NDLR : La présence d’André Jacob au sein du C.A. des Artistes pour la Paix nous donne à réfléchir constamment. On lira sur le site son article intitulé Travailler à construire la paix relève d’une conscience critique et son magnifique poème Je suis la paix.

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Deux pharisiens sépulcres blanchis ? Archives – La Presse canadienne

Ces dernières semaines, autant au niveau fédéral que provincial, les partis politiques au pouvoir ont tenté de faire des gains à partir du drame de la mosquée de Québec. Hier, ils se montraient vertueux en proposant de lutter contre l’islamophobie. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’opportunisme politique, d’électoralisme à courte vue et de manipulation de l’opinion publique ? Car les deux chefs libéraux semblent oublier que les chartes des droits et libertés existent et qu’elles interdisent toutes formes de discrimination fondées sur des motifs précis comme l’origine ethnique ou nationale, la couleur de la peau, la langue et les croyances religieuses. Il n’y a donc rien de nouveau dans leurs déclarations vertueuses… En outre, en ne parlant tous deux que d’islamophobie, ne contribuent-ils pas indirectement par un effet pervers à maintenir la stigmatisation des musulmans ?

L’anti-Trump ?

Le premier ministre Trudeau fait un écran de fumée en fraternisant avec la courageuse chancelière Merkel qui a accueilli trente fois plus de réfugiés que le Canada et qui risque d’en payer le prix aux prochaines élections agitées par les mouvements d’extrême-droite d’inspiration nazie. Cherche-t-il à cacher qu’au même moment, il visite l’OTAN à Bruxelles et autorise, selon Radio-Canada, son ministre de la Défense à augmenter le budget militaire de milliards de $, à seule fin de répondre favorablement au discours de haine éructé par Donald Trump que son vice-président vient de réconcilier avec l’OTAN ?

Les discussions sur l’islamophobie publiées dans les médias oublient commodément que TOUTES les interventions de l’armée canadienne [1] dans la dernière décennie se sont soldées par la fuite forcée ou la mort de migrants innocents, musulmans pour la plupart. L’arrivée massive des réfugiés dans les pays occidentaux augmente leur rejet qu’on qualifie de raciste des pauvres gens qui eux, doivent supporter le fardeau de partager avec ces immigrants leurs pauvres taudis, alors même que nos dirigeants néo-libéraux coupent les fonds destinés aux logements sociaux.

Quant aux pays d’origine des demandeurs d’asile, surtout les sept à majorités musulmanes ciblés par le décret Trump, ils vivent dans un chaos indescriptible, certains d’entre eux en proie aux factions islamistes appuyées par le Qatar et l’Arabie Saoudite sunnites, riches du pétrole qu’ils vendent au gouvernement canadien allié qui leur vend ses blindés. Des milliers de réfugiés fuient en mer et y périssent. Voilà la conséquence des bombardements de l’OTAN effectués en 2011 en Libye commandés par le général canadien Charles Bouchard [2]. Et ce dernier, maintenant à l’emploi de Lockheed Martin, se félicite de voir la possibilité lucrative de commandes de F-35 augmenter, suite au rapprochement Trump-Trudeau…

MOINS d’hypocrisie, SVP, monsieur Trudeau ! Comment pouvez-vous multiplier les bombardiers et former, dans la haine des terroristes musulmans, davantage de soldats et de cadets (Alexandre Bissonnette, le tueur de Québec, en était un), pour ensuite vous laver les mains des amalgames, dans une ville militarisée comme Québec, soumise au lavage de cerveau des radios-poubelles racistes et jamais exposée aux discours de paix de notre pauvre groupe sans budget ?

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Mélanie Joly et Isqra Khalid s’unissent contre l’islamophobie (décembre 2016)

M. Trudeau, nous voulons MOINS d’obus islamophobes pas mal plus dangereux que les mots racistes que vous cherchez à interdire par la motion M-103 de votre députée Iqra Khalid (que nous appuyons néanmoins). Quelle ironie et quel exemple de double standard, de voir certains Conservateurs s’y opposer ! N’est-ce pas une preuve irréfutable de leur islamophobie, alors qu’il y a un an ils faisaient adopter une motion hypocrite contre le pauvre mouvement palestinien BDS qu’ils accusaient en bloc d’antisémitisme ? Dans nos arguments [3] contre leur motion l’an dernier, hélas appuyée par les Libéraux, on trouvait dans le discours pacifique de nos amis palestiniens leurs vœux d’une « résolution pacifique du conflit israélo-palestinien sur la base des deux États, vision portée et soutenue par l’ensemble de la communauté internationale ». Or, cette semaine, la jonction Trump-Netanyahou vient de mettre à mal cette vision de paix largement partagée par l’immense majorité des pays de l’ONU, sans qu’on entende trop de protestations de la part de nos deux chefs libéraux. On aimerait les voir plus conséquents dans leur lutte à l’islamophobie.

