Pierre Jasmin, Judi Richards, Guylaine Maroist, Samian, Michel Rivard, le maire Denis Coderre et Dimitrios "Jim" Beis. Photo Denis Labine, Ville de Montréal

Pierre Jasmin, Judi Richards, Guylaine Maroist, Samian, Michel Rivard, le maire Denis Coderre et Dimitrios « Jim » Beis. Photo Denis Labine, Ville de Montréal

Vendredi dernier 26 août, le projet Énergie-Est était vanté par des associations d’hommes d’affaires de la Fédération des Chambres du commerce du Québec, du Conseil du Patronat et leur presque unique allié syndical, la FTQ-Construction, encore puissante malgré ses rangs décimés suite au nettoyage consécutif à l’affaire Tony Accurso. Et pourtant, les dollars à y faire pour le Québec ne représentent que des miettes, alors qu’on parle de dizaines de milliards de $ de dommages potentiels : on est donc porté à croire que des dollars de l’extérieur du Québec font partie de l’équation, ceux de l’Alberta et de la Saskatchewan, et peut-être même des intérêts puissants liés à l’armée américaine ; ses quatre composantes de loin les plus grosses consommatrices de pétrole au monde (jeeps et motos de l’armée de terre, tanks de la division blindée, porte-avions, sous-marins et destroyers de la Navy et enfin, avions de chasse, bombardiers, avions-ravitailleurs et hélicoptères) aimeraient bien compter sur leur allié canadien pour se voir fournir une nouvelle source d’approvisionnement sur la côte Est pour leurs expéditions de rapines au Moyen-Orient.

Raison de plus pour mettre les bâtons dans les roues de ce monde sans âme, prêt à empoisonner nos cours d’eau pour faire une piasse. D’ailleurs, la FTQ en son ensemble rejette Énergie-Est, y dénonçant le manque d’acceptabilité sociale.

Le terme est faible. Un mémoire écrit au printemps 2015 par Isabelle Miron et Marie Saint-Arnaud dénonçait les manques tant sur le plan environnemental, que sur les plans social et humain, et même sur le plan de la géopolitique mondiale. Les professeurs Derek Paul et Pierre Jasmin ont renchéri avec une deuxième soumission au BAPE. Le tout à consulter sur http://www.artistespourlapaix.org/?p=10397.

L’inspiration nous était d’abord venue des mots fervents de l’Élan global en avril 2015 : http://www.artistespourlapaix.org/?p=7056 . Ce dernier manifeste a fertilisé Naomi Klein et d’autres merveilleux amis du Canada anglais qui ont adopté avec nous le Grand Bond en avant, dont les quinze demandes ont été endossées par l’exécutif des Artistes pour la Paix en entier : voir sur https://leapmanifesto.org/fr/signez-le-manifeste/

Rappelons son tout premier article, alors antérieur à la signature du Canada :

  1. Le Grand Bond doit tout d’abord respecter les droits et le titre inhérents des premiers gardiens de ce territoire, en commençant par une mise en œuvre exhaustive de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Rendons hommage encore une fois à l’extraordinaire vitalité des Premières Nations qui sont à l’avant-garde de la protection de notre Mère la Terre. Elles ont bloqué en Colombie-Britannique un pipeline pourtant voulu par les Chinois, les plus riches investisseurs/exploiteurs des sables bitumineux. Soyons donc inquiets face à la visite imminente du premier ministre Trudeau en ce pays, en prévoyant que des pressions énormes s’exerceront en vue de faire creuser malgré tout ce pipeline et de l’imposer, avec le prétexte commode que des centrales chinoises au charbon fermeraient et élimineraient ainsi du CO2. Non ! La Chine a bien entrepris la révolution de l’énergie solaire, qui revient de moins en moins chère : là est la solution, pas dans des énergies sales de sources extractives.

Selon Alexandre Shields (Le Devoir, 17 mars 2016), le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), organisation regroupant 43 communautés autochtones, Ghislain Picard, est catégorique :

« Les Premières Nations sont les plus touchées par les changements climatiques qui bouleversent nos modes de vie fondés sur des pratiques, des coutumes et des valeurs millénaires. (…) Au-delà de la protection du territoire et des activités ancestrales qui en dépendent directement », Ghislain Picard a souligné que « plusieurs communautés vivent de pêches commerciales qui sont tributaires de la bonne santé du Saint-Laurent ».

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De g. à dr. : Pierre Jasmin, le chef Ghislain Picard, Vero Allaire et Samian à la mairie.

La fondation que Gabriel Nadeau-Dubois a financée avec l’argent d’un prix littéraire reçu pour Coule pas chez nous !, Éric Pineault, auteur du livre Le piège Énergie Est (Écosociété) et plus de 80 groupes écologistes et citoyens, élus et représentant.e.s des Premières Nations, opposent donc dans une déclaration commune un non ferme et sans compromis au projet de pipeline de TransCanada. « Énergie Est est un piège écologique, économique et social qui veut nous enfermer pour plusieurs décennies dans la dépendance à une croissance dopée au pétrole », a déclaré Éric Pineault, professeur en sociologie à l’UQAM.

Rappelons en effet que la COP 21 à Paris en décembre dernier a identifié l’exploitation pétrolière des sables bitumineux comme la source de la pire pollution provoquant le réchauffement climatique.

Hélas, le projet de loi 106 du ministre Arcand dans le gouvernement Couillard, s’il débute bien en recommandant la création d’un organisme justement chargé de mettre en œuvre la transition énergétique du Québec vers 2030, s’alourdit d’une deuxième partie qui semble s’ingénier à émettre d’aberrantes exceptions aux bonnes intentions de la première partie : Michel Lacombe, en son émission du samedi 27 août à Radio-Canada, a comparé ce procédé aux infâmes lois omnibus du gouvernement Harper.

