Ms Beeley annoncée par différentes voix

beeley_vanessaMardi le 10 décembre, le journaliste Robin Philpot présentait à Montréal la journaliste britannique Vanessa Beeley devant une salle du Centre Saint-Pierre remplie mais disciplinée – mise à part l’expulsion motivée d’un opposant qui interrompit l’oratrice et refusa de se taire malgré les règles de la soirée ayant établi d’avance une période de questions ultérieure.

La soirée avait débuté par un convaincant résumé historique des huit années de guerre syrienne, très différent des « fake news » de nos médias, par le professeur d’histoire Samir Saul [1]. Pas étonnant qu’il ait été lui-même victime de censure: son institution, l’Université de Montréal, venait d’annuler une conférence de Ms Beeley devant ses étudiantEs. Le professeur Saul a déploré que l’irrationnel d’accusations non fondées sur la soi-disant « complotiste » l’ait emporté sur le rationnel qu’on voudrait bien défendre en table ronde, mais hélas, l’absence de discussion démocratique est provoquée et imposée par le manque de courage de la part des ministres et éditorialistes bien rémunérés à venir confronter leurs théories à la réalité objective du terrain de guerre telle que vécue par Ms Beeley.

C’est un article du 4 décembre dans La Presse par Agnes Gruda qui a déclenché la censure, la journaliste écrivant : « S’appuyant sur des séjours en Syrie, Vanessa Beeley prend pour cibles les secouristes civils syriens, connus sous le nom de « casques blancs », qui viennent au secours des victimes des bombardements du régime, appuyé par les forces militaires russes ». Ce raccourci omet les bombardements occidentaux et turcs, ainsi que les riches subventions aux Casques blancs, dont celle de 4.5 millions de $ en 2016 de la part de l’ancien ministère de madame Chrystia Freeland, entre autres pour un film Netflix à leur gloire fabriquée, maintenant ternie par la mort rocambolesque le mois dernier de leur fondateur. Membre des Services secrets britanniques, fondateur de May Day Rescue, James le Mesurier est l’objet d’un article de Ms Beeley (elle nous en a annoncé un prochain) attribuant sa mort en Turquie à un détournement probable d’argent pour des fins personnelles de la part de celui dont les actions terroristes auraient dû, depuis longtemps, discréditer et son organisme et son principal subventionnaire, l’OTAN.

Notre article [2] de 2016 – aux informations confirmées par la conférencière – déplorait que les Casques blancs délégitiment l’action humanitaire de l’ONU par leur appellation mensongère et surtout parce qu’ils entremêlent à quelques sauvetages – que leur accordait volontiers le professeur de l’UQAM Rachad Antonius – une intense activité de sabotages et de propagandes, allant jusqu’à intercepter, après son bombardement complice ou non, un convoi de bus affrétés par l’ONU pour distribuer des vivres aux populations assiégées !

Conférence fortement applaudie

Le sociologue Antonius, de retour d’Égypte, a aussi pris une parole mesurée au Centre Saint-Pierre, afin de saluer au plus fort de la féroce guerre les présences courageuses en Syrie de Ms Beeley qui méritent notre admiration. L’influence néfaste des Casques blancs avec l’appui honteux d’AVAAZ généralement mieux inspiré, visait à susciter auprès du public international un appel à une intervention armée américaine contre la Syrie. Quelle inconscience ou complicité coupable de la part d’organismes qui se prétendent humanitaires, quand on connait les désastres humains provoqués par les guerres américaines récentes en Afghanistan, en Irak et en Libye, ainsi que par les bombardements français, turcs et israéliens unis contre la Syrie jusqu’à nos jours (sans doute pour justifier leurs dépenses militaires absurdes auprès de leur électorat ?). Ms Beeley qui a toujours appuyé la résistance exceptionnelle du peuple syrien, a obtenu des quelque cent cinquante auditeurs, l’observation respectueuse d’une minute d’un silence impressionnant à la mémoire des victimes syriennes de terrorisme.

