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Tirée du film « Luc Durand leaving Delhi », la photo représente un Durand impassible tel Buster Keaton, un chapeau de paille enfoncé sur le crâne, le créateur se fondant dans un décor indien, où il a appris son métier.

Fort d’un film célébré sur Roger D’Astous en 2016, le documentariste Étienne Desrosiers [1] s’est donné la redoutable tâche de cerner la personnalité du collaborateur de ce dernier, le regretté architecte Luc Durand (non, il ne s’agit pas de Gobelet, comparse de Sol), insaisissable personnage mort avant d’avoir pu apprécier la fidélité de son film biographique.

New Delhi, moderne ou traditionnaliste ?

Car Durand réalise ses premières œuvres facilitées par ses liens amicaux avec un membre de l’industrie Tata à New Delhi. Son interprétation laxiste de l’utilité des castes lui alloue une main d’œuvre innombrable, à laquelle s’ajoutent les gouvernantes à la disposition de chacun de ses premiers trois enfants ! Paradoxe, puisque la mort de Jawaharlal Nehru, Premier ministre socialiste de 1947 à 1964 ayant engagé le pays dans une moderne évolution technologique, déterminera la fin de l’exil fructueux de Durand. Observateur attentif des lieux d’implantation d’une commande AVANT de décider quelle forme adopter, sa liberté d’expérimenter demeure plus artistique qu’industrielle : ses architectures pour des expositions agricoles et industrielles éphémères, ses maisons privées luxueuses avec escalier circulaire extérieur, panneaux de bois sculptés et grandes fenêtres, son design du vaste hall d’entrée du cinéma Shiela avec motifs colorés à la Paul Klee, sa fabrique de meubles artisanaux, bref le foisonnement de son imagination semble refléter une observance des maximes du mouvement Bauhaus, éliminé en Allemagne par les Nazis.

Renouvellement de l’Est de Montréal

Si on perçoit une continuité dans le Pavillon du Québec d’EXPO67, icône des années soixante par son verre remplaçant le béton, et dans l’architecture des Pyramides du Village olympique avec ses couloirs fluides extérieurs créés avec Roger d’Astous, cette avenue semble rompue par ses austères bâtiments rectangulaires, places Frontenac et Dupuis frères (dont il attribue la faillite à leur dépendance malsaine aux commandes religieuses en déclin accéléré à la fin des années 60).

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Le pavillon du Québec de l’EXPO67.

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Les pyramides du Village olympique de 1976

Chez lui qui avait pourtant grandi à Notre-Dame-de-Grâce avec son ami Armand Vaillancourt puis abandonné pour Genève les études sclérosées de l’Université de Montréal, on perçoit à son retour au pays le même désir que chez Pierre Péladeau d’échapper au contrôle des possédants de l’ouest, en créant son entreprise du renouvellement de l’est, aux côtés de Normand C. Gagnon, architecte et homme d’affaires. Cela ne l’empêche pas d’apprécier dans l’ouest l’entreposage, au Centre Canadien d’Architecture de madame Phyllis Lambert, des archives D’Astous et même celles de Pierre Geaneret, son ami-collègue à Genève.

L’appel des vastes projets

Pour finir, l’œuvre de Desrosiers épouse avec bonheur la fascination de Luc Durand pour les utopies architecturales, non pas celle de Brasilia, mais en premier lieu celle à Genève, créée par son maître Eugène Beaudoin, rassemblant les nombreux bâtiments de l’ONU. Dans son enseignement à partir de ces lieux mêmes, Beaudoin ne privilégiait aucune école ni aucun style et conseillait à ses étudiants d’ouvrir leurs esprits en VOYAGEANT.

Saisies à l’aide d’un drone, les images de Chandagarh montrent Luc Durand reçu chaleureusement quarante ans plus tard par son collègue-ami, Jeet Malhotra. Ce dernier avait assisté Le Corbusier dans l’érection de cette « architecture holistique du temps et de l’espace, symbole d’une civilisation qu’on voudrait conviviale et débarrassée des armes ». Un tel langage lyrique n’est pas celui de Durand, qui commente volontiers en autodérision ses « échecs » et introduit ses plus grandes œuvres avec une humilité qui est l’apanage des plus grands, par exemple les mots : « Ce que j’ai tenté de faire avec plus ou moins de succès… ». Ne manquez pas ce beau film historique, agrémenté de musiques du Rajasthan, au cinéma du Musée des Beaux-Arts de Montréal les 20 et 21 décembre ! Cette dernière projection sera présentée par nul autre qu’Armand Vaillancourt.


[1] Sujet d’un excellent article de François Lévesque dans Le Devoir du 13 décembre.