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L’idéal Pearsonien dans l’imaginaire collectif.

NDLR : Ce texte est librement adapté et traduit d’un article et des recherches de Matthew Behrens, du groupe TASC.

Peu importe le résultat de l’élection de lundi prochain, les grands gagnants en seront le complexe militaro-industriel et le ministère de la Défense. En effet, les programmes des six principaux partis garantissent qu’un flux intarissable de fonds publics continuera de gonfler les profits du complexe. Tous les partis adhèrent à une orthodoxie militariste similaire, qui repose sur des croyances aussi profondément ancrées que rarement contestées.

Par exemple, cette orthodoxie prend pour acquis que la Défense, de par sa simple présence rassurante et bienveillante, joue un rôle socialement utile et constructif à l’échelle mondiale, même s’il n’a jamais été démontré que les sommes dépensées dans l’armement, les manoeuvres, drones, bombes et invasions armées aient engendré la paix et la justice sociale où que ce soit.

Ces mythes increvables auxquels adhère la majorité des canadiens est le fruit d’une immense désinformation et d’une image qui date des années Pearson – le père des Casques Bleus, prix Nobel et champion international de la paix. L’armée canadienne a pourtant  été mêlée à de sombres histoires de torture en Somalie et en Afghanistan, ainsi que dans ses propres rangs. Le ministère de la Défense a ciblé comme menace à la sûreté nationale des autochtones qui ne faisaient que défendre leur territoire. L’armée musèle régulièrement les protestataires, comme à Kanesatake et Muskrat Falls. Elle est en état de crise perpétuelle, accusées de violences faites aux femmes membres des forces armées et du traitement dégradant réservé aux anciens combattants.

Super-émetteur de GES

Et pour finir, l’armée est le plus gros emetteur de GES du gouvernement fédéral. Tous les partis se sont livrés à une surenchère de déclarations sur l’environnement, bien qu’aucun n’ait de plan qui tienne vraiment la route, selon Stand.earth. Car aucun chef de parti n’aborde la question sous l’angle des recherches effectuées par le gouvernement fédéral, qui ont révélé que les forces armées sont, de loin, le plus gros émetteur gouvernemental de GES. Pour l’année fiscale 2017, on parle de 544 kilotonnes, soit 40% plus que le suivant sur la liste, Services Canada, et 80% plus qu’Agriculture Canada.

Bombardiers au décollage.

C’est là un phénomène mondial : aux États-Unis, le Pentagone est le plus gros émetteur de GES, soit 1,2 milliards de tonnes de 2001 à 2017. 400 millions de tonnes de GES sont attribuables à la consommation de carburant, principalement par l’aviation. N’oublions pas qu’il y a plusieurs centaines de bases américaines dans le monde, autant de foyers d’émissions.

Les militaires ont toujours voulu être exclus du calcul des émissions de GES. En 1997 à Kyoto, le Pentagone s’assura que les forces armées ne seraient pas incluses dans la liste des institutions devant se plier aux réductions d’émissions. Comme le faisait remarquer le Transnational Institute à la veille du sommet de Paris en 2015, “même de nos jours, les rapports que doivent fournir chaque pays à l’ONU ne tiennent pas compte des achats et de l’usage de carburant par les armées”.

Cette exemption fut levée par l’Accord de Paris, mais les forces armées ne sont toujours pas tenues de réduire leurs émissions de GES.

Marine et aviation canadiennes : 130 milliards

Bref, peu importe qui gagne les élections de lundi, les généraux, amiraux et capitaines de l’industrie militaire se lèchent les babines. Il faut réaliser que plus d’une centaine de milliards de fonds publics serviront à financer des programmes visant à soutenir ces industries : 105 milliards pour des navires de guerre et au moins 25 milliards pour des chasseurs-bombardiers – en fait probablement plus, vu la propension de l’industrie militaire à sous-évaluer, puis sur-facturer les contrats.

fregate

Frégate en construction au chantier Irving.

Est-ce que nous avons besoin de tous ces jouets ? La réponse est non, mais l’orthodoxie militariste canadienne dit que nos glorieuses forces armées doivent recevoir tout ce dont elles estiment avoir besoin. Elles sont déjà équipées pour tuer des tas de gens, mais vouloir posséder la dernière génération de ces jouets de guerre est gravé dans l’ADN des chefs d’état-major comme une tare génétique.

Pendant la campagne électorale, beaucoup de questions ont été posées par les journalistes, sur comment financer des programmes sociaux utiles, pour améliorer la vie de 165 000 enfants autochtones ou bâtir des logements abordables. Étrangement, aucune question n’a été posée sur l’origine des 130 milliards consacrés aux machines de guerre. Personne n’a non plus remis en question la pratique d’accorder à la Défense un budget de 25 milliards par année, dont la majeure partie n’est pas soumise à l’approbation parlementaire.

Si on se fie aux programmes et aux déclarations des chefs de partis, les Elizabeth May et Jagmeet Singh de ce monde font chorus avec Trudeau-Scheer pour glorifier nos héroïques forces armées. Comme c’est rassurant de pouvoir les appeler en cas de catastrophe climatique, inondations, incendies… On oublie que des civils pourraient faire le même travail, sans avoir reçu l’entraînement de tueur qui fait d’un soldat ce qu’il est.

Réductions nécessaires

Une grande opération de réduction est nécessaire, mais où commencer ? Le plus simple, mais non le plus facile, serait de commencer par les budgets militaires. Les réduire de 30% dès l’an prochain mènerait à une réduction des GES de l’ordre de 160 kilotonnes, sans compter le bénéfice d’empêcher grâce à la diminution de nos activités militaires, d’autres désastres causés par l’OTAN comme en Syrie, en Afghanistan et en Libye.

Par exemple, le NPD veut investir 15 milliards dans son Green New Deal en vue de réduire les GES. C’est 85 milliards de moins que ce qu’ils projettent d’investir en Défense, qui émettra 500 kilotonnes de GES chaque année. Ces émissions viendront sérieusement gruger les réductions du Deal, d’où l’importance de commencer par diminuer les émissions des militaires. Comment ? En réduisant leurs budgets.

Il est impensable que dans une supposée démocratie, le débat sur les dépenses de la Défense soient escamotés. On imagine l’embarras des chefs des trois partis « de gauche » si ont les pressait d’expliquer leur position au public de cette populaire émission de télé du dimanche soir… positions moralement indéfendables par définition. Même les partis « à droite » s’abstiennent de mentionner ces milliards de gaspillage.

Nous ne nions pas la nouvelle dynamique politique et les enjeux reliés au climat : il faut en effet s’équipper pour être capables de maintenir le Saint-Laurent ouvert à la navigation pendant l’hiver, et assurer une présence autour du passage du Nord-Ouest. Mais nous aurons besoin de brise-glaces et d’avions de transport pour acheminer des missions scientifiques plutôt que de F-35 (pas opérationnels quand il fait trop froid) et de frégates.