié avoir reçu une offre mirobolante de financement d’un centre de création prêt à intégrer toutes ses demandes pédagogiques : il y avait un hic, incontournable pour sa probité exemplaire, cette offre était présentée par un consortium compromis dans le fiasco nucléaire de Fukushima!

Tous nos échanges ne furent pas obnubilés par nos préoccupations nucléaires, les plus émouvants d’entre eux provoqués par notre amour commun pour Jean Giono, suscité de mon côté par mes lectures et l’enthousiasme de mon frère Claude qui lui avait consacré il y a quarante ans son premier doctorat à l’Université d’Aix-en-Provence. Tel le jury du prix Goncourt qui l’a attribué cette année à Pierre Lemaître pour une œuvre consacrée à la Première Grande Guerre au-revoir là-haut, Frédéric Back avait saisi toute l’importance du bouleversement politique apporté par la génération des pacifistes qui lui avaient survécu :  les Albert Schweitzer (organiste-musicologue spécialiste de Bach, docteur en théologie et en médecine exercée au bénéfice des lépreux de l’Afrique noire, compatriote alsacien de Back qui lui emprunta jusqu’à sa moustache!), mais aussi les Romain Rolland et Marcel Pagnol (dont on peut admirer en ce moment sur nos écrans Marius et Fanny recréés par Daniel Auteuil), sans oublier de plus jeunes tels Hannah Arendt et Albert Camus (dont on a célébré le centième anniversaire il y a un mois et demi).

La remise en question du sacro-saint mythe du progrès millionnaire, orchestrée par la nouvelle l’homme qui plantait des arbres, fut portée par le verbe magique de Philippe Noiret. C’est pourtant sans cet apport séduisant que l’œuvre immortelle de Back a été saluée par un CEO de Walt Disney (!) comme le plus important film d’animation de l’histoire de l’humanité, puis intégrée par les Chinois de l’Exposition universelle de Shanghaï (2010) sous formes d’immenses mosaïcultures végétales à l’effigie de son héros et de ses animaux; et soucieux de son message écologique, ils ont planté en son honneur plus de cent trente mille arbres!

Son engagement passionné pour la paix fera en sorte que Frédéric Back ne sera à peu près jamais invité à des entrevues en direct (en différé, on peut couper), alors que tant de films à son sujet et même son pourtant remarquable site web taisent commodément cet aspect jugé dérangeant de sa personnalité. Mais c’est précisément pour ce fier caractère que les Artistes pour la Paix l’ont fait leur, avec affection et constance, ce qu’il nous a rendu au centuple. Le 22 avril 2012, le Jour de la terre, notre artiste pour la paix de l’année Dominic Champagne invite Frédéric Back à venir planter un arbre en présence d’un quart de million de jeunes protestataires portant, aux côtés de Fred Pellerin, le carré rouge marquant le début de la fin pour la corruption et les sept attentats graves des Libéraux à l’écologie (lire sur le site www.artistespourlapaix.org mon témoignage à la Commission du printemps 2012). Comme l’écrit Odile Tremblay dans Le Devoir, seule exception à ce que je déplorais à propos des médias au début de mon article : « Et devant la déforestation galopante, reste cette image d’une main humaine cherchant à sauver un monde au bord du gouffre: celle d’Elzéar, la sienne, comme des doigts anonymes d’un peu partout. » On goûtera d’autant plus, suite à cette belle image si éloquente de la journaliste, la photo suivante, datée de ce 22 avril historique, avant qu’une mer humaine vienne envahir et brouiller ce dessin humain d’abord mis en scène par Dominic, humble serviteur du symbole des Back et Giono.

22 avril historique

Enfin, vous pouvez écouter grâce au film de Valéry Latulippe le témoignage de février 2010 par Laure Waridel sur l’importance écologique de Frédéric Back.

