notre-dame

Parmi les premières photos de l’intérieur post-incendie, avec le rougoiement d’une partie de la voûte.

D’où vient cet incroyable sentiment de perte qui oppresse mon cœur depuis l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris ? De mon enfance animée d’une naïve foi inébranlable dans le Christ et son sacrifice ? Ma longue adolescence auprès de femmes aimantes de pays païens m’en avait pourtant guéri, sans compter la musique, maîtresse inassouvissable…

Comment ce sentiment de perte peut-il rester si intense, malgré l’irritation face à la crédulité de certains fervents catholiques, persuadés et satisfaits que la Sainte Couronne d’épines (!), « posée sur la tête de Jésus peu avant sa crucifixion », ainsi qu’un morceau de la Croix et un clou de la Passion (sic et re-sic !) aient été sauvés des flammes ?!? Avec de telles superstitions, les Français peuvent bien avoir commis de longues processions contre le mariage homosexuel, contre l’aide médicale à mourir pour des êtres souffrants et contre l’avortement, même en dernier recours, de victimes de guerre violées ! Et mon irritation a d’autant plus grandi que j’ai appris la nouvelle de l’incendie en sortant d’une projection de l’excellent film de François Ozon, Grâce à Dieu, sur le combat ardu que des victimes ont dû livrer pour mettre hors d’état de nuire un seul prêtre pédophile faisant des centaines de victimes chez les Scouts à Lyon.

Des centaines d’intellectuels parmi lesquels de nombreux collègues de l’UQAM approuvent, du projet de François Legault, qu’il compte décrocher au plus vite le crucifix, grimace à l’objectivité des débats de l’Assemblée nationale et nous apprécions la pétition favorable à la laïcité du Québec, finement rédigée par Nadia El-Mabrouk, Micheline Labelle et Daniel Turp. Si je me suis abstenu de la signer, c’est à cause de son appui total au projet de loi 21. Car à l’instar de mon collègue Guy Demers, le contexte politique international me paraît fragiliser les réfugiéEs. Il écrit : « Il faut comprendre que beaucoup de personnes réfugiées arrivent au Canada et au Québec aujourd’hui, portant des signes culturels et religieux (je ne fais pas trop la différence). Elles n’ont pas vraiment choisi de quitter leur pays, y ayant été forcées par la guerre et la misère. Nous devons comprendre leur déchirure culturelle et devons faire le maximum pour les aider dans la transition vers notre pays culturel, en commençant par vraiment leur faciliter accès dans tous les domaines de l’emploi, malgré et avec leurs signes culturels, si cela est le cas. Nous devons ainsi pouvoir leur montrer que notre société est aussi belle et solidaire à vivre que possible, en évitant de part et d’autre la surenchère religieuse ou culturelle (y compris la surenchère de la religion laïque). » Ces réfugiéEs ne sont-ils pas déjà suffisamment traumatisés par Trump et par la nouvelle loi d’immigration subrepticement passée par Trudeau limitant leurs recours ?

Me voilà donc ému aux larmes devant ces pierres taillées restées debout, malgré le feu qui a ravagé la charpente quasi-millénaire, en pensant aux artisans-artistes qui ont œuvré près de deux siècles à tâtons à partir de 1163, sans avoir aucunement la certitude que leur travail aboutirait un jour à la complétion du monument. Combien leur a-t-il fallu de foi, pour jour après jour se remettre à l’ouvrage, avec dans leur cœur une simple esquisse de ce qu’ils étaient en train de créer ? Quel miracle humain que leur humilité laborieuse : mes enfants ont-ils retenu cette leçon suite à leur visite de ce monument le plus visité au monde (les militaristes vont me contredire en évoquant la muraille de Chine dont la vastitude et le côté brut devraient l’exclure de la compétition) ?

Musicien, me touche infiniment l’immensité de la perte de l’orgue de cinq claviers et 8000 tuyaux, qui avait mis trois siècles à atteindre sa taille imposante : il n’en resterait rien, plus aucun son ne nous parviendra, à part les enregistrements, pâles reflets. Et que dire des cloches dont on n’entendra plus ni la voix d’allégresse quand elles ont sonné la déroute nazie, ni la voix grave qui me rappelle l’épisode de fonte du bronze dans le chef d’œuvre de Tarkovsky, Andreï Roublev, auquel le réalisateur et dessinateur québécois Félix Dufour-Laperrière rend hommage dans son admirable film Ville Neuve ?

Amoureux des arts visuels, des couleurs et des lumières, me bouleverse la perte de tableaux et sculptures sacrés et de dizaines de vitraux, y compris les trois rosaces construites au XIIIe siècle dont la luminosité de la Seine avoisinante accroissait la splendeur. Avec cette blessure inguérissable, je compte retourner à Chartres pour me consoler quelque peu.

Enfin, admirateur de Victor Hugo et de sa légende romantique habilement reprise par Luc Plamondon et mise en scène par Gilles Maheu en intégrant et en valorisant gueux, réfugiéEs et gitans, je comprends le havre de paix sacrée, Notre-Dame-de-Paris, d’être devenu au Québec une référence incontournable, avec sa compassion mariale qui tempère la sévérité gothique chrétienne : notre premier artiste pour la paix de l’année (1989), Daniel Lavoie, Garou et les autres ont su imposer sur tous les continents une œuvre dont l’humanisme a séduit les publics internationaux, croyants et incroyants.

Réjouissons-nous que l’architecture emblématique célébrée comme patrimoine artistique de l’UNESCO survit au moins dans ses pierres, symbole d’une humanité triomphante… jusqu’à ce qu’une bombe nucléaire nous en sépare à jamais ? Reconstruire s’impose mais coûtera très cher, s’est-on plaint ? La centrale nucléaire de Flamanville en France avec maintenant 8 ans de retard n’a même pas l’assurance d’être complétée et a déjà coûté $17 milliards. Et chaque année, se gaspillent sur notre planète plus de cent milliards de $ dans la modernisation des armes nucléaires…

La mosquée Al-Aqsa, en Palestine a aussi été le théâtre d’un incendie, heureusement mineur.