Femmes d’exception

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Lotte Brott

C’est à la poète Joséphine Bacon, phare de la nation innue, publiée aux éditions des Mémoires de l’encrier, que revenait l’honneur de poursuivre au Centre Pierre-Péladeau la 82e saison de l’Orchestre classique de Montréal à la thématique « Femmes d’exception ». L’OCM avait inauguré sa saison en consacrant sa première soirée à une levée de fonds pour Marie Houzeau et le GRIS-Montréal, groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal, le plus important organisme de démystification de la diversité sexuelle et de genre en milieu scolaire.

Un tel engagement féministe n’était-il pas attendu de la part d’un organisme dont la présidente émérite est Dre (en musique) Sharon Azrieli et dont mon amie Honey A. Dresher est une donatrice de legs, en mémoire de ses parents ? La saison célèbrera bientôt le centième anniversaire de Lotte Goetzel Brott, cette remarquable violoncelliste-solo perpétuée par la présence, au sein de l’orchestre actuel, de Chloé Dominguez dont la fougue rythmique entraîne derrière elle les paires d’altos, de violoncellistes et le contrebassiste. J’avais connu Lotte dans sa cuisine de l’avenue Earnscliffe, préoccupée par sa tenue pourtant irréprochable de comptes, apte à assurer le futur de ce qui s’appelait alors the McGill Chamber Orchestra avec qui j’avais joué un concerto de Mozart.

Traditions jumelles juives et québécoises

Dans Notes d’espoir d’un joueur de piano (2007 – éditions Triptyque), j’ai écrit combien les cultures musicales juives et québécoises sont jumelles, dans leurs recherches opiniâtres de survivance et leur vénération commune du chant et du violon. Le concert du 23 novembre réunissait ces passions par la mezzo-soprano Julie Boulianne (accompagnée par le pianiste très en demande Jean-Philippe Sylvestre) et par le jeu de la violoniste Kanyen’kehà:ka Tara-Louise Montour animant une œuvre contemporaine intitulée Adieu aux guerriers, inspirée par une mélodie millénaire Chippewa de procession funèbre de femmes rentrant de guerres, enregistrée en 1908 par madame Mee.

Il faut désormais saluer la modernité de l’OCM, maintenant en résidence à la salle Pierre-Mercure et qui assume cet audacieux transfert en territoire québécois par une soirée toujours bilingue comme dans le temps, mais en langues française et innue!

L’acoustique trop fidèle qui rebutait le chef d’I Musici et le lieu dans l’Est de Montréal qui avait fait fuir les snobs de Pro Musica, deux organismes pourtant fondateurs du Centre Pierre-Péladeau, servent admirablement l’ensemble à majorité féminine (avec des exceptions tels le Konzertmeister Djokic et LE harpiste!).

Programmes ouverts aux civilisations orientales

Parlons de l’exceptionnel Boris Brott, qui me rappelle la noblesse de son père Alexandre m’ayant dirigé à l’Université McGill, lui aussi chef d’orchestre doublé d’un programmateur raffiné. Ses observations clés se référèrent à ses maîtres Igor Markevitch et Pierre Monteux pour l’interprétation du génial Maurice Ravel à qui le programme était entièrement consacré, à part l’œuvre contemporaine vu que l’OCM se fait un point d’honneur de garder, en la majorité de ses concerts, une ouverture aux compositeurs contemporains, comme le faisait l’Orchestre Métropolitain à ses débuts avec Hun Bang.

Artiste pour la Paix, m’a touché aussi le subtil appel à ce que notre société mette de côté la sinophobie rampante de nos médias appelant jusqu’au boycott des Jeux Olympiques, avec le poème de Tristan Klingsor, inspiré par la suite symphonique de Rimsky-Korsakov, dont les mots nous pénétraient sous la voix vibrante de Julie :

Asie, Asie, Asie! Je voudrais voir Damas [ville démolie par les bombardements], la Perse, et l’Inde et puis la Chine, les mandarins ventrus sous les ombrelles, et les princesses aux mains fines, et les lettrés qui se querellent sur la poésie et la beauté.

Le monde de l’interprétation musicale ayant terriblement souffert de la désertion du public consécutive à la pandémie, pourquoi ne pas encourager ce jeune orchestre à vieille tradition dont le directeur général est Taras Kulish? L’OCM présentera le 7 décembre à l’Oratoire Saint-Joseph l’optimiste Messie de Händel, ainsi que le 15 février, à nouveau au Centre Pierre-Péladeau, un concert intitulé Échos des steppes, inspiré de ce qu’a vu le vent d’Est, selon l’expression de Debussy. On y entendra la première mondiale de La galerie de Kurelek de la compositrice ukraino-canadienne Larysa Kuzmenko, la Sérénade pour cordes du compositeur Anton Dvořák, Melodiya du compositeur ukrainien Myroslav Skoryk décédé en 2020 et enfin le pianiste ukraino-canadien Serhiy Salov dans le brillant Concerto pour piano et trompette de Chostakovitch, avec Karen Donnelly à la trompette.