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Le chef suprême de l’autorité iranienne l’Ayatollah Khameini au centre, avec feu le commandant des forces al-Qods, Qasem Soleimani à droite. Photo Wikimedia Commons

Iran : une théocratie

On m’accusera de succomber à la facilité de blâmer en premier lieu les Iraniens qui donnent trop de pouvoir aux Gardes Révolutionnaires, arment des milices terroristes au Yémen, en Irak et en Syrie, répriment brutalement leurs manifestations étudiantes et descendent un avion par erreur. Impardonnable, comme dit le président iranien Hassan Rohani ? En effet, pourquoi diable ont-ils permis la réouverture de leur espace civil aérien, moins de deux heures après la fin de leurs frappes sur deux bases militaires irakiennes ? Conséquence tragique : un avion avec 176 personnes à bord, abattu par erreur par les défenseurs iraniens au maximum des tensions, après leur envoi de frappes – ciblées pour ne pas tuer – sur des cibles irakiennes. Le général de brigade Amirali Hajizadeh, commandant de la branche aérospatiale des Gardiens de la Révolution, a endossé samedi la « responsabilité totale » du drame, tout en disant que le soldat chargé de tirer avait agi sans ordre. Sans doute était-il énervé par la monstrueuse menace américaine et par le brouillage de communications l’empêchant de confirmer ou infirmer l’identité des cibles mouvantes sur son radar.

Le président Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut-rang et des douzaines d’experts, car le monde entier va regarder ». Sera-ce un épisode de plus d’affrontement entre militaires et manifestants civils, le tout arbitré par Rohani, chef élu contre l’agressif Ahmadinejab pour sa modération, mais qui représente néanmoins un pouvoir théocrate porte-étendard de la religion chiite ? Les civils ne le leur reprochent-ils pas de négliger ainsi les intérêts premiers iraniens, avec leurs appels à détruire Israël et à lutter contre le Grand Satan américain ? Si le peuple iranien s’est rassemblé uni à trois millions dans les rues pour saluer le cortège funèbre du général Qasem Soleimani, n’était-ce pas surtout à la mémoire du courageux jeune défenseur de l’Iran contre l’attaque irakienne de Saddam Hussein fomentée il y a quarante ans par un Donald Rumsfeld exportateur d’armes chimiques américaines ? À suivre…

L’impérialiste « évangéliste » Trump

Dès le 3 janvier à la radio torontoise de CHOQ-FM, le professeur américain Norman Cornett, qui a étudié la théologie à l’université de Dallas au Texas, décrivait la conjoncture de l’assassinat du commandant de la section guerrière des Gardes Révolutionnaires iraniens comme une tentative de la part de Trump de rallier les États-Unis à une lutte contre le Grand Satan perse, ainsi identifié par deux livres de l’Ancien Testament ou bible hébraïque. Ne détestant pas personnifier l’archange Saint-Michel, Trump n’a pas manqué l’occasion d’offrir la tête d’un « démon musulman » à ses alliés évangélistes, réunis par hasard à Miami au congrès King Jesus International Ministry ! Comme l’observait le stratège chinois contemporain de Socrate, Souen Tseu, dans L’art de la guerre: « Les guerres se gagnent dans les temples, quarante ans avant de se gagner sur les champs de bataille.»

Cornett rappelle combien cet assassinat par drone, qui a aussi tué un commandant chiite irakien et un responsable du Hezbollah (le Parti de Dieu !) déjà dans la mire du Mossad israélien, a aussitôt été appuyé par la plupart des démocrates américains obnubilés par la défaite aux mains de Ronald Reagan du président Jimmy Carter, à cause des 52 otages américains retenus les yeux bandés à Téhéran en 1979. Le machiavélique Trump a donc mis en garde le régime iranien contre toutes représailles en menaçant de bombardement cinquante-deux sites iraniens, pour être heureusement rabroué par Angela Merkel l’avertissant que détruire des sites culturels reconnus de grande valeur par l’UNESCO ferait de lui un barbare encore plus immonde que l’Armée islamique et les Taliban ayant détruit dans un passé récent un temple assyrien et des Bouddhas sculptés dans la montagne.

Comment qualifier l’assassinat du général Soleimani, présent en Irak pour des pourparlers de paix avec l’Arabie saoudite, à l’invitation du premier ministre irakien ayant obtenu la permission préalable des Américains, qui ont profité du renseignement pour l’éliminer ? Il faut que Trump ait été particulièrement exacerbé par l’accumulation de revers mérités subis en Afghanistan (cela se poursuivait en fin de semaine), en Irak et en Syrie.

