Co-auteurs : Guy Demers et Odile Tremblay, résumant les réactions.

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La Palme d’or

« Bonjour les amis,

Y a-t-il une beauté – voire une esthétique – de la vérité quand il s’agit de justice ! Je ne suis pas le seul à le croire et elle vaut son pesant d’or.

Bravo au Festival du cinéma de Cannes pour mettre le cinéaste anglais Ken Loach à l’honneur encore une fois, en lui décernant la Palme d’or 2016 pour son dernier film – à 80 ans : Moi, Daniel Blake.

Il faudrait pouvoir montrer ce nouveau film de Ken Loach en commission parlementaire, à Québec comme à Ottawa et partout où c’est démocratiquement possible. Ce serait un beau voyage de l’œil, du cœur et de l’esprit pour tous ceux et celles qui ont la charge de la justice et du bien commun dans nos sociétés.

C’est à voir, avec le dernier film de Michael Moore, L’invasion américaine – un documentaire qui vaut bien son drapeau d’or lui aussi, pour son dernier tour du monde.»

Guy Demers, nouveau membre chez les Artistes pour la Paix, 22/05/2016

Merci à Guy pour son appréciation enthousiaste à raison : nous ne reviendrons pas sur le film de Michael Moore sur lequel nous avons écrit déjà tant de compliments (voir cet article).

Le cinéaste Ken Loach a pour devise « IL FAUT CRÉER DU DÉSORDRE DANS LES IDÉES DOMINANTES». Sa vision politico-artistique de relier puissance d’engagement et esthétique de la résistance est servie par son histoire d’un prolétaire, terrassé par un accident cardiaque sur un chantier, qui se heurte au labyrinthe des conditions sociales d’invalidité ou de chômage énumérées par des fonctionnaires robotisés et inconscients que l’une exclut l’autre, laissant le pauvre homme tomber entre les craques du système. Cette histoire déshumanisante, certes, mais humanisée par la présence aux côtés du héros d’une mère célibataire avec ses deux petits qui voient en Daniel Blake un grand-père idéal a su convaincre le solide jury de neuf artistes. On dit héros parce que l’acteur Dave Jones incarne un être humain prêt à défendre les droits de ses camarades comme les siens propres.

Le Grand Prix

Remis pour notre plus grande joie à Xavier Dolan pour son film Juste la fin du monde.

Un critique français, Vincent Manilève, se croit autorisé à écrire : «Des huées et des grognements dans la salle de presse et dans le Palais après le Grand Prix accordé à Xavier Dolan. Pire, le jury a même été hué en arrivant au Palais des Festivals, puis en entrant dans la salle de presse après la cérémonie.»

Heureusement, on peut compter sur Odile Tremblay (Le Devoir) pour avoir donné l’heure juste, le 21 mai, avant les résultats.

« Depuis la projection de presse de la veille, Xavier Dolan sera passé, comme il le dit lui-même en riant du cliché, par « des montagnes russes ». Médias divisés, certains couacs agressifs, des louanges aussi. Les fleurs, le pot, tout ce qu’on voudra, avant de redevenir sur le tapis rouge et au gala le roi du bal ovationné.

« Ce film n’est pas “ Le retour de la Mommy ”. J’ai exploré ailleurs », proclame le jeune cinéaste. Et de foudroyer la culture de la détestation critique à Cannes. « Un film sur deux y est hué. Les réseaux sociaux réfléchissent en 144 caractères. Pour Juste la fin du monde, ce sont surtout les Américains qui n’ont pas aimé. Les États-Unis sont d’ailleurs le seul pays aussi où mon film n’est pas distribué. »

En conférence de presse, Xavier Dolan avait déjà secoué sa chape d’inquiétude : « Peut-être qu’il faut un peu de temps pour que le film se pose dans la vie et pour que les gens ne le regardent pas simplement, mais l’entendent aussi. C’est un film dont je suis très fier, qui est, selon moi, mon meilleur. C’est toujours comme ça qu’il faut penser. Sinon, comment avancer et chercher à s’améliorer si l’on n’a pas la conviction des choses qu’on aime et dans lesquelles on investit toute son énergie et tout son amour ? » (…)

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Le jeune réalisateur, très ému. Photo Huffington.fr

À 27 ans, il accompagne son cinquième film à Cannes (son sixième en carrière), avec Prix du jury pour Mommy, en plus d’une présence au jury ici l’an dernier. Le voici vétéran à qui on ne fait pas de cadeau. Rien pour lui retirer sa conviction intime : « Juste la fin du monde est mon premier film d’homme. Il y a en a de plus bouleversants, mais c’est mon plus entier. » Rappelons que Juste la fin du monde constitue une adaptation de la pièce autobiographique du Français Jean-Luc Lagarce, mort du sida quelques années après l’avoir écrite. On y suit le retour d’un dramaturge malade (Ulliel) dans sa famille après 12 ans d’absence pour annoncer son futur décès, mais qui, après avoir essuyé l’orage des frustrations de tous, ne révèle rien in fine.

Ses gros plans, ses jeux d’ombre et lumière sur les émotions à capter font sa fierté, les performances de ces grands acteurs aussi. Gaspard Ulliel, qui tient le rôle principal quasi mutique, ne s’étonne de rien de son côté : «Il y avait tellement d’attention sur ce film. Ça ne pouvait que déranger. C’est une œuvre exigeante aussi. » (…) « L’essentiel du film se passe dans ce qui n’est pas dit », précise Léa Seydoux. (…) Marion Cotillard considérait le cinéaste comme un sixième interprète à leurs côtés. « Il donne tout aux acteurs, alors on a envie de tout lui donner. Nous étions un seul corps à plusieurs têtes. » Nathalie Baye : « J’ai travaillé avec des réalisateurs particuliers : Spielberg, Truffaut, Godard. Xavier est éblouissant. Sa direction est très animale, très concrète. Il n’intellectualise jamais. Il fait partie des trois, quatre plus grands cinéastes que j’ai rencontrés. » «Je n’ai jamais rencontré de cinéaste plus interventionniste, tranche Gaspard Ulliel. Au début c’est déroutant, mais on s’y fait très vite. » Vincent Cassel a vu pourtant dans l’expérience une forme d’envol : « On a un texte. Il tourne des kilomètres de pellicule. Sur le papier, tout est très cadré, mais sur le plateau, existe une liberté. »

Xavier Dolan, qui commence à tourner après Cannes son premier film en anglais, The Death and Life of John F. Donovan, se sent attiré vers d’autres univers encore inexplorés, moins intimistes. « Je me décolle de moi », affirme le cinéaste, qui aligne les projets de deux séries de télé, dont l’un aux États-Unis sur un scénario de Jacob Tierney. « J’ai envie d’aller aussi vers des films de genre, de jouer comme acteur. C’est la fin d’un cycle. »

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Xavier Dolan arborant le carré rouge, à Cannes en 2012.