Hommage à Frédéric Back

Document du 14 février 2010 (désolé pour les redites)

Il y a plusieurs années, nous avions voulu remettre le prix de l’Artiste pour la Paix de l’année à un membre fidèle et surtout exemplaire par son pacifisme respectueux de tous les êtres vivants au point d’être végétarien : Frédéric Back. Mais ce militant de toutes les causes pacifistes et environnementales s’était vivement objecté, disant qu’il était comblé d’honneurs et que le prix devait être remis à des artistes plus jeunes. Nous nous sommes résignés à lui obéir. Mais l’an dernier, il nous est venu à l’idée de remettre, en plus de la distinction traditionnelle, deux prix Hommage à deux fondateurs-clé des Artistes pour la paix, Raoûl Duguay et Gilles Vigneault. La porte était donc ouverte pour que, cette année, nous décidions de remettre un de ces prix « Hommage » à Frédéric Back. Un minimum de tordage de bras a suffi pour qu’il accepte enfin!

Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre et spécialiste du développement international et de l’environnement, membre des Artistes pour la paix depuis l’été 2007, nous livre son témoignage sur ce peintre et cinéaste d’animation exemplaire par ses préoccupations pacifistes et écologiques.

Né en Alsace, à son arrivée à Montréal après des années de guerre difficiles en France, Frédéric Back rencontre son épouse Guylaine avec qui il aura quatre enfants. Il devient professeur à l’École du meuble où il succède à nul autre que Paul-Émile Borduas qui vient d’être contraint de remettre sa démission. On le comprend d’avoir trouvé l’atmosphère un peu lourde et en 1959, le voilà qui remplace Gilles Carle au studio des Arts Graphiques de Radio-Canada, M. Carle allant vers l’Office National du Film. Les années 60 le voient frayer avec René Derouin et militer pour la prévention de la cruauté envers les animaux. En 1961, à l’ONF, le producteur Fernand Dansereau et le jeune cinéaste Denys Arcand lui demandent une centaine d’illustrations relatives à Samuel de Champlain. Frédéric Back entreprend des recherches approfondies pour livrer entre autres des Amérindiens authentiques, au lieu des gravures traditionnelles qui les affublent de costumes fantaisistes.

C’est aussi au cours des années de l’EXPO 67 que M. Back décore les restaurants La Saulaie et Samuel de Champlain, ce dernier à la demande du maire Drapeau.

Puis ce sont les extraordinaires films d’animation qui se succèdent : Taratata, qui dénonce en 1975 le progrès industriel au détriment des écosystèmes et Crac!, son deuxième film à être en nomination pour un Oscar qu’il remporte. Nos amis de la coalition Eau-Secours se souviennent tous du Fleuve aux grandes eaux, un film épique en défense du Saint-Laurent agressé par la pollution.

Mais auparavant, Frédéric Back a mis quatre ans à réaliser les dessins de son film d’animation L’homme qui plantait des arbres. Si Joëlle Tremblay a intitulé son exposition présente au Musée de Saint-Hilaire L’art qui relie, pour les Artistes pour la paix, créer des liens est sans aucun doute un des grands privilèges de l’art qui rejoint ainsi un aspect religieux. La narration du film confiée à Philippe Noiret reprenait une nouvelle de Jean Giono (mon frère Claude a consacré ses années soixante à une thèse à l’Université d’Aix-en-Provence sur Giono, allant jusqu’à interviewer longuement l’auteur, sa femme …et sa maîtresse). J’ai donc tout lu Giono en qui on aurait avantage à puiser toute la sagesse voulue, comme chez l’écrivain qui lui est contemporain, Albert Camus. Frédéric Back a réussi un chef d’œuvre à la fois personnel et respectueux du chantre de Manosque.

M. Back, venez, nous souhaitons vous remercier en vous offrant aujourd’hui deux textes de Louise Warren, Le livre des branches et Un seul arbre, consacrés au peintre français d’origine hongroise Alexandre Hollan. Hollan et vous vous rejoignez par votre patience exemplaire, car Hollan peint et dessine depuis plus de quarante ans, chaque été, des oliviers et des chênes, souvent les mêmes, dans sa garrigue de L’Hérault. Plusieurs de ces arbres sont plantés dans les essais et les poèmes de Louise Warren : ils portent les marques du vent, du souffle, ils se racontent avec la voix de son lac, comme des êtres vivants, dit-elle.