Avec Simon Tisdall (The Guardian)

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Janvier : Joe Biden, États-Unis

2021 commencera sur une note positive avec l’assermentation de Joe Biden comme 47e président des États-Unis. Il a promis de réintégrer l’Accord de Paris et l’OMS. Il devrait implanter un grand programme de relance économique et réinstaurer un climat de coopération avec ses alliés européens et asiatiques. Son programme « alliance des démocraties » laisse présager un certain multilatéralisme, et on peut espérer la prolongation du traité New START.

Biden semble vouloir poursuivre des relations tendues avec la Chine tout en évitant une confrontation directe. Les relations avec les régimes autoritaires comme l’Arabie saoudite devraient se tiédir, et les nouveaux accords commerciaux, tel que celui recherché par le Royaume-Uni, devront attendre une reprise de l’économie américaine. On sait déjà que tout n’est pas rose entre ces deux gouvernements : un contentieux sur le développement de nouvelles ogives nucléaires empoisonne les relations diplomatiques, le Congrès américain accusant le Parlement britannique d’ingérence.

Le président pourra-t-il appliquer son programme ? Cela va dépendre en grande partie du résultat des deux élections sénatoriales en Géorgie. Les Démocrates pourraient, en remportant ces deux sièges, obtenir le contrôle du Sénat, assurant Joe Biden de la collaboration entière du Congrès. Il restera à Biden la tâche de restaurer la confiance de l’électorat pendant que Trump continuera de faire de l’obstruction – s’il n’échoue pas en prison. Il devra aussi négocier avec l’aile gauche de son parti, qui lui reproche déjà son centrisme, et une Cour suprême conservatrice. Sans doute faut-il se résoudre à une certaine patience en attendant les changements politiques majeurs.

Février : Recep Tayyip Erdoğan, Turquie

Le président turc, qui aura 67 ans en février, représente l’archétype de « l’homme fort », depuis la fondation du parti Justice et Développement il y a 20 ans. Erdoğan pratique une politique extérieure nationalo-patriotique agressive destinée à distraire la population des problèmes domestiques. Cette année verra une recrudescence de la violence contre les Kurdes en Syrie et de l’implication de la Turquie en Libye, dans les Balkans et dans le Caucase. Le départ de Trump pourrait pousser Erdoğan à adoucir ses relations avec l’Union européenne, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

L’autoritarisme se porte bien : le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman va bientôt succéder au roi Salman, mais personne ne croit plus à la fable d’une démocratisation du pays – au moins, le prince n’essaie pas de se faire passer pour un démocrate. Le président égyptien Abdel Fatah al-Sisi continue de faire des siennes, tout comme Rodrigo Duterte aux Philippines. Cependant, aucun d’eux ne l’aura facile en 2021, alors que l’actualité sera davantage mobilisée par les forces réformistes pro-démocratie au Pérou, en Thailande, au Bélarus et à Hong Kong.

En Inde, Narendra Modi s’est fait élire par une majorité populiste, mais il devra affronter une forte opposition. En résumé, le succès des autocrates Erdoğan, bin Salman, al-Sisi, Duterte et Modi est dû en partie à l’indifférence des pays démocratiques, et à leur complicité issue de la realpolitik. Rien ne laisse croire que cette attitude changera cette année.

Mars : Bachar al-Assad, Syrie

La guerre civile en Syrie aura 10 ans en mars. Les villes sont détruites, les populations tuées ou déplacées en masse mais le dictateur Bachar al-Assad survit. Les appels à le poursuivre pour crimes de guerre s’accentueront en 2021, mais il pourra toujours compter sur la Russie et l’Iran pour prendre sa défense.

Cette année marque aussi le 20e anniversaire de la guerre en Afghanistan. Joe Biden veut s’en retirer mais ne le fera que si un accord de paix durable et viable est négocié, ce qui prendra encore un certain temps. Les Talibans veulent une victoire décisive, peu probable. Le Pakistan tentera d’influencer l’issue du conflit à son avantage, mais son propre conflit avec l’Inde l’occupera à plein temps.

Dans les autres zones de conflit, ce sera l’année de tous les dangers. On souhaite que la guerre sans fin en Libye trouve une issue à la suite du cessez-le-feu négocié l’automne dernier, ce qui pourrait mener à des élections cette année. Le conflit au Yémen pourrait s’atténuer si Biden, comme promis, force les Saoudiens à s’en retirer. Et pendant ce temps en Éthiopie, on entame une bataille futile à Tigray.

Avril : Emmanuel Macron, France

En avril 2022, Macron fera face aux électeurs. Il sera jugé comme champion de la laïcité républicaine sur sa gestion du « séparatisme » islamique. Certains diront que son insistance à appliquer les principes égalitaires ont aiguillonné le djihadisme. Cependant, selon le Global Terrorism Index, la fréquence des attaques islamistes a diminué en 2020 et la tendance devrait se poursuivre en 2021. La violence islamiste a également diminué en Syrie, en Iraq et dans le monde arabe. Les cibles de choix pour cette année seront surtout en Afrique sub-saharienne : Mozambique, Mali, Niger, Cameroun, Burkina Faso et le nord du Nigeria, territoire du Boko Haram.

En Europe et aux États-Unis, le suprémacisme blanc a supplanté le djihadisme comme menace principale. La situation pandémique ne peut qu’exacerber des crises créées par le discours populiste, les injustices sociales, les carences en éducation et les tensions raciales.

Mai : Nicola Sturgeon, Écosse

La Grande-Bretagne doit résoudre ce triple problème : maîtriser la pandémie tout en ressuscitant une économie moribonde; gérer le chaos post-Brexit; éviter une crise constitutionnelle qui ferait éclater le Royaume-Uni. La première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon, jouera un rôle dans chacun de ces dossiers, mais surtout sur ce dernier sujet. Son parti, le NSP, mène le bal dans la course à l’indépendance. Les prochaines élections auront lieu en mai, et si le NSP l’emporte comme prévu, un second référendum serait possible même si Boris Johnson clame le contraire.

Mme Sturgeon est très populaire, surtout quand elle pense débarrasser l’Écosse des coûteux sous-marins nucléaires, mais plusieurs pensent que la santé post-Covid et l’économie post-Brexit sont des sujets plus pressants que l’indépendance de l’Écosse. De son côté, Boris Johnson devra gérer une première année hors de l’Union européenne, situation à laquelle le pays semble de moins en moins bien préparé.

Juin : Hassan Rouhani, Iran

Les élections présidentielles en Iran le 18 juin marqueront un tournant au Moyen-Orient. Le président sortant Hassan Rouhani ne peut se représenter. Il n’a pas pu instaurer les réformes attendues et a présidé un épisode de répression intérieure doublé d’une récession, Covid et sanctions U.S. obligent.

L’approche de Rouhani, pragmatique et modérée, relativement ouverte au dialogue avec l’Occident, est attaquée par l’aile radicale conservatrice et les chefs militaires. Le candidat présidentiel des conservateurs n’est pas encore désigné, mais on pense tout de suite au conseiller du leader suprême Ali Khamenei et commandant des Gardiens de la Révolution, Hossein Dehgan.

On craint que le conflit qui oppose par procuration l’Iran et Israël au Liban ne s’aggrave si les conservateurs prennent le pouvoir. De l’autre côté, la perspective d’une levée des sanctions américaines par Joe Biden par la restauration du traité JCPoA joue en faveur de l’aile modérée.

Juillet : Xi Jinping, Chine

Juillet marquera le 100e anniversaire de la fondation du PCC par, entre autres, Mao Zedong. Le président Xi Jinping dispose aujourd’hui d’autant, sinon de plus de pouvoirs que Mao à l’époque. Peu importe ce que l’on pense des buts poursuivis par la Chine, les résultats sont les suivants : attaques contre la démocratie à Hong Kong et Taiwan; militarisation en mer de Chine et dans l’Himalaya; droits de la personne bafoués au Tibet et au Xinjiang; compétition stratégique pour les ressources en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud…

Joe Biden dit qu’il veut tempérer les relations Chine-U.S.A. mais il ne pourra lever les sanctions imposées sous Trump que lorsque l’économie américaine sera en meilleure forme, et quand il aura recruté des alliés pour former une coalition.

Août : António Guterres, ONU

Les Jeux olympiques de 2020/2021 auront lieu à Tokyo en août – s’ils ne sont pas de nouveau reportés. De quoi mettre à l’épreuve l’esprit de collaboration internationale qui sera nécessaire lors de la post-pandémie. Les pays riches trouveront des moyens de s’en sortir, mais il revient à M. Guterres et aux agences de l’ONU se s’assurer que le reste du monde s’en tire sans trop de dégâts. Un nombre record de 225 millions de personnes auront besoin d’aide humanitaire en 2021, une augmentation de 40% que l’ONU attribue presqu’entièrement à la Covid. « Le monde doit se tenir aux côtés du peuple en ces heures les plus sombres » dit M. Guterres, en chiffrant l’aide nécessaire à 35 milliards de $.

Les inégalités dans la course au vaccin pourraient venir troubler la mise. L’organisme indépendant People’s Vaccine Alliance estime que les 70 pays aux revenus les plus faibles seront les perdants de cette course. Le Conseil des réfugiés de Norvège prédit que 40 millions de personnes seront victimes de discrimination ou de violation des droits pendant l’immédiate post-pandémie. Riccardo Petrella et l’Agora des Habitants de la Terre réclament des vaccins libres de droits ou brevets pour une diffusion universelle équitable.

Ceci s’ajoute aux problèmes existants qui affectent trois milliards d’humains. comme la rareté de l’eau. De plus, six pays sont menacés par la famine en 2021 : l’Afghanistan, le Yémen, le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, le Nigeria et le Sud-Soudan.

Septembre : Angela Merkel. Allemagne

Les élections de septembre marqueront le départ d’Angela Merkel, chancelière depuis 2005. La lutte électorale mettra en vedette les Verts et la nouvelle droite Alternativ für Deutschland.

Le départ de Merkel sera ressenti dans l’Union européenne, car elle y jouait un rôle de modératrice dans des dossiers comme le budget de l’Union et l’OTAN. Macron et la France préconisent une Europe plus militante et revendicatrice. Le départ de Mme Merkel pourrait raviver les tensions franco-germaniques.

La montée du populisme de droite a connu une accalmie dernièrement mais elle sera un facteur important en 2021, ne fut-ce que dans le débat sur l’immigration, qui est loin d’être réglé. Les gouvernements polonais et hongrois ont montré la route à ne pas suivre en ignorant les normes de Bruxelles en matière de règle de droit et de discrimination. D’autres pourraient être tentés de suivre leur exemple.

Que faire ? La nouvelle administration aux États-Unis sera surtout concentrée sur ses problèmes domestiques; la Russie joue au voisin turbulent; l’Europe devra résoudre des problèmes qui sapent son unité. Devrait-elle se jeter dans une alliance avec les Etats-Unis, essayer de se maintenir entre les USA et la Chine en faisant cavalier seul ? Devra-t-on créer une Europe à deux vitesses ? De grandes questions sur fond de Covid… et de post-Brexit.

Octobre : Vladimir Poutine, Russie

Vladimir Poutine est né le 7 octobre 1952 à St-Petersbourg (alors Leningrad), 35 ans après la Révolution d’Octobre qui enfanta l’Union Soviétique. Cette année marque le 30e anniversaire de l’implosion de l’URSS. L’ex-agent du KGB a été premier ministre et président depuis 1999, tentant, sans succès, de ressusciter l’empire russe. Même si un référendum tordu sur la constitution lui a accordé deux mandats supplémentaires de six ans, Poutine semble plus isolé que jamais, coincé entre la crise de la Covid, la chute des revenus pétroliers et l’agitation croissante des voisins immédiats.

Le soulèvement populaire en Biélorussie ne semble pas vouloir s’éteindre. Le mouvement pro-démocratie et anti-Moscou demeure fort en Ukraine, en Moldavie, en Géorgie et au Kirghizistan. La récente guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a démontré les limites de la puissance russe. Et la Syrie est un cauchemar duquel Poutine ne parvient pas à s’extraire.

Novembre : Jair Bolsanaro, Brésil

La COP26 aura lieu à Glasgow en novembre. Cela ravivera peut-être l’accord de Paris de 2015. « La biodiversité disparaît. Un million d’espèces risquent de s’éteindre. Les écosystèmes disparaissent sous nos yeux » dit Antonio Guterres, en demandant à tous les gouvernements de déclarer l’urgence climatique en 2021.

À l’avant-scène de massacre, on retrouve le président populiste du Brésil, Jair Bolsonaro, portrait vivant du déni des changements climatiques. La déforestation de l’Amazonie atteint des records et va s’accélérer en 2021.

Il y a quelques signes encourageants : la nomination de John Kerry comme responsable du climat aux États-Unis semble signifier leur retour dans les discussions. Joe Biden devra, pour respecter l’accord de Paris, rendre les Etats-Unis carbo-neutres en 2050. La Chine a émis un objectif pour 2060 assorti d’une réduction constante à partir de 2030.

Il sera intéressant de voir comment les politiciens navigueront entre leurs promesses de « rebâtir plus vert » après la pandémie, et les impératifs économiques. Faire changer d’avis Jair Bolsonaro sera assurément le grand défi de 2021.

Décembre : Kim Jong-un, Corée du Nord

Il y aura dix ans en décembre, Kim Jong-un succédait à son père Kim Jong-il. Trump a échoué dans ses démarches pour stopper le programme nucléaire de Corée du Nord, et Joe Biden ne propose rien de nouveau. On se pose la question : Kim reprendra-t-il ses tests nucléaires ?

Ça va brasser dans le nucléaire en 2021. Y aura-t-il une bombe iranienne ? Seuls Israël et les Saoudiens se posent la question, à laquelle ces derniers pourraient bien vouloir se doter d’une capacité de riposte. Pendant ce temps, les tensions frontalières entre pays nucléarisés persistent : entre la Chine et l’Inde, et entre l’Inde et le Pakistan.

Joe Biden veut prolonger le traité New START qui expire en février, mais ni Biden ni personne ne propose d’éliminer les armes nucléaires en 2021. Le 22 janvier, le TIAN, traité sur l’abolition des armes nucléaires, aura force de loi dans les 51 pays qui l’ont ratifié – le Canada n’en fait pas partie.

Les Artistes pour la Paix, conjointement avec la Hiroshima Nagasaki Day Coalition (Anton Wagner), le collectif Échec à la guerre (Raymond Legault et Martine Eloy), Earl Turcotte et Bianca Mugyenyi, ont lancé la campagne demandant un débat sur le TIAN aux Communes. On peut en prendre connaissance et y contribuer sur cette page.