Comment qualifier sa menace que sera punie sévèrement toute attaque contre des intérêts américains, quand on sait que selon Wikipédia, 10 % du personnel militaire américain, près de 200 000 hommes, sont déployés à l’étranger dans 800 bases militaires déclarées en 177 pays (en comptant les corps de garde des ambassades) ? La définition impérialiste des intérêts américains déborde alors tout cadre décent.

L’ONU reléguée aux oubliettes

Les Américains élisent des brutes qui veulent vivre et périr par la guerre. Comme pacifistes, on ne pleurera pas la mort de Soleimani, même si on déplore qu’elle ait eu lieu. Mais comme Canadiens peut-on se laver les mains entièrement, alors que Harper dans sa rigidité évangéliste héritée de Preston Manning a sciemment coupé tout lien diplomatique avec l’Iran ? Et Trudeau soi-disant « de retour » l’a-t-il rétabli de 2015 à 2020 ? Non, il a continué à gaspiller plus d’une centaine de milliards de $ à ses forces militaires obéissant à l’OTAN armée de bombes nucléaires, via son ministre de la Défense traumatisé par son passé militaire en Afghanistan. Et il intervient militairement en Irak dont il a peureusement mais sagement retiré ses troupes vers le Koweit. Plutôt que mettre toutes ses billes dans l’OTAN, pourquoi ne favorise-t-il pas avec son nouveau ministre des Affaires étrangères des opérations de Casques Bleus de l’ONU en prônant le retrait de TOUTES les armées étrangères de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak et en s’objectant au projet impérialiste Erdogan en Libye ?

Rappelons qu’il y a plus d’un an [1], la ministre Chrystia Freeland avait décidé d’emprisonner Meng Wan-Zhou, no 2 de Hua-Wei, obéissant servilement aux Américains qui avaient jugé la Chinoise coupable d’avoir péché contre son diktat anti-JCPoA iranien (plan d’action global commun). Or « signé par Obama, par toutes les puissances européennes ET LE CANADA, ce traité avec l’Iran qui a accepté de ne pas enrichir son uranium au-delà d’un chiffre critique où il pourrait le convertir en arme nucléaire, fait encore force de loi, davantage que l’humeur belliqueuse de Trump qui l’a déchiré, pour plaire à Israël et à l’Arabie Saoudite [2]». Si Trudeau et l’Europe avaient défendu avec vigueur cette avancée diplomatique de paix de leur allié Barack Obama, Trump isolé aurait-il pu poursuivre l’Iran de sa haine militariste, alors que ce pays selon l’Agence Internationale d’Énergie Atomique, s’il augmente le nombre de ses centrifugeuses, respecte encore la clause principale de non-enrichissement [3] ?

Si l’ONU, vaillamment représentée par son secrétaire-général Antonio Guterres, était mieux défendue, le nouveau ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne pourrait commencer à réparer les dommages freelandesques. En attendant, il s’accapare la responsabilité de s’occuper des familles des 57 victimes collatérales canadiennes du vol PS752 à qui on désire offrir nos plus sincères condoléances. Il est rarissime de voir de riches hommes d’affaires commenter la situation internationale : Michael McCain a offert sur le compte twitter de Maple Leaf Foods dimanche soir ses réflexions personnelles sur le fait qu’un collègue ait perdu sa femme et son enfant lors du bombardement du PS752 peu après son décollage de l’aéroport de Téhéran. « Je suis en colère, et le temps qui passe ne diminue pas ma colère » a-t-il écrit. « Les 57 Canadiens à bord représentent un dommage collatéral du comportement narcissique à Washington: nous sommes en deuil et je suis livide. »


[1] Et la Chine avait bloqué son importation de la production canadienne de soya et de viande de porcs, en représailles contre le fanatisme canadien, à qui il ne faut toutefois pas imputer l’emprisonnement de deux Canadiens qui semble un abus de pouvoir chinois.

[2] Lire http://www.artistespourlapaix.org/?p=15639

[3] Renseignement confirmé en 2020 par l’expert canadien en non-prolifération nucléaire Tariq Rauf qui a dirigé de 2002 à 2011 la Coordination de la Politique de Vérification et de Sécurité pour l’AIEA.