Car dans cette deuxième partie qui prétend régir les hydrocarbures (les pétrolières hypocritement vertueuses l’ont immédiatement appuyée, en affirmant être les seules industries au Québec qui réclament des règles !!), on constate entre autres que leur seraient accordés des droits d’expropriation des propriétés privées (vos maisons !), si une exploitation s’avérait rentable, ainsi que des permis accordés aux fracturations dangereuses (elles provoquent des secousses sismiques dans l’ouest) exercées par les compagnies gazières.

TransCanada aurait aussi le droit d’invoquer le « fameux chapitre 11 » de l’ALENA qui stipule qu’un investisseur (ici TransCanada) peut poursuivre un État s’il juge que ses droits économiques ont été violés et que ce faisant, il perd des profits potentiels. Bref, si le gouvernement prend une décision qui nuit à la stratégie d’affaire d’une entreprise, celle-ci peut poursuivre le gouvernement.

Christian Morin, webmestre des APLP, écrit :

Trans Canada pensait avoir trouvé l’approche imparable pour faire passer le projet Énergie Est devant l’ONE en louant les services de l’ex-premier ministre Jean Charest comme lobbyiste en 2015.

Mais cette stratégie n’aura servi qu’à démontrer à quel point l’entreprise s’est moquée jusqu’à présent de l’opinion des citoyens. Elle essaie depuis peu de redorer son image, grâce à une campagne sur le Web : une série de petites publicités diffusées sur les sites d’information vous invitera à visiter la page de la campagne « Des milliers de Canadiens ont donné leur appui, le ferez-vous ? ».  On vous incitera à devenir membre de quelque chose qui ressemble vaguement à un mouvement citoyen appelé Réseau d’action Énergie Est.

Il est difficile de croire qu’un ex-premier ministre libéral n’aurait plus aucun lien avec un gouvernement du même parti. On peut conclure que Trans Canada a essayé de contourner les élus montréalais, ce dont M. Coderre n’est pas dupe.

Denis Coderre

Photo Jacques Dupont

Le maire Denis Coderre, de qui on peut dire « qu’il sait comment ça marche », a trouvé que le jeu du lobbying est allé un peu trop loin. Dans un langage somme toute assez diplomatique (on l’a connu plus virulent), il a remis en doute les règles du jeu fixées par l’ONE. Il est clair qu’Énergie Est ne passera pas par la région de Montréal, c’est la substance du mémoire que M. Coderre devrait présenter lundi 29 août au nom de la Communauté métropolitaine de Montréal groupant 82 municipalités. Nous ne pouvons que l’encourager à poursuivre son opposition, car sa démarche aura fait prendre conscience à l’ONÉ de l’importance de sauvegarder au moins une apparence de transparence. Maintenant plus personne ne croit que l’Office sera impartial, pas plus qu’on ne croit à un quelconque pouvoir d’influence de M. Charest, dont les manœuvres auprès de deux des commissaires ont été dévoilées.

Si M. Coderre a réussi à désamorcer la tactique de contournement de Trans Canada grâce à son savoir-faire politique, le silence de Trudeau et de son ministre des Ressources Jim Carr est plus inquiétant, en ne rappelant pas à l’ordre cette pseudo-consultation. D’autant plus que Trans Canada n’a même pas assuré la traduction française intégrale des   documents, y compris la cruciale production de données concernant la traversée périlleuse de l’Outaouais.

Huit maires régionaux se sont présentés à la télévision vendredi pour dénoncer le projet Énergie-Est, principalement des maires échaudés par les pratiques honteuses pétrolières comme ceux de Sorel-Tracy et de Ristigouche Sud-Est. Le coloré maire de Port-Menier met son espoir dans une acceptation par l’UNESCO de l’île d’Anticosti comme joyau écologique de la planète : l’appuierait le très beau film de Dominic Champagne APLP2011 qui y dénonce le charlatanisme des exploitants subventionnés.

Mais tous les maires n’ont pas l’intégrité de ces 90 maires. Dans un article signé Paule Vermot-Desroches (Nouvelliste, 2016-08-21), le scientifique Marc Brullemans, porte-parole du Comité Vigilance Hydrocarbures, dénonce avec raison «l’absence de prise de position de la Ville de Trois-Rivières» sur le Projet de loi 106. Robert Duchesne écrit : « Yves Lévesque accusait dans le Nouvelliste du 26 janvier les opposants à Énergie Est d’être des citoyens «irréfléchis». Un collectif d’environ 170 scientifiques, des organisations comme Les Artistes pour la Paix, déjà une centaine de municipalités s’y opposent, ainsi que des milliers de citoyens (manifestations et pétitions). Crétins «irréfléchis»! Énergie Est ferait augmenter drastiquement l’exploitation des sables bitumineux, l’une des principales causes de GES au monde; un collectif de 110 scientifiques nord-américains et des prix Nobel en tous genres s’y opposent. Idiots «irréfléchis! ».

Enfin, le troubadour écologiste Jici Lauzon qui avait rejoint les Artistes pour la Paix à la Place des Arts dans notre action commune avec les Mohawks traditionnalistes contre la menace nucléaire nous propose sa version imagée de son opposition au pipeline par une chanson intitulée https://jicilauzon.bandcamp.com/track/faites-moi-une-pipeline. À ÉCOUTER PLUSIEURS FOIS ET À DISTRIBUER !

lauzon-jasmin-2011

Jici Lauzon et Pierre Jasmin anti-nucléaires à la Place des Arts le 26 avril 2011