Le pro-religieux ?

Le premier ministre Couillard se montre intransigeant dans sa « promotion » du port de signes religieux vestimentaires par des personnes qui représentent l’État. L’État ne doit-il pas plutôt promouvoir la neutralité religieuse et la laïcité ? Si l’État permet l’acceptation d’une croyance, peu importe laquelle, dans une fonction représentative de l’État, ne va-t-il pas contre le principe de neutralité? Suite à une entrevue parue dans Le Devoir (24 mai 2011), Christian Rioux rapportait les propos du philosophe Henri Peña-Ruiz, un expert sur les enjeux de la laïcité : « Tout fonctionnaire a une exigence de neutralité. En situation de représentation de l’État, il doit la respecter, même si en tant qu’être individuel et singulier, il a des convictions particulières. »

En ce sens, le premier ministre et ses béni-oui-oui (dont monsieur Charles Taylor) ne brimeraient et ne discrimineraient personne en interdisant plutôt le port de signes religieux. La discrimination ne se produit que lorsqu’il y a exclusion pour un motif particulier, pas quand il n’y a de passe-droit pour personne [4].

Un tel enjeu ne concerne pas seulement les musulmans, mais tous les citoyens et toutes les citoyennes dans l’exercice de la citoyenneté, comme on l’a souligné dans notre introduction. Or, le chef libéral profite de la conjoncture actuelle d’une manière opportuniste, n’étant pas sans savoir qu’une minorité de gens reste sensible au port de signes religieux. Il se pose alors comme un preux chevalier défenseur de leur position et, par extension, de tous les religieux. En bout de piste, cela signifie l’engrangement de votes supplémentaires. En un mot, il fait d’une pierre deux coups. D’un côté, il tente de faire mal paraître les partis de l’opposition en laissant entendre qu’ils font la promotion de l’intolérance et de l’exclusion sociale et de l’autre, il fait plaisir à sa base électorale et veut gagner sur tous les tableaux.

Une occasion exceptionnelle de paix sociale s’envole (Gérard Bouchard)

À cet arsenal de vertus, le PLQ ajoute qu’il croit de son devoir de faciliter l’intégration des immigrants et des immigrantes. Fort bien, mais depuis le dépôt du rapport Bouchard-Taylor il y a huit ans, le Parti libéral du Québec au pouvoir pendant 2616 jours (selon Patrick Lagacé) s’est évertué non seulement à ne pas agir, mais au contraire à couper, en raison du mot d’ordre d’austérité, les budgets de francisation et de ressources aux organismes communautaires et aux rares organismes qui prônent les rapprochements interculturels ou programmes d’action sérieux d’éducation populaire qui sensibilisent les gens aux conséquences néfastes du racisme et des discriminations. On a laissé pourrir le dossier de la reconnaissance des diplômes et des expériences professionnelles.

Cet opportunisme est désolant. On se souvient de la Commission Bouchard-Taylor lancée il y a dix ans avec un blâme de la part des Artistes pour la Paix contre Jean Charest pour ne pas avoir choisi une femme immigrante (comme madame Perfecta, la femme de ménage espagnole du roman d’Antonine Maillet !), plus à même de saisir les enjeux avec compassion et de dénoncer tous les fanatismes d’exclusion qui briment souvent en premier lieu les femmes.

Selon Lisa-Marie Gervais (Le Devoir, 17 février), M. Gérard Bouchard se dit aujourd’hui « triste » de voir s’envoler toute chance de réconciliation des Québécois qui, affirme-t-il, sont « tannés. On est ramenés à la case départ. Et je ne vois pas quand les astres vont se réaligner, dit-il. C’était quand même exceptionnel que trois partis sur quatre mettent de l’eau dans leur vin pour s’entendre. Il me paraît évident que la responsabilité de l’échec du consensus appartient à M. Couillard. Il a adopté une position extrêmement rigide au nom des principes de la liberté individuelle alors qu’en droit, il y a des conceptions de la liberté individuelle qui amènent à certaines limites qu’on peut concilier avec des principes collectifs, explique M. Bouchard.

M. Couillard n’a pas le monopole des principes ou de la morale publique. Le débat va reprendre et il va ressembler à celui qu’on a depuis les quinze dernières années, qui est très émotif. Il se prêtera à des dérapages et sans aucun doute en arrivera à blesser des membres des communautés religieuses ».

