Dans Le Devoir du 12 avril, le professeur Rémi Bachand [1] a publié un article sous le titre Bombardements en Syrie et droit international [2] , dans lequel il estime que les bombardements du 6 avril dernier sont illégaux, si l’on considère le droit international.

Comme simple citoyen, les interventions musclées de l’armée américaine en Syrie suscitent une série de questions : quels sont les intérêts en cause? Qui avait intérêt à mener une attaque sur des civils en utilisant des agents toxiques? Qui avait le plus à gagner (ou à perdre) au plan de la propagande militariste mondiale dans cette histoire? Bachar Al Assad? La Russie? L’Iran? Israël? L’Arabie Saoudite? Les États-Unis et leurs alliés? L’État islamique et autres organisations opposées au gouvernement de Damas? A priori, je ne vois pas très bien ce qu’un gouvernement comme celui de Damas, déjà très discrédité auprès de l’opinion publique mondiale, aurait pu gagner à orchestrer un tel massacre, à moins d’avoir des objectifs militaires précis. Évidemment, vu sous cet angle, le mystère persiste.

Que dire des autres acteurs? À première vue, et ce d’une façon contradictoire et étonnante, les intérêts des États-Unis, ceux de leurs thuriféraires et ceux des opposants au régime de Bassar Al Assad semblent coïncider. Est-ce plausible? Peut-être. Supposons que les opposants au régime de Damas aient réussi à provoquer un tel massacre en s’organisant pour que les avions de Al Assad passent à l’attaque, ils sortent gagnants sur plusieurs fronts. Ce faisant, ils auraient réussi à détourner le regard des Américains vers leur ennemi principal, le gouvernement syrien. Dans un tel scénario, l’indignation de l’opinion publique se retourne contre le régime, l’aigle américain déploie ses ailes et fonce tête baissée sur le gouvernement syrien en utilisant toutes ses forces (renseignements, force militaire, propagande, manipulation de l’information, etc.). La rhétorique américaine et celle de son fan club de pays alignés se met en marche par la propagande et fait d’une pierre deux coups : elle justifie le bombardement pour des raisons soi-disant humanitaires, ce au mépris du droit international, et du même coup déclare l’arrêt de mort de Bachar Al Assad et discrédite la Russie. Une telle position s’inscrit très bien dans l’esprit et la lettre de la guerre idéologique que l’OTAN, les États-Unis en tête, cherche à imposer à l’égard de la Russie. Le gouvernement de Poutine se retrouve de plus en plus au ban des accusés et on le décrit comme une « menace à la sécurité » de l’Europe et des États-Unis. En bout de piste, les grands gagnants à cette loterie de la géopolitique, ce n’est sûrement pas le peuple syrien que l’on dit vouloir libérer… D’une part, il semble plutôt que ce sont l’EI et les autres organisations militarisées de la même mouvance qui s’en sortent blanchies et moins menacées par les forces occidentales; d’autre part, au risque de me répéter, les États-Unis et leurs alliés semblent réussir à convaincre l’opinion publique mondiale que l’intervention militaire tout azimuts et l’élimination de Bassar Al Assad s’avèrent les seules pistes de solution valables. À titre d’exemple, le président français François Hollande, soutien indéfectible de la doctrine de Trump, tient le même discours [3].

À cette situation complexe et déroutante en Syrie, s’ajoute un évènement crucial survenu le 13 avril quand les Américains ont largué la méga-bombe GBU-43 dite « la mère de toutes les bombes » non-nucléaires sur l’Afghanistan [4] . Est-ce à dire que l’Amérique du président Trump est en train de montrer ses gros bras, de jouer au comboy et d’ajouter à l’horreur guerrière au nom de SA sécurité? Le message du gouvernement Trump semble devenir clair : il va agir plus souvent et plus fortement avec des interventions militaires au nom des intérêts américains, ce au mépris des institutions internationales, du droit international et du droit à la médiation et à la négociation pour régler les conflits.

J’espère me tromper, car, si un tel scénario s’impose, l’avenir ne sera rose que pour les producteurs d’armes et les faucons américains, israéliens, chinois… saoudiens, canadiens et autres. Si le présent est un indice de l’avenir, nous nous retrouverons dans un monde de plus en plus régi par les guerres, et la lutte contre la course aux armements sera reportée aux calendes grecques.

Tout ce grand jeu sur le dos des Syriens et des Syriennes est affligeant et me laisse songeur avec mille questions en tête. De triste mémoire, quoi qu’on dise, depuis les interventions militaires en Irak, en Libye et en Afghanistan, ces pays vivent un chaos indescriptible et ce sont les civils qui en paient le prix par leurs souffrances et leur désarroi.

Enfin, face au délire militariste généralisé, je me désole de voir le premier ministre Trudeau entrer dans le jeu des États-Unis.


[1] Rémi Bachand, professeur de droit international, membre du Centre d’études sur le droit international et la mondialisation

[2] http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/496132/bombardements-americains-en-syrie-et-droit-international

[3] Cheikhoun, Khan. François Hollande : en Syrie, « il faut saisir les fautes de l’adversaire. » Le Monde, 13 avril 2017.

[4] http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/496311/les-etats-unis-larguent-la-mere-de-toutes-les-bombes-sur-uen-cible-du-groupe-ei
MOAB (Massive Ordonnance Air Blast) La mère de toutes les bombes non-nucléaires.