Éclairée entre autres par des échanges à Ottawa le 10 avril 2017

Par Pierre Jasmin, vice-président des Artistes pour la Paix, membre de l’exécutif de Pugwash Canada et du comité de direction du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire

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En mai 2016, Mairead Maguire, infatigable prix Nobel de la Paix 1976 (Irlande), menait une délégation de femmes en Corée du Nord pour rompre le cercle infernal des menaces de guerre.

Comme nous nous sommes éloignés du basketball de paix [1] et du genre d’initiatives illustré dans la photo ci-dessus [2] et on trouvera les mots de Mairead Maguire à la fin de l’article ! Lundi 10 avril, le ministère des Affaires extérieures du Canada recevait plus d’une trentaine d’invités, pour la plupart experts civils sur la menace nucléaire, à la suggestion de Bev Delong, présidente du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire. Étrangement aux yeux de Martin Larose, l’hôte québécois de cette réunion qui a promis d’améliorer ce ratio, j’étais le seul Québécois invité. C’est pourquoi il me semble urgent de favoriser la naissance d’un mouvement pan-québécois pour la paix qui ne se limite pas à des activités régionales : les Artistes pour la Paix s’y activent présentement. Bien sûr, le Réseau et Pugwash accueilleraient volontiers des volontaires.

La réunion du 10 avril s’est tenue sous la règle stricte de Chatham House, qui m’interdit d’en relater les échanges, pacifiquement collégiaux quoique non dénués de profondes divergences de vue.

À Pugwash Canada, nous échangeons des courriels plusieurs fois semaine, et même, depuis l’arrivée au pouvoir du président américain, plusieurs fois par jour, grâce à la diligence de notre secrétaire Sergueï Plekhanov connecté à un grand nombre de publications spécialisées internationales.

Marius Grinius, ami de Pugwash Canada

Cette chronique peut donc compter sur les écrits informés de Marius Grinius, ancien ambassadeur canadien en Corée du Sud (2004-7) et en Corée du Nord (2005-7) où il a effectué quatre visites à Pyongyang. Il en a retenu que si un correspondant affirme savoir ce qui s’y passe, soit il pèche par naïveté, soit il ment carrément! Lui-même a eu une rencontre « franche et cordiale » d’une heure et demie avec des dirigeants militaires nord-coréens, qui la lui ont accordée probablement en raison de leur respect pour son passé militaire. Ils lui ont confié qu’à leur avis, seule leur arme nucléaire empêchait une attaque américaine sur le territoire national. Marius a plaidé que cette arme aliénait les voisins japonais et sud-coréens qui se sentant menacés, songent à acquérir eux-mêmes des armes létales, et que la Chine « alliée » est de plus en plus embarrassée par les déclarations agressives du leader Kim Jung-un.

À la fois partisan de négociations pour la paix et affligé par le manque d’ouverture de la Corée du Nord, toujours à la merci d’une pulsion agressive de son leader capable de faire tuer un de ses généraux parce qu’il s’est assoupi pendant un de ses discours, Marius Grinius croit que malgré le petit nombre d’ogives nucléaires à sa disposition, la Corée du Nord doit rester au sommet de l’échelle des préoccupations tant des pacifistes mondiaux que des pays signataires du Traité de non-prolifération.

Situation tendue mondiale

Lui donne hélas raison l’hostilité manifeste et croissante du président américain Trump, à laquelle la Corée du Nord a répondu dimanche en menaçant de couler son porte-avions qui, après un détour par l’Australie, s’approche du Japon. Les tweets de Trump sont d’autant plus irresponsables (mondialement parlant) qu’il fait courir un risque énorme au Japon et à la Corée du Sud, alors que ses propres côtes de l’ouest sont encore hors de portée des missiles nord-coréens. On en jugera en consultant le croquis suivant par Stratfor ayant diplomatiquement omis de dessiner le Japon, aux premières loges d’une attaque nord-coréenne dont les missiles sont capables de frapper les zones 1 et 2, avec de la difficulté pour la zone 3 (le croquis a inversé les légendes presumed operational des zones 2 et 3) et encore loin de pouvoir frapper la zone 4.

