Pascal Élie

Pascal Élie

Ingérence russe ?

Nos médias canadiens sont très insistants sur une virtuelle « menace russe agressant » notre démocratie. Au Devoir, Marie Vastel écrivait avec Hélène Buzzetti le 9 avril :

Le gouvernement fédéral s’impatiente devant le peu de gestes des géants du Web pour protéger la prochaine élection de l’ingérence étrangère. La ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, se dit carrément mécontente de l’état de la situation. (…) Le Centre de la sécurité des télécommunications venait de déposer sa plus récente évaluation du niveau de risque d’ingérence étrangère cet automne. Son constat : le nombre de cybermenaces a presque triplé depuis 2015, la moitié des pays de l’OCDE ayant été victimes de telles tentatives dans le cadre de leurs élections respectives en 2018. (…)

Stephanie Carvin, de l’Université Carleton, partage cette crainte. Cette spécialiste de la sécurité nationale doute que l’ingérence vise à favoriser un parti politique en particulier, puisque tous les principaux partis sont très critiques de la Russie — qui est le principal agent de ce genre de stratégies. Mais les Russes pourraient tenter d’amplifier des discours controversés pour semer la division ou diffuser de fausses nouvelles pour « propager l’idée que l’élection est truquée », explique Mme Carvin.

Le Centre de la sécurité des télécommunications estime qu’il « très probable » que les Canadiens soient victimes cet automne d’une tentative d’ingérence étrangère sur le Web. Il est toutefois « improbable » que celle-ci ait l’ampleur de l’ingérence russe commise lors de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis. (…)

Faute de nouvelle loi, le fédéral pourrait néanmoins tenter de faire respecter les lois existantes interdisant les discours haineux ou la suppression de votes. Encore faudrait-il, toutefois, augmenter les ressources d’Élections Canada pour les déceler en temps réel, note Mme Dubois.

Le Devoir avait déjà publié deux autres articles sur le sujet dans les trois jours précédents :

Processus électoral des pays riches

Heureusement, on peut compter sur nos artistes caricaturistes pour ramener nos journalistes à la réalité. La brillante caricature au DEVOIR de Pascal Élie rappelle le bordel que l’affaire SNC-Lavalin a engendré: démissions de trois libérales, deux ministres très compétentes Judy Wilson-Raybould, Jane Philpott et une députée Celina Caesar-Chavannes, + celles de Gerald Butts et du greffier du Conseil privé, Michael Wernick, les accusations virulentes d’Andrew Scheer poursuivi en cour par Trudeau, la contestation par les deux ex-ministres de leur éviction non démocratique, etc. Pascal Élie ridiculise la crainte d’ingérence russe en un tableau éloquent. Si on approuve les deux éditorialistes, Marie Vastel et Hélène Buzzetti, pour qui nous avons la plus grande estime, de prononcer une salutaire mise en garde contre les réseaux sociaux d’extrême-droite, pourquoi reprendre ad nauseam les craintes de la ministre Gould, obsolètes depuis le dépôt du rapport Mueller ? Ne devrait-on pas y penser à deux fois avant d’adopter la paranoïa russophobe (d’un millénaire dernier) Clintonesque et Freelandesque…?

 

Processus électoral des pays pauves

William Sloan, membre du C.A. des Artistes pour la Paix, nous rappelle qu’il fut observateur en Amérique centrale lors de plusieurs élections truquées : ces pays ont souffert d’infiniment plus sérieuses ingérences, que nos médias devraient par souci d’objectivité choisir de rappeler, plutôt que les oublier commodément pour leur propagande.

Par exemple, en 2001 au Nicaragua, Daniel Ortega s’était fait passer un sapin : une pleine page dans tous les journaux (allô dépenses en $) la veille du scrutin, signée JEB BUSH, qui avertissait les électeurs du mécontentement à venir de son frère président des USA, si par malheur les sandinistes étaient élus par le bon peuple.

En 2004, observateur officiel au Salvador, Bill Sloan avait été témoin d’une ingérence publique orchestrée encore une fois par les autorités américaines, une véritable campagne de peur dans les 72 heures avant le scrutin, qui d’après la loi devait jouir d’une suspension des publicités électorales, ce qui assura à toutes fins pratiques l’impossibilité de répondre. Les USA visaient le Front Farabundo Martí de Libération Nationale (FMLN), qui après avoir unifié cinq mouvements de guérilla marxistes, s’était transformé en parti politique légal au cours de l’année 1992 dans le cadre des accords de paix de Chapultepec. Résultat : les évangéliques pro-américains ont sorti les gens en autobus pour le scrutin d’ores et déjà faussé.

agee

Philip Agee (1935-2008)

En Jamaïque, Philip Agee avait pu faire élire le Parti National du Peuple en dénonçant les manœuvres anti-démocratiques de la CIA en faveur du Jamaican Labour Party. Michael « Joshua » Manley, dirigeant du PNP très proche de Fidel Castro, avait en vain tenté de développer un Socialisme Démocratique, comme alternative humaniste au communisme et au capitalisme. Les États-Unis, possédant les clés de l’économie, ne l’ont pas permis.

Agee, transfuge de la CIA pour qui il avait travaillé de 1957 à 1969 et lanceur d’alertes démocratiques tout comme Edward Snowden et Bradley Manning, a eu une influence marquante partout en Amérique latine par la parution de son ouvrage Inside the Company: CIA Diary, publié en 1974 et traduit en 30 langues différentes. Il y révélait entre autres les noms de présidents du Mexique, de Colombie et d’Uruguay apparaissant sur la payroll de la CIA.