Mohamed Lotfi commente l’opinion de Charles Taylor [5]

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Mohamed Lotfi et Charles Taylor

« Pourquoi la parole publique d’un seul homme, aussi philosophe soit-il, serait-elle plus importante, plus déterminante que celles des élus de l’opposition qui représentent des millions de personnes ? Pourquoi le premier ministre du Québec serait-il soudain prêt à suivre la voie d’un seul homme, aussi lauréat du prix Tempelton soit-il, au mépris d’un consensus démocratique qui commence à se pointer à l’horizon? Pourquoi en invitant le philosophe, dit national, pour expliquer sa volte-face, nos grands médias n’ont pas invité un autre philosophe pour débattre avec lui ? Je ne suis pas philosophe, mais j’ai plus de questions sur le vivre ensemble que Charles Taylor n’a de réponses !

Par exemple, sur les interdictions, quelle société peut s’en passer pour assurer un vivre ensemble ? La paix sociale peut-elle se passer de lois coercitives ?

Puisque Charles Taylor prétend, par sa nouvelle position, vouloir protéger les musulmans du Québec de la stigmatisation et de l’amalgame, lui arrive-t-il de penser que c’est en les infantilisant et en les considérant comme un groupe homogène sans diversité et sans singularités qu’ils font déjà l’objet d’amalgame et de stigmatisation ? Comment lui rappeler que les adeptes d’une religion ne portent pas tous des signes religieux ? À l’entendre, on croirait que les femmes musulmanes d’ici et d’ailleurs sont toutes voilées.

Dernière question: est-ce le rôle d’un philosophe de faire d’un moment de vulnérabilité collective une occasion pour asseoir une politique à très courte vue ? Est-ce sa vocation de participer à une extraordinaire instrumentalisation politique ? En tant que citoyen, je me passe volontiers de la réflexion d’un philosophe aussi aliéné politiquement.

La laïcité, telle que les anciens l’ont conçu, est un outil de liberté et un principe fondamental de démocratie. Mais pour se réaliser correctement, la laïcité au Québec n’est pas obligée de passer par les peurs, les replis et les crispations identitaires. Encore moins par le multiculturalisme de Monsieur Taylor qui attise le communautarisme. La laïcité est prise en otage par ces deux visions. Opposées en apparence, ironiquement, les deux approches ont une seule obsession, l’immigrant musulman. Quand l’une le rejette, l’autre l’infantilise. Aucune des deux n’a la décence de lui restituer sa dignité de citoyen. »

En guise de conclusion

Messieurs Couillard et Trudeau risquent donc de laisser un héritage qui ne fera qu’envenimer le climat social, le premier par électoralisme, le second par crainte d’indisposer le voisin américain, les deux par souci égoïste de préserver leur pouvoir. Et leur inaction dans la prévention du racisme par l’éducation populaire et la sensibilisation par l’art de l’inclusion [6] entraînera beaucoup de souffrances à court, moyen et long terme pour la paix sociale.

Notre intérêt premier étant la paix, toutes modifications de comportement par nos premiers ministres trouveraient immédiatement de notre part un esprit de collaboration, comme nous l’avions démontré au lendemain du 29 janvier [7].


[1] La vague de suicides et d’agressions sexuelles dans notre armée dit bien le désarroi de ses conscrits

[2] Lire notre mémoire à la Défense sur http://www.artistespourlapaix.org/?p=11183 pages 16 et 17.

[3] Évoqués dans notre lettre du 20 février 2016 à M. Trudeau http://www.artistespourlapaix.org/?p=9947

[4] Ce qui n’implique évidemment pas une interdiction fanatique de voiles ou de turbans! Dans La Presse du 18 février, Patrick Lagacé cite, en exemple d’accommodements raisonnables dont on ne veut plus, le règlement raisonnable suivant : [Un intégriste] veut qu’un homme supervise son examen de conduite à la SAAQ ? On n’a qu’à lui dire ceci : « Prenez un autre numéro, monsieur, et retournez dans la salle d’attente : vous allez finir par tomber sur un homme. » Il n’y a pas lieu d’en faire une affaire d’état.

[5] D’origine marocaine, le héros des Souverains anonymes devrait être invité plus souvent à débattre d’inclusion, car il s’exprime toujours avec clarté : https://voir.ca/mohammed-lotfi/2017/02/16/cest-toujours-un-debut-continuons-le-debat/

[6]  3e article sur l’exposition du 10 décembre au Musée des Beaux-Arts de Montréal par neuf jeunes femmes musulmanes grâce à la Fondation Michaelle-Jean.

[7]  Intitulé l’horreur de l’exclusion, article auquel a succédé Messieurs les premiers ministres, place aux femmes musulmanes.