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Le colonel américain à la retraite Larry Wilkerson, qui fut assistant de l’ancien Secrétaire d’État Colin Powell, a donné son opinion sur la déclaration du vice-président Pence à l’effet que l’époque de patience stratégique était terminée. Il a également commenté les tweets menaçant la Corée du Nord du président Trump, avec en préambule leur vantardise sur son attaque de 59 missiles en Syrie en punition contre une agression à l’arme chimique attribuée sans preuves concluantes [3] à Bachar al-Assad et de l’explosion de « la mère de toutes les bombes [4] » contre les Taliban en Afghanistan. « Ce genre de déclarations grossières non diplomatiques m’alarme, a répondu le colonel. Comme la plupart des Américains et la plupart des Sud-Coréens, je suis prêt à patienter aussi longtemps qu’on réussira à éviter la guerre. La patience stratégique a permis d’éviter toute guerre sur la péninsule coréenne depuis 1953. «That’s a pretty darn good record. Although I don’t know what [Pence] means by « the period of strategic patience is over« .

La Chine, même si elle préfère une Corée du Nord dirigée par un parti communiste allié, sait qu’elle DOIT négocier avec les États-Unis pour persuader l’impatient Trump qu’elle applique suffisamment de pression, à l’aide de ses échanges commerciaux qui constituent plus de 90% de ceux pratiqués par sa très pauvre voisine. Mais la Chine croit les États-Unis coupables d’avoir provoqué l’impasse nord-coréenne, par sa politique d’agressions impulsives menées sans accord du Conseil de Sécurité de l’ONU. Car comment la Chine pourrait-elle persuader Kim Jung-un de renoncer à son arme qu’il croit dissuasive, au vu du sort réservé à l’Afghanistan, à l’Irak, à la Libye, à la Serbie et maintenant à la Syrie, tous bombardés par les États-Unis?

Quant à la Corée du Nord, elle se souvient certainement d’un conflit qui a tué en trois ans 20% de la population coréenne et de la déclaration d’alors par Dean Rusk, Secrétaire d’État américain, que les avions américains avaient bombardé chaque être en mouvement et même chaque construction de plus de deux pierres au pays.

De leur côté, les Nations-Unies semblent avoir épuisé tous leurs recours aux sanctions, sans résultats positifs apparents. Et le Secrétaire général se désole de l’inertie occidentale, russe, chinoise, pakistanaise et indienne face à l’initiative de désarmement nucléaire à l’ONU (27 au 31 mars et à nouveau en juin) menée par l’ambassadrice colombienne ayant rallié 132 pays : une solidarité canadienne aiderait grandement à la détente du climat mondial.

(Ir)responsabilité du Canada

Mes collègues pacifistes étaient pour la plupart à Ottawa le 10 avril pour faire comprendre au gouvernement canadien que les décisions de Trudeau, qui jouissent hélas de l’appui de la très grande majorité des éditorialistes nord-américains, sont à saveur de plus en plus militariste, à savoir sa déclaration en faveur de l’attaque de missiles américains en Syrie et son boycott des négociations en vue d’éliminer la bombe nucléaire (négociations en faveur desquelles la Corée du Nord avait voté en décembre, seule des neuf pays nucléarisés). Car il n’y a pas d’armes nucléaire AMIE, vu qu’elles sont à la merci de déclenchements accidentels ou de vol terroriste, ne font qu’augmenter la pression de guerre partout dans le monde et monopolisent des coûts de plus de cent milliards de $ annuels qu’on pourrait par exemple consacrer à l’aide internationale [5], au moment où le Haut-Commissariat de l’ONU clame la menace de 20 millions de morts en Afrique de l’est et au Yémen.

coree_3Enfin, on nous trouvera chauvins comme artistes de prêter foi à la thèse de notre collègue caricaturiste de La Presse, Serge Chapleau, résumant ci-contre à son inimitable façon l’un des objets les plus inquiétants de la situation internationale : la dispute Corée du Nord/États-Unis, vue sous l’angle macho de leurs leaders aux déclarations et aux armements irresponsables.

PS1- Un documentaire de Vitaly Mansky, Under the Sun, permet une rare incursion dans l’un des pays les plus fermés du monde, où très peu de journalistes et de touristes peuvent aller. Le cinéaste russe a reçu l’autorisation du régime de Pyongyang pour filmer, pendant un an, une fillette de 8 ans durant les préparatifs pour les grandes célébrations de l’ancien leader Kim Jong-il. Le chercheur Benoît Hardy Chartrand et la documentariste Raymonde Provencher ont expliqué à Catherine Perrin (SRC) comment le film montre la bouleversante transformation d’une enfant en outil de l’État.

PS2- Roots Action s’inquiète du danger terrible d’attaquer un pays doté d’armes nucléaires. La Corée du Nord a souvent offert d’abandonner son programme d’armes nucléaires, si les États-Unis et la Corée du Sud cessaient leurs survols et exercices militaires. Elle a adhéré à une entente pour mettre fin à son programme d’armes nucléaires, jusqu’à ce que le président américain George W. Bush qualifie le pays de membre de l’axe du mal et attaque vicieusement l’un des deux autres membres désignés (Irak).

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Trois enfants nord-coréens.


[1] Le basketballeur Dennis Rodman, vedette sulfureuse du basketball américain, a été invité plusieurs fois par Kim Jung-un, grand amateur de ce sport, surtout en l’année 2014 et l’expérience semblait contribuer à calmer son ardeur ennemie des États-Unis.

[2] Madame Maguire, informée de cet article paru d’abord dans l’Aut’Journal a envoyé un appel qu’elle a lancé au président Trump pour l’inciter à la retenue (voir annexe)

[3] Le New York Times croit avoir trouvé au moins la preuve que la Russie et la Syrie ont menti sur le bombardement, comme on peut voir dans la vidéo https://nyti.ms/2q4rtTC. Par contre on trouve aussi différentes thèses sur une manipulation américaine présumée à propos de l’attaque chimique du 4 avril sur Khan Shaykhun : lire entre autres le blogue du 13 avril du journaliste israélien Uri Avnery et la contre-expertise technique du professeur émérite de M.I.T., Theodore Postol. Match nul, comme en 2013 (les médias font fi du non-résultat de cette enquête)…

[4] Expression horrible reprise par plusieurs journaux, contre laquelle Stéphane Laporte s’est emporté en songeant aux « mères de tous les orphelins » laissés par la dite bombe GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast Bomb (MOAB), déclenchée le 13 avril dernier.

[5] Même si le Canada ne dépense pas pour des bombes nucléaires, rappelons qu’il a procédé à sa plus grosse diminution de l’aide internationale en 2016, sous Trudeau !

ANNEXE

The people of North and South Korea want peace and they want a peace treaty. They do not want their country to be bombed or their Government to bomb others. Having visited both North and South Korea last year and walked with thousands and thousands of Korean women, North and South, I am convinced that peace is possible and what is needed is the political will of all parties to the conflict to dialogue and for negotiations to move from a Korean armistice to a Korean Peace Treaty.

I therefore would like to appeal to President Trump and his Administration not to carry out a military strike on North Korea, but to use the means of dialogue and diplomacy to reach a peace treaty for North Korea. Such peace leadership by President Trump will give hope to the people of Korea and all of humanity.

The people of the world need to know that peace is possible between all the human family and that there are political leaders who have the courage to move from enmity to friendship and from war to peace.

Mairead Maguire, Nobel Peace Laureate

Texte envoyé le 25 avril aux Artistes pour la Paix

PS Ce serait bien qu’elle envoie sa dernière phrase à M. Kim Jung-un, pour qu’il trouve aussi la maturité de renoncer à ses provocations guerrières…