marcel st-oierre

Merci au DEVOIR pour cette photo prise le 9 août 2008, à l’occasion des soixante ans du Refus Global, célébration baptisée Pic-nique automatiste, qu’il avait co-organisée chez lui à Sainte-Rose avec Anithe de Carvalho. Photo Guy L’Heureux

Marcel, l’homme public

C’est grâce à Pierre Péladeau chez qui il avait réalisé une murale pour sa piscine intérieure à Sainte-Adèle que j’ai d’abord connu Marcel Saint-Pierre, rejoint ensuite au Syndicat des ProfesseurEs de l’UQAM (SPUQ), dont l’infatigable militant Louis Gill a bien raconté l’histoire. Marcel, cofondateur à l’UQAM du département d’Histoire de l’Art, était aussi parmi les premiers camarades à la naissance du SPUQ et de son rattachement à la CSN, qui marquait sa distanciation d’avec les positions élitistes de professeurs carriéristes grassement rémunérés. Très engagé socialement, Marcel désirait rester un artiste indépendant des partis politiques. On lui doit l’essai Une abstention coupable, qui porte sur le rapport entre les artistes du Refus global et le Parti communiste ouvrier. Proche des mouvements de gauche, Marcel a voulu, dans sa pratique, rapprocher son art des techniques utilisées par les ouvriers dans l’industrie du textile, comme celles de plier le tissu et de le plonger dans le bac de teinture. Était-ce « une pratique sous l’égide du modernisme autocritique et déconstructeur qui se développait dans le Paris de l’après-mai 68 », comme écrit doctement sa collègue de l’Université de Montréal, Nicole Dubreuil-Blondin ?

À plusieurs reprises, j’ai eu des échanges verbaux et écrits passionnés avec mon vénérable aîné, cet artiste fidèlement représenté par le galériste Éric Devlin, la soirée la plus mémorable étant celle du 9 août 2008 où je m’étais rendu fêter avec mon épouse le Refus global dans sa magnifique propriété peuplée d’oeuvres historiques à Sainte-Rose.

Dans l’immense jardin jouxtant la Rivière-des-Mille-Îles que Marcel a vendu à la municipalité sous promesse qu’elle en fasse un accès libre à la rivière pour ses concitoyens, nous avions célébré avec Françoise Sullivan les soixante ans du Refus Global. Les dernières œuvres qu’il a réalisées seront exposées au salon b, à Montréal, au cours du mois de septembre, nous annonce le Devoir sous la plume de Caroline Montpetit que je remercie pour plusieurs informations cruciales déjà citées.

Marcel, l’amoureux

J’ai été fier d’appuyer, comme membre du jury, la thèse de doctorat en études et pratiques des arts, titrée Art rebelle et contreculture publiée chez M, avec le sous-titre Création collective underground au Québec, d’Anithe de Carvalho, la compagne de Marcel dans ses seize dernières années. À l’occasion de sa mort après des années en CHSLD, prisonnier des appareils médicaux sophistiqués qui le gardaient en vie malgré un cœur et des reins en piteux états, elle écrit ce poème qu’on peut lire au complet sur sa page facebook :

À l’ombre de l’oubli, il y a le “nous”. Et nous sommes nés à l’ombre du vent. À côté d’une pleine lune floue de nuages. Tu t’en souviens-tu? Tous deux assis sur une marche de pierre ancestrale d’une venelle salie du Vieux-Montréal, sous la lumière d’un lampadaire éteint, à l’abri des rafales riveraines glaciales du Saint-Laurent. Cachés d’un jeune mois de novembre dépouillé de ses feuilles d’érable. 19 novembre 2005. Là précisément, pour une première fois, tu m’as livré ton souffle entier, après une soirée de fado. Un amour parfait se traçait alors finement dans tes mots, dans mes paroles; un “je nous veux” est sorti spontanément de nos bouches, enrobé de la vapeur condensée fluviale. Quelle magnifique seconde de beauté à l’état brut! Une fine bruine de tendresse ne nous a jamais plus quittés, même pas quand l’espoir s’est noyé dans la tristesse de la cruelle maladie qui t’a squatté pendant huit ans.

Marcel, l’artiste pour la paix révolutionnaire

Membre des Artistes pour la Paix, Marcel m’avait résolument mis en garde contre ma tendance de trop favoriser des compromis pacifistes, quand notre devoir moral d’artiste militant était de s’opposer avec fougue et vérité, ce à quoi j’avais répondu :

Merci de ton opinion bien exprimée. J’ai envoyé ma lettre à la CLASSE, pas au gouvernement. Mais aucunement il y est question d’imputer à la CLASSE la violence que je prends bien soin d’imputer aux forces mortifères de l’argent. Libre à eux de l’envoyer à Charest. En attendant, la violence répressive est grande sur les campus. Ma fièvre révolutionnaire ne va pas jusqu’à envoyer les étudiants à l’abattoir…

Il est plus intéressant de citer Marcel : Bonjour Pierre, j’ai lu attentivement ta lettre et j’endosse entièrement ta position, une fois de plus ! Cela ne l’empêchait pas d’écrire la mise en garde suivante, le 19 avril 2012, sous mon titre Pour un Printemps ÉRABLE :

Cher Pierre,

En réponse à ta demande, je dois dire mon bémol et mon désaccord. Si ta missive doit être adressée à quelqu’un, c’est à Charest et non à la Classe. Ce qui m’interroge dans ta proposition, c’est ce qui lui est sous-jacent; à savoir que les signes de violence actuels soient la responsabilité des assemblées de la CLASSE. Ils sont probablement davantage issus d’infiltrations policières (par exemple les sacs sur les rails du métro) ou de maoïstes enflammés (style outawais); toutes des manoeuvres de détournements visant à faire dégénérer le mouvement de solidarité. Et je ne parle même pas de la vieille tactique de diviser pour contrôler [1]. Quoiqu’il en soit, c’est au gouvernement Libéral de s’assoir et de discuter afin d’arriver à une résolution. Et cela sans conditions ! La rhétorique de Charest est exclusive, provoquante et bornée. Elle accompagne bien la saveur répressive de sa fin de non- recevoir, de ses injonctions aussi, des amendes, de la campagne de salissage livrée à l’endroit de la Classe et de ses représentants. Ce mépris est en soi un signe d’intolérance auquel je m’oppose. Après tout, ce n’est pas la crise d’octobre qu’on traverse, même si Charest cherche à démoniser la CLASSE.

Bref, négocier la hausse, sous quelque forme que ce soit, ne m’apparaît pas la solution. Ta lettre au recteur était mieux ciblée et stratégique. Plusieurs enseignants proposent un moratoire immédiat sur la hausse afin d’en finir vite avec le conflit : c’est absurde de reporter le problème ou de brader la hausse en l’étalant sur 10 ans comme certains autres le souhaitent. En résumé, mon cher Pierre, je comprends bien entendu la motivation non-violente qui anime ta proposition. Telle que demandée, voilà mon opinion. Salutations ! On se voit le 22 avril sous notre bannière !

Un quart de million de manifestants allaient voir en ce Jour de la Terre Frédéric Back planter un arbre sur le Mont-Royal et écouter l’artiste pour la paix de l’année Dominic Champagne haranguer la foule [1]. Nous écrivions :

Cette marche est vitale pour le bien commun et le respect dû à la nature, deux impératifs que les autochtones ont compris bien avant nous. Il s’agit de nous opposer aux gouvernements qui ont la complicité d’hommes d’affaires cupides et sans scrupules (d’ailleurs dénoncés par Claude Béland, ancien président des Caisses populaires Desjardins).

Ces mots résonnent encore aujourd’hui quand trois jours après le dépôt d’un rapport préliminaire du GIEC qui nous annonce une hausse de QUATRE DEGRÉS de la température mondiale à brève échéance, les médias qui nous censurent enchaînent sur toutes sortes de sujets futiles. Pas étonnant non plus que la candidature de Marcel Saint-Pierre à laquelle j’avais souscrit au Prix du Québec Borduas n’ait jamais été acceptée (du vivant de Borduas, le gouvernement ne le classait-il pas dans les artistes-démons les plus pernicieux ?).

Pour compléter mon article très incomplet, on demandera à son ami Éric Devlin [artcontemporain@galeriericdevlin.com] son très bel hommage.


[1] http://www.artistespourlapaix.org/?p=1727 Juste milieu pacifiste et écologique, texte où je répondais en partie à Marcel, inquiet comme lui des extrémismes. Je serai heureux de convaincre à ce sujet en 2013 les commissaires Carbonneau et Ménard : http://www.artistespourlapaix.org/?p=2987

[2] http://www.artistespourlapaix.org/?p=543