mariam_de_la_croixDéjà en mai 2013 [3], Les Artistes pour la Paix compatissaient avec les souffrances du peuple syrien, sali par les désinformations de notre gouvernement fédéral sur la cruelle guerre naissante. Nous avions encouragé la mission d’Amir Maasoumi en compagnie de l’irlandaise Mairead Maguire, prix Nobel de la Paix 1976, en faveur du mouvement syrien de solidarité Mussalaha ou Réconciliation créé par mère Mariam-de-la-Croix (photo avec l’auteur de ces lignes en arrière-plan). Sans doute, les admirables actions de la religieuse d’origine palestinienne – comme celles aussi de Joanne Liu de Médecins sans frontières dont un hôpital kurde fut bombardé par l’OTAN – ont pu faire germer, dans la tête de militaires fascistes sans foi ni loi comme le Mesurier, cette falsification monstrueuse de l’idéal humanitaire qu’ils ont appelée Casques blancs, supercherie d’autant plus méprisable qu’elle a fait augmenter le cynisme des populations désinformées par leur propagande.

Démontrer le caractère fallacieux des Casques blancs par des photos de casemates abritant pêle-mêle leurs locaux ET ceux de groupes djihadistes associés à ISIS, fut l’aspect le plus convaincant et percutant de la conférence. On savait déjà que les États-Unis, tout en subventionnant les Casques blancs, refusaient un visa d’entrée à leurs chefs, parce qu’ils étaient aussi membres de l’organisation terroriste coupable du 9/11, Al-Qaïda ! Les accusations de Ms Beeley ont convaincu les spectateurs de la conférence appelée par M. Philpot qui portait précisément là-dessus. Par contre, les trois parties suivantes, plus courtes et moins étayées de sa part, m’ont navré, ainsi que mon collègue sociologue uqamien.

Trois digressions dans sa conférence

Trois courtes digressions de sa conférence évoquent des égarements antérieurs de Ms Beeley, tel son fameux questionnement de l’itinéraire des tueurs de Charlie-Hebdo :

  • son escamotage des questions posées dans la salle par les respectés militants pour la paix Lorraine Guay et Raymond Legault sur la brutalité du président Bachar al-Assad et de sa police secrète, au moins au début du printemps arabe appuyé par des étudiants syriens.
  • l’accusation qu’elle reprend, de la part de M. Grigoriev, selon laquelle le Mesurier aurait comploté avec Bernard Kouchner pour enlever des enfants en Syrie, comme auparavant au Kosovo, afin de procéder à de lucratifs trafics d’organes : apporter en complément de conférence une telle allégation semble farfelu, sans l’appui de documents crédibles;
  • OIAC_logosa condamnation sans réserve de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. L’OIAC-ONU, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix 2013, avait pourtant réussi à écarter le spectre d’une croisade occidentale voulue par le président Hollande – représentatif des Français très remontés contre leur ancienne colonie – grâce à un accord américano-russe de contrôle international des armes chimiques syriennes. Leur destruction supervisée par un jeune chimiste canadien [4] contribuera à disculper en partie la Syrie d’accusations incessantes de la part de la presse occidentale. Et j’informai Ms Beeley que les rapports de l’OIAC, qui me parviennent par l’intermédiaire de Pugwash et de son prosélyte des Casques Bleus de l’ONU, Walter Dorn, contiennent, en dépit de conclusions parfois forcées, des doutes substantiels sur l’attribution aux Russes et aux Syriens d’attaques au chlorine, rapportant par exemple qu’une cellule Jabhat al-Nusra voulait lancer une attaque au gaz sarin en la camouflant sous drapeau syrien. L’OIAC ne doit donc pas être tenu responsable des raccourcis de médias aveuglés par leur idéologie, mais aussi animés de doutes légitimes au sujet d’une Russie qui vient d’être condamnée pour une falsification systématique de flacons olympiques, sans compter l’affaire récente de l’empoisonnement des pauvres Skripal à Londres.

En conclusion

Un interlocuteur syrien dans la salle a rappelé la réélection du président Assad à immense majorité, constatée même chez les Syriens réfugiés en Jordanie, ainsi que le récent refus canadien d’accréditer un diplomate syrien, sous prétexte de ses liens idéologiques avec Assad. Il s’est interrogé avec humour s’il existait quelque diplomate à Ottawa ayant des rapports conflictuels avec les autorités de son propre pays, ce qui a déclenché l’hilarité de la salle, partagée par la conférencière qui a sûrement quitté Montréal très heureuse.

Puis-je partager ma très grande préoccupation ? En 2013, TVA et Azeb Wolde-Gheorgis de Radio-Canada avaient interviewé mère Agnès-Mariam de la Croix, dont je présidais la conférence de presse… à la CSN (nous avions dû changer de lieu suite à des appels à la bombe; mardi, le Centre était gardé par deux imposants agents de la Sûreté du Québec). Nos médias semblent de plus en plus inféodés au complexe militaro-industriel-académique-médiatique-humanitaire, puisqu’à la lecture des quotidiens du mercredi, francophones comme anglophone, force était de constater qu’aucun journaliste n’était venu ne serait-ce que S’INFORMER. Or, la journaliste Beeley accomplit un travail indispensable, et ceux qui la discréditent pour ses opinions « embedded » devraient savoir qu’elle est la fille de Sir Harold Beeley, ancien conseiller arabisant respecté du Secrétaire d’État des Affaires étrangères britannique. Priver les Canadiens d’une source différente d’informations revient à enfoncer notre pays freelandesque dans la russophobie et dans un mépris des vies humaines kurdes et syriennes menacées par l’impérialisme armé du président turc Erdogan. On doit en outre s’attrister avec le professeur Samir Saul qu’aucun débat démocratique n’ait eu lieu, aucun adepte des thèses officielles canadiennes n’étant venu poser de questions, sauf le malpoli au début de l’article !

Le Président Evo Morales en exil forcé avait déclaré il y a quelques années : « Je crois que les armes chimiques en Syrie ne sont qu’une excuse pour une intervention militaire. Les États-Unis se moquent bien du droit international. Ils l’ignorent lorsque cela les arrange. Les problèmes internationaux entre Etats doivent être résolus par le dialogue et non par les bombardements qui sont une menace contre la paix et la sécurité internationales. »

Pierre Allard publia le 19 mai 2014 une protestation contre l’intention de Gesca/Power Corporation de supprimer les versions papier de ses quotidiens, perdant subséquemment sa place d’éditorialiste invité au journal Le Droit : « Je suis quelque peu outré du silence assourdissant qui émane des salles de rédaction des quotidiens de Gesca, y compris La Presse, avait écrit M. Allard. J’ai toujours cru que le milieu journalistique en était un de remises en question constantes, de contestation, de reddition de comptes, du second regard, de réflexion et, par conséquent, de diversité et de choc d’idées. S’il reste quelque chose de ce bouillonnement que j’ai connu, ça ne paraît pas. Trop de journalistes ont la bouche cousue… » Une crise semblable sévit en nos radios/télévisions. Et madame Gruda, à ma connaissance, n’a pas éprouvé le besoin de faire le suivi de son article mardi soir.


[1] Membre fondateur et coordonnateur du Groupement interuniversitaire pour l’histoire des relations internationales (GIHRIC).

[2] http://lautjournal.info/20161223/casques-blancs-syriens-heros-propagandistes

[3] L’aberrante question du jour au Club des Ex de septembre 2013 : « incapable de condamner le massacre d’innocents à l’arme chimique, l’ONU est-elle encore pertinente dans sa forme actuelle? » http://artistespourlapaix.org/?p=5628

[4] Les Artistes pour la Paix ont célébré à l’automne 2013 : « L’ONU de Hans Blix, qui avait conclu que Saddam Hussein ne possédait pas d’arme de destruction massive, avait évité au Canada de suivre Bush & Blair en Irak. Aujourd’hui, elle s’attelle à éliminer les armes chimiques syriennes de Bachar el-Assad, grâce à l’action courageuse de l’OIAC (OPCW), Prix Nobel de la Paix 2013 », en accompagnant ces mots de la photo suivante montrant à droite de Ban Ki-moon, le jeune officier canadien Scott Cairns, collègue de Walter